82. Convoi vers le Palais

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Arthur

Encore une fois, il va me falloir abandonner Lila aux soins de quelqu’un d’autre. Cela devient une habitude à laquelle j’ai du mal à m’habituer. Surtout qu’elle ne me fait jamais aucun reproche, toute la culpabilité est seulement en moi. Alors que je vais fermer mon sac, Lila, justement, dépose un petit papier dedans.

- C’est quoi ça, Lila ?

- Un dessin, pour Julia et toi !

- Oh merci ! Je peux regarder ?

- Non, c'est pour vous deux, pour quand vous serez ensemble. Pour pas m'oublier.

Sa réponse me fait fondre. Je m'attache tellement à cette petite, c'est fou. Je referme mon sac en faisant attention au petit dessin plié puis je m'assois sur le lit et attire la petite fille sur mes genoux. Je lui fais un gros bisou sur la joue alors qu'elle enlace mon cou et me fait un gros câlin.

- Lila, quand je rentrerai en France, ça te dirait de venir avec moi ? lui demandé-je soudainement.

- Tu veux que je vienne en vacances chez toi ? Trop bien !

- Non, pas en vacances. Pour toujours. Tu pourrais grandir en France.

- Mais, et la Silvanie ? me demande-t-elle, perplexe. C’est chez-moi, ici, même si c’est nul la guerre.

- Oui, tu as raison. Ici, c'est chez toi, soupiré-je. On en reparlera, d'accord ? Quand je rentre du palais, demain sûrement. En attendant, tu seras sage, n'est-ce pas ?

- Ben oui, je suis toujours sage, Arthur, rit-elle.

- Oui, une petite fille modèle !

Lorsque je sors de la tente, je constate que le petit convoi gouvernemental qui va m'escorter est en train d'entrer dans le camp. J'espère que les rebelles sont prévenus que je vais être dans une de ces voitures, sinon c'est un vrai appel à l'attentat avec tous ces drapeaux nationaux partout.

Main dans la main avec Lila que je n’ai pas réussi à convaincre de me suivre en France, je rejoins le cortège. Les échanges se font uniquement en silvanien afin de bien exclure les militaires présents.

- Bonjour monsieur Zrinkak. Vous êtes prêt à nous suivre ?

- Ai-je le choix ? provoqué-je le sous-lieutenant qui vient de s'adresser à moi.

- On a toujours le choix de préférer la mort ou le déshonneur, mais vous savez comme moi que ce n'est pas une attitude digne d'un Silvanien.

Des mots simples, courts, incisifs, mais remplis d'une sourde menace. Je ne réponds même pas et fais signe à Julia de se joindre à moi.

- Vous venez accompagné ? s'exclame l'officier, surpris.

- Oui, Julia est notre chargée de communication. C'est normal qu'elle vienne documenter l'honneur qui m'est fait par le Gouvernement, non ?

Julia, sans comprendre de quoi il s’agit, a entendu son nom et fait très bien l'innocente. Elle lui montre l'appareil photo qui pend entre ses seins. Le Silvanien est clairement en train d'hésiter sur la marche à suivre, sûrement distrait aussi par le décolleté de ma soldate, et j'en profite pour ouvrir la porte du véhicule à Julia qui s'y engouffre. Je fais un dernier câlin à Lila avant de monter à mon tour aux côtés de ma jolie assistante du jour, en faisant un clin d'œil à Snow qui n'a rien raté de la scène.

Lorsque la voiture démarre, le sous-lieutenant gouvernemental recommence à me parler en Silvanien, mais je l’interromps immédiatement, en Français.

- Si vous avez des choses à me dire, dites-le dans notre langue, je suis sûr que vous la parlez et ainsi, tout le monde pourra vous comprendre.

- Oui, je la parle, comme tout le monde au Gouvernement. Nous sommes tous allés dans vos écoles, comme vous le savez sûrement.

- Bien, alors, que vouliez-vous nous dire ?

- Eh bien, ce soir, le Président veut vous recevoir en dîner privé. La cérémonie en votre honneur a été reportée à demain soir.

- Et pourquoi toute cette attention à mon égard ? demandé-je, sachant bien qu’il n’a pas le droit de me dire pourquoi.

- Eh bien, vous sauvez plein de gens, c’est normal que votre travail soit remarqué, vous êtes un des nôtres, en plus, n’est-ce pas ?

La façon dont il dit ça est ambigüe, on dirait qu’il me demande de préciser que je suis du côté du Gouvernement, mais je ne me laisse pas prendre au piège.

- Je suis né ici, oui, mais la première guerre m’a exilé en France, vous le savez aussi bien que moi. Je suis revenu avec mon ONG et je ne prends donc partie que pour les opprimés et ceux qui n’ont plus rien. C’est mon travail, rien de plus.

Il s’arrête alors de nous parler et se renfrogne dans son siège à l’avant alors que je jette un œil à Julia qui semble regarder le paysage avec attention. Je vois que nous sommes toujours suivis par les autres voitures couvertes des drapeaux. Un vrai convoi digne d’un ambassadeur ou d’un représentant officiel. Tout ça parce que je suis le fils de la Gitane, quoi qu’ils puissent dire sur mon travail dont ils se préoccupaient peu jusqu’à ce que les villes commencent à tomber aux mains des rebelles.

Je me penche vers Julia et lui chuchote juste assez fort pour qu’elle entende sans que les autres ne puissent nous écouter.

- Tu as vu, on est déjà parti pour au moins quarante-huit heures, ils ont rajouté un dîner et demain, je te parie que la soirée va durer tard. On peut dire qu’on est des prisonniers d’honneur, non ?

- Prisonniers d’honneur ? Tu en as de ces idées, murmure-t-elle. C’est pas bon tout ça, on aurait dû refuser…

- Tu sais bien qu’on ne pouvait pas refuser. Enfin, moi, je ne pouvais pas refuser. Toi, tu es juste folle.

- Tu as raison, je suis complètement dingue, mais j’assume. Et j’ai de l’éthique, te laisser y aller tout seul, je ne pouvais pas. Et je ne voulais pas non plus. C’est ta faute, en fait, dit-elle en me faisant un clin d'œil.

- J’assume, ris-je, mais je maintiens, tu es folle ! Espérons que ça suffise pour qu’on s’en sorte rapidement. Sinon, il va falloir improviser. Et en attendant, je te propose de profiter de leur hospitalité. Ils ont l’air de vouloir mettre les petits plats dans les grands.

- Moui… Il faut rester sur nos gardes quand même, Arthur, ils vont chercher à t’endormir pour mieux te la faire à l’envers à mon avis.

- Écoute, moi je profite et m’endors, et toi tu me réveilles quand il faudra, on fait comme ça ?

- Bien sûr, profite pendant que je bosse, soupire-t-elle. J’aurais mieux fait de me faire la collection de porno de Mirallès, tiens.

- Tu veux que je demande ? Je suis sûr qu’ils pourraient nous en mettre une à disposition !

Elle me frappe l’épaule pour me signifier d’arrêter de dire des bêtises et le reste du voyage se passe en silence. Je regarde le paysage vers la capitale et je me souviens avoir fait ce chemin, plus jeune, quand nous avions un appartement en plein centre ville. Je pose discrètement ma main sur sa cuisse et suis ravi de voir qu’elle ne me repousse pas.

Les montagnes laissent place à des collines et rapidement, nous nous retrouvons dans les faubourgs de la ville. Je constate une forte pauvreté partout qui n’existait pas quand j’étais petit. Les maisons ont l’air délabré, beaucoup ont subi des bombardements à un moment ou à un autre, peu de quartiers ont été préservés. C’est triste de voir comment tout est abîmé et comme rien n’est fait pour réparer. Ce Gouvernement a pourtant reçu d’importantes aides internationales pour la reconstruction. Pas étonnant que les rebelles veulent reprendre le pouvoir, même si je ne suis pas convaincu qu’ils seraient plus efficaces. Peut-être moins corrompus… Mais est-ce que ce serait suffisant ?

Lorsque l’on commence à apercevoir les tours du Palais Présidentiel, le Silvanien se tourne à nouveau vers nous.

- Nous y voilà presque. Vous allez voir, le Palais est très beau.

- Oui, on dirait qu’il ne reste plus que ça d’entier dans la ville, dis-je en constatant qu’il y a même une nouvelle aile qui a été construite depuis mon départ et que tout est très bien entretenu.

- Le Palais est très protégé, il représente notre pays. Tant qu’il sera debout, il y aura de l’espoir pour tous les Silvaniens qui croient en la fin de cette guerre.

- J’ai l’impression qu’à part le Palais, le reste de la ville est en ruines. C’est juste ces quartiers-ci ou toute la ville est dans le même état ?

- Certains quartiers sont intacts ou presque, mais les rebelles ont fait des dégâts un peu partout. Nous ne pouvions malheureusement pas assurer la protection de toute la ville.

- Et pourquoi croyez-vous qu’ils se rebellent ? demande Julia, toujours parfaite dans son rôle de gentille ingénue.

- Ils sont tout simplement manipulés par une folle avide de pouvoir, dit-il avant de prendre un air confus. Enfin, excusez-moi, Monsieur Zrinkak…

- Pourquoi voulez-vous vous excuser ? C’est peut-être de ma mère dont vous parlez, mais c’est surtout la cheffe de ces rebelles. Je ne pense pas qu’on puisse vraiment considérer cette personne comme autre chose que ma génitrice, elle a disparu de ma vie quand j’avais dix ans…

- Une mère reste une mère… Je suis sûr que la revoir vous a traversé l’esprit, si ce n’est pas déjà fait.

- Jusqu’à très récemment, je ne savais même pas qu’elle était vivante. Je ne sais pas si j’ai envie de la revoir. Elle m’a abandonné, vous savez. C’est horrible à vivre pour un enfant.

Je n’ai pas besoin d’insister sur la tristesse de mon ton quand j’évoque ça, les souvenirs sont en effet particulièrement difficiles à vivre et Julia presse ma cuisse doucement.

- C’est quand même fou que les Rebelles n’aient pas touché au Palais, dit-elle, l’air incrédule.

- Oh mais si, ils y ont touché ! Et plusieurs fois, dit notre hôte, tout fier. Mais on a toujours fait réparer, on ne va pas se laisser faire, non plus !

- Et tous ces Silvaniens dont les habitations ont été détruites, vous les avez relogés ? Ils doivent être tellement malheureux, les pauvres !

- Ah non, il faut qu’ils se débrouillent, eux. Il y a bien trop d’habitations à reconstruire. C’est pour ça qu’il y a des ONG, non ?

- Ouais, pas étonnant que vous ayez des rebelles sur le dos avec une telle mentalité, ne puis-je m’empêcher de lâcher sous le regard courroucé du Silvanien qui se retourne et nous ignore royalement.

- Heureusement que nous sommes là, alors, sourit Julia avec une légèreté que nous sommes loin d’arborer. Mais le camp ne sera jamais assez grand pour accueillir tout le monde !

- Ah oui, heureusement, ajouté-je sur le même ton badin. On va demander des subventions au Président, je suis sûr qu’il n’a pas tout dépensé pour le Palais, et comme ça on pourra accueillir et aider encore plus de gens !

Le Silvanien qui nous accompagne ne nous répond pas, ce qui amène un sourire sur nos visages. Nous avons réussi à le mettre mal à l’aise alors qu’il cherchait à nous impressionner avec les réussites de son Gouvernement. C’est une petite victoire, mais c’est avec un ensemble de petits succès qu’on peut transformer notre mission en grande réussite. Et avec Julia, nous allons tout faire pour en connaître encore beaucoup, de ces petits moments qui nous redonnent le moral, c’est une évidence.

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