L'ordre de l'Empereur

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L’archimage feuilletait la pile de fiches qui s’accumulait sur son bureau. Les premiers examens avaient été concluants, l’immense majorité des signatures noircies provenaient bien de personnes différentes. Ceux qui avaient tenté de se soustraire au joug impérial en avaient payé le prix fort. La dame au teint mat, aux yeux marrons et à la chevelure brune passa son doigt sur chacun des innombrables parchemins empilés devant elle. Elle souriait. Elle survivrait au retour du Souverain. Peut-être même rentrerait-elle dans ses bonnes grâces. Une civile. Une femme. Une sorcière. Trois lourds handicaps pour gagner l’estime du Roi des rois. Mais les torrents de sang effacent bien des défauts aux yeux de l’Empereur.

Et puis, les rapports qu’elle recevait étaient dithyrambiques. Jamais le pays n’avait été aussi stable. Jamais l’hérésie n’avait autant reculé. La nation aux trente religions allait bientôt perdre son surnom. La raison d’état l’avait emporté et le pays se trouvait, à n’en pas douter, à son apogée. Quelques milliers d’immolations purificatrices avaient suffi à assainir le plus grand Empire que le monde n’ait jamais connu.

Confiante, elle se saisit d’une centaine de feuilles et se rendit d’un pas presque guilleret dans la salle du grand conseil. Comme l’exigeait l’étiquette, la garde du palais lui ouvrit les lourdes portes de fer, tandis que les ministres se levèrent respectueusement. Tous craignaient cette réunion car tous savaient que le Souverain en personne y assisterait. Déjà on chuchotait, pariant en plaisantant à moitié, pour se rassurer, sur les futures têtes qui tomberaient.

Chacun demeurait assis et contemplait, plein d’appréhension, l’immense trône vide qui présidait la longue table. Tous craignaient qu’un accident quelconque ne vienne entacher l’œuvre de ces derniers mois. Tous avaient travaillé d’arrache-pied, envoyant directive sur directive, pour assainir l’Empire. Mais on ne peut jamais prévoir ce qui adviendra et même les plus grands efforts peuvent se voir déçus. Soudain, après plus d’une heure d’attente, le Souverain entra dans la grande salle austère, tout vêtu d’or et d’acier, comme s’il partait en guerre.

Tous les fonctionnaires déglutirent et se levèrent d’un même élan, trop contents d’avoir à baisser les yeux pour ne pas croiser ceux de leur maître. Ils entendaient seulement le tintement de l’armure, les lourds pas du guerrier invaincu, la démarche martiale du Seigneur des batailles.

— Mesdames, messieurs, j’attends vos rapports.

Le ton ne laissait place à aucune discussion préliminaire. Chacun des conseillers se jeta dans ses notes, priant pour qu’il ne le questionne pas. Contre toute attente, une voix féminine s’éleva. Le grand vizir prit la parole de sa propre initiative, pour le plus grand bonheur de tous ses subalternes.

— Sire, j’ai le plaisir de vous annoncer que les mesures entreprises pour lutter contre l’hérésie dans nos différents royaumes sont couronnées de succès. Tous les comptes rendus que je reçois ne parlent que du nombre d’impies exécutés et des scènes de liesse populaire qui en découlent. Les fiches que vous aviez exigées sont là pour le prouver. En ce jour, je puis affirmer sans m’avancer que la guerre contre la sédition est d’ores et déjà gagnée. Vos ennemis ont tous été débusqués et gisent maintenant en cendre portés par les quatre vents. Ceux qui nous auraient échappé tremblent dans leur masure et n’oseront plus rien entreprendre contre votre divine Personne. La gloire et la prospérité de votre dynastie sont assurées.

Sans attendre, elle déposa les fiches qu’elle avait apportées devants le visage sévère de l’Empereur. Il ne prit même pas la peine de les lire. Il se contenta de bailler. Un silence gêné empreint de terreur s’installa alors dans la pièce. Le Souverain laissa planer cette peur pendant près de trois minutes avant de conclure prématurément la séance :

— Bien, continuez.

Puis il s’en alla sans d’autre forme de procès. Toutes les personnes présentent se mirent à regarder leur voisin, comme s’il détenait la vérité cachée derrière cette phrase laconique. Même le grand vizir fut quelque peu surpris. Mais elle se ressaisit. Elle n’avait pas le droit de perdre la face. Pas après avoir reçu le plus grand compliment qu’une magicienne, ministre de surcroit, n’ait jamais reçu sous ce règne : « Bien ».

— Vous avez entendu ? Exécution !

La salle du conseil se mit alors en branle et tous se précipitèrent vers leurs bureaux, prêts à transmettre des ordres et à pratiquer une activité qui, à défaut d’être réellement utile, justifierait leur salaire et leur vie.

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