Chapitre 15

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On bouge vers les escaliers, je jette discrètement un œil dans mon dos. Arthur et Dario se plaquent contre le mur. Ils croient que je ne les ai pas vus nous suivre.

Je les aurais prévenus, tant pis pour eux.

Je m’arrête en bas des marches, Harry et Lucy s’impatientent.

- Attendez-moi deux secondes, je vais prévenir Garret et Ed de se barrer avec les petits.

J’arrive devant la classe et entre.

Les enfants sont sagement assis à leur bureau, Ed leur raconte une histoire pour les occuper. Il m’épate. Comment il a fait pour les tenir ?

Ed s’interrompt.

Les enfants me regardent. J’ai l’air de déranger.

- Oups, excusez-moi…Vas-y, termine, je t’en prie.

- Où j’en étais déjà ? demande Ed à sa classe.

Une petite fille toute mignonne avec une barrette en forme de coccinelle lève la main.

- Oui Marion.

- Tu t’es arrêté quand la jolie fille a ouvert le ventre du chasseur avec sa grosse hache, qu’il essayait de retenir ses tripes que les cochons étaient en train de dévorer.

Quoi ?! Mais qu’est-ce qu’il leur raconte ?!

J’interviens, je me place devant le bureau.

- Mais ça va pas de leur raconter ça ? T’es devenu fou ou quoi ?! Je t’ai demandé de les surveiller, pas de les traumatiser !

Ed ne dit rien.

Devant le tableau noir, Garret baisse les yeux et pose une craie sur le rebord.

C’est pas possible ! Lui aussi s’y met. Je grimpe sur le bureau, chope une éponge et efface le tableau.

Il n’a rien trouvé de mieux que de dessiner un schéma représentant un corps humain et dix façons de le tuer avec un crayon très pointu !

Je vais pas leur faire la morale pendant trois heures, ils sont trop cons, je ne peux plus rien pour eux.

Je baisse le ton et leur chuchote.

- Bon, la voie est libre, vous allez faire sortir les marmots de l’école. Par contre, dans les couloirs c’est un carnage, on ne s’est pas ennuyé. Démerdez-vous mais couvrez-leur les yeux, faut pas qu’ils voient ça. Ok ?

- Ok Lapin, tu peux nous faire confiance, me répond Ed.

- Non, je ne vous fais absolument pas confiance mais j’ai pas trop le choix, alors faites au mieux et ça ira.

Je me tire et rejoins Harry et Lucy qui m’attendent en haut des marches.

Qu’est-ce qu’ils ont ?

Pourquoi ils restent immobiles comme ça ?

J’arrive à l’étage, je comprends un peu mieux.

Au milieu du couloir « Marceau ».

Lui aussi est statique, la tête légèrement inclinée sur sa gauche. Avec tout son maquillage, il fout la trouille.

- Pourquoi tu ne lui tires pas dessus ? je demande à Harry en serrant les dents.

- J’ai plus de munitions…

« Marceau » s’avance vers nous, à ses pieds, se trouve le reste des balles qui auraient dû se loger dans son corps s’il n’avait pas utilisé son « mur ».

- Faites comme moi.

Je lève les mains en l’air et m’approche de Cyrus.

- C’est bon, on se rend ! On vous laisse tranquille, on ne fait pas le poids.

- Mais qu’est-ce que tu branles ? me demande Lucy.

- On fait mine de se rendre, dès qu’on se rapproche assez, on se jette sur lui, on le ruine avant qu’il n’ait le temps de mimer une de ses armes de psychopathe.

Harry et Lucy se regardent.

- Euh… C'est-à-dire qu’il a déjà mimé une de ses armes de psychopathe.

- Quoi ? Je stoppe.

- Ben oui, pourquoi tu crois qu’on ne bougeait plus, me balance Lucy.

- Et vous avez trouvé ? C’était facile ? Qu’est-ce qu’il a mimé ?

Cyrus accélère le pas.

- Je ne suis pas sûr, mais je dirai une sorte de scie, Lucy, t’en penses quoi ? s’interroge Harry.

- Vu la grosseur, j’opterai plus pour une énorme tronçonneuse.

Le mime sourit. C’est jamais bon signe. Il tire sur une corde, et allume sa machine de bucheron.

- Merde !

Il fait tournoyer ses mains, je me couche, il chope le mur et y laisse une putain d’entaille d’un mètre cinquante.

Il n’est pas cool ce mec.

Je lui flanque un crochet dans le genou, il plie sa jambe, je le pousse pour mettre un peu de distance entre nous.

Lucy se faufile derrière moi.

Harry se jette sur lui, le ceinture et tente de choper ses poignets. Plus de bras, plus de mimes.

Mais Cyrus ne se laisse pas faire, il se débat et petit à petit l’étreinte d’Harry semble céder.

- Barrez-vous au gymnase ! Je vais le retenir !

Ça me fait chier de le laisser comme ça, mais l’enjeu est trop énorme.

J’attrape la main de Lucy et traverse le long couloir.

On s’arrête aussitôt quand on voit un petit caneton traverser celui-ci par la droite.

Je n’aime plus les canetons…

« Coin-coin » le traverse à son tour.

Il marche avec assurance. Il y a de quoi. Je me remémore la rouste qu’il m’a foutue.

- On recule… Je crois que c’est mort par là.

On se retourne.

Cyrus s’est dégagé.

Harry a l’air crevé mais dans un dernier effort, lui flanque un direct du droit.

Le flic l’esquive, lève sa tronço-mime, lui coupe la main, puis d’un revers lui sectionne l’avant-bras.

C’est moche.

Harry se jette dans les escaliers, seul moyen de ne pas finir en morceaux.

Cyrus s’avance vers nous, ainsi que son partenaire. On est pris en sandwich.

Keels joint ses deux mains sur le côté, elles se mettent à trembler, puis tout son corps en fait de même. Il tend ses bras vers nous, ouvre ses paumes et nous balance un jet de canards.

Plutôt un torrent...

C’est pas une dizaine, ni une vingtaine qui en sort mais un véritable tsunami de palmipèdes.

Je n’en ai jamais vu autant de ma vie. Les caquètements sont assourdissants.

C’est assez impressionnant, la vague de canards inonde le couloir et nous emporte. On ne peut pas lutter devant ce torrent à plumes. Lucy tente de garder l’équilibre tant bien que mal.

Peine perdue, ça bouge dans tous les sens.

On s’accroche l’un à l’autre tandis que le raz-de-marée nous dirige tout droit vers Cyrus et sa tronçonneuse qu’il tient à bout de bras, prêt à nous découper.

On peut dire qu’on lui est servi sur un plateau d’argent…

- Me lâche pas ! je gueule à Lucy, qui de par son poids est entrainée vers le fond.

Elle est décidément trop lourde, me glisse des mains et s’enfonce dans l’épaisse masse grouillante de canards. Je ne la vois plus…

Je ne suis qu’à quelques mètres de Cyrus. Il fait tournoyer son arme écœurante.

Faut pas que ça se termine comme ça.

La vague arrive à sa portée, je m’agrippe aux bestioles et tente de reculer. Cyrus balance des coups et tronçonne les pauvres bêtes.

Je lutte.

À quatre pattes, je rebrousse chemin, le courant est trop fort, j’ai l’impression de faire du surplace.

Non, en fait je fais littéralement du sur place. Cyrus continue de découper à tout va.

Jusqu’ici, je maintiens le rythme et garde la distance. La vague commence à diminuer...

Ça pue la volaille.

Le couloir est rempli de cadavres jaunes. J’en vois la fin.

Je saute et m’écrase sur un lit de plumes ensanglantées.

Keels nous a rejoints, il fait un clin d’œil à son comparse. Je me relève péniblement, l’étau se resserre.

Ce mec a de la chance, sans ses pouvoirs, il ne vaut que dalle.

Il me file une droite puissante et rapide.

Je ne l’ai pas vu venir, je suis un peu sonné.

Je me frotte la mâchoire et recule d’un pas.

Je sens Cyrus dans mon dos.

- Alors le Lapin, on a voulu jouer au héros ? Fallait pas venir dans la cour des grands, me nargue Keels en concluant sa phrase par une autre frappe.

Encore la mâchoire.

Fait chier, il pourrait varier un peu. Je passe ma langue sur mes dents, j’en sens une qui se déchausse.

Je regarde par-dessus son épaule, une main sort d’un tas de cadavres, puis une tête. Ma Lucy !

Keels la regarde du coin de l’œil.

- Je m’en occuperai après, dit-il.

Il serre le poing, prend son élan, fronce les sourcils, mon cœur s’emballe.

Le coup part.

Il paraît que lorsque l’on est sur le point de mourir, on voit défiler toute sa vie.

Pour ma part, rien ne défile. Du moins, aucun film de mon existence mais une multitude de scénarios plus ou moins possibles concernant la suite des événements.

Par exemple :

Son poing fonce sur mon pauvre petit nez pour me porter un coup fatal.

Je retire mon masque de lapin, il découvre mon visage triste et désemparé, il est pris de remords, ne veut plus me finir, pense que finalement tout ceci n’est qu’un malentendu, que je suis un mec bien, me tapote l’épaule « Désolé, mec » et me laisse partir…

Ça ne marchera jamais.

Autre possibilité :

Son poing fonce sur mon pauvre petit nez pour me porter un coup fatal.

Je chope les mains de Cyrus, mime une grosse enclume ou un piano à queue au-dessus de lui et Keels.

Je m’écarte, tous les deux se font écrabouiller.

Problème, je n’ai jamais été doué pour les mimes.

À la rigueur, faire deviner un objet en le dessinant mais alors vraiment un objet facile genre une voiture ou une pomme.

Bref, je laisse tomber cette option.

Tiens ? Celle-là a l’air pas mal.

C’est gonflé, même très risqué mais ce n’est plus le moment de réfléchir. Je me lance.

Son poing fonce sur mon pauvre petit nez pour me porter un coup fatal.

Je l’esquive en me décalant légèrement sur ma droite, j’attrape son avant-bras dans sa course et le dirige vers la bouche muette de Cyrus.

Le coup est tellement violent, qu’il lui brise les dents et s’enfonce dans sa gueule.

J’envoie un coup de genou bien placé dans l’entrejambe de « Coin coin » qui, involontairement ou par réflexe, laisse échapper un canard.

Choqué, il retire sa main de Cyrus mais c’est trop tard.

Sa gorge a triplé de volume, seules deux petites pattes palmées sortent de la bouche du mime.

Il a beau tirer dessus, le canard est trop bien logé.

Cyrus s’étouffe, ses yeux sont exorbités, il tombe à terre. Pour une fois c’est Keels qui reste sans voix devant son partenaire agonisant.

Lucy tente de pousser la centaine de palmipèdes la recouvrant, quand elle voit, surement ce qui sera le dernier mime de Cyrus.

Une petite boule avec une goupille qu’il retire.

Je l’ai vue aussi, ainsi que Keels.

Cyrus dans son dernier souffle balance sa grenade et s’éteint.

- Merde ! Où il l’a balancée ?! hurle Lucy.

- Mais je n’en sais rien ! Elle est invisible, bordel !

Lucy regroupe tous les cadavres de canards qu’elle avait poussés pour s’extraire et se recouvre le corps avec.

Je ne vois plus que ses yeux, puis en place un dernier et disparait.

Je cours me mettre à l’ abri dessous « Marceau », qui fait très bien le mort.

Seul Keels est à découvert. La grenade explose.

Elle n’était pas trop près et surtout pas si puissante que ça. La couverture de plumes de Lucy s’envole.

Keels s’approche d’elle quand le sol se dérobe sous ses pieds suite au choc de l’explosif.

Il s’agrippe aux jambes boudinées de Lucy qui le suit dans sa chute.

Je plonge vers l’énorme trou.

Trop tard.

Lucy tombe et se ramasse le cul dans une salle de classe, tandis que Keels s’emmêle les pieds dans des câbles électriques, chute mais reste suspendu et se balance au milieu de la classe.

Ils sont tombés dans la salle d’étude.

Ed et Garret sont surpris.

Keels virevolte dans les airs au milieu des enfants, qui heureusement ne voient rien, les yeux bandés par divers chiffons.

Ouf, pour une fois, ils m’ont bien écouté.

Un petit garçon se fait légèrement percuter par l’agent suspendu. Il lève les bras en l’air, le tâtonne puis explose de joie.

- Super ! Hey les copains ! Une pinata !

La bande de gamins, tout excitée, se regroupe autour et le tapote.

- Merci Ed ! Marion est en transe.

Elle lui file des petits coups de poing.

C’est bien trop résistant. Elle se retourne, triche un peu, enlève son bandeau et chope un pot de crayons, puis fair-play, remet son bandeau.

- Prenez les crayons !

La classe se dirige vers elle et vide la boîte.

Désormais, c’est à coup de crayons très pointus que les gosses tentent de percer la pinata.

Keels hurle, ça doit faire un mal de chien.

- La chanson, Ed ! Chante ta chanson pour couvrir ses cris, hurle Garret.

Ed se met à brailler.

« Deux petits lapins marchaient dans ma maison. Deux petits lapins dansaient dans mon salon »

- Allez les enfants ! On chante tous en chœur !

Les petits reprennent la comptine à tue-tête tout en continuant de percer Keels qu’on n’entend pratiquement plus.

« Deux petits lapins marchaient dans ma maison.

Deux petits lapins dansaient dans mon salon… »

Un gamin trébuche sur un objet métallique.

Il se baisse et attrape la machette de Lucy, il est content et doit se dire que ce sera largement plus efficace et rapide que son pauvre crayon.

Les enfants attaquent le refrain et semblent au summum de l’excitation.

« J’enfonce mes pieds dans leur cul, jusqu'à ce qu’ils s’étouffent. Personne n’a jamais vu, de si jolies pantoufles »

Le gamin lève la machette, et de toutes ses forces l’abat vers la pinata.

En plein dans le mille, la lame chope l’agent au niveau de l’abdomen et le tranche sur vingt centimètres.

Keels se vide entièrement sur les jolies petites frimousses qui, dans un « Ça y est ! » tendent leur bras à l’intérieur pour ne rien laisser.

Le réconfort après l’effort.

Lucy, Garret et Ed les regardent déguster leurs friandises.

C’est à gerber.

Tout le monde va bien, c’est le principal.

Oui, tout le monde s’en est sorti sauf Harry.

Harry ?!

Merde !

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