Chapitre deux
Devant le pays tout en nuance de gris, Liana sentit son cœur se serrait dans sa poitrine. Ils venaient de perdre une des choses les plus précieuses pour des souverains : la pulsion de vie. Pourtant, elle se reprit. Dehors des gens étaient toujours présents. Malgré leur peur, la mort ne les avait pas emportés.
La jeune femme se précipita sur son frère. Les yeux dans le vague, il paraissait en état de choc. Ses mains se saisirent des siennes avec force. Il lui fallait le sortir de cet état.
– Liom ! Il est de notre devoir d’agir !
Les pupilles de son jumeau se dilatèrent, preuve qu’il revenait à lui.
– Ma sœur ! Quelle est cette horrible malédiction ? Comment pouvons-nous lutter contre elle ?
Les doigts de Liana se posèrent sur les joues de son frère. Elle l’obligea à la regarder dans les yeux. Ses iris avaient perdu leur belle couleur océan. Seul subsistait le gris. Celui qui noyait petit à petit les âmes pour les entraîner vers le mutisme et l’immobilité lorsque ce n’était pas vers les pleurs et la douleur.
– Tu l’as entendu ! Nous allons faire ce qu’elle nous a dit !
Le dos bien droit, la tête haute, Liana lui exposa avec calme ses intentions.
– L’un de nous doit partir en quête des couleurs alors que l’autre restera ici pour veiller sur notre peuple.
Sans un mot, Liom se contenta de saisir sa main et la tenir dans la sienne. Plus que tout, il redoutait cette séparation à laquelle il n’avait jamais pu consentir. Malheureusement, il lui faudrait s’y résoudre. Alors une question s’échappa de sa bouche.
– Qui ?
Sans lui répondre, Liana s’avança sur le petit chemin pavé qui menait à l’intérieur du palais.
– Avant toute chose, il serait de bon ton de rassurer notre peuple. Nous ne pouvons être souverains que lorsque cela nous arrange.
Alors son frère se laissa traîner à l’intérieur, doigts toujours noués aux siens. Des silhouettes s’avancèrent en courant vers eux : celles de conseillers accompagnés de quelques gardes, épées à la main. Sur leurs figures, il n’était pas difficile de lire combien le changement soudain les avait affectés.
– Cher compatriote, nous sommes dans une situation de crise sans précédent. Il nous appartient à nous, souverains, de la résoudre. Pour ce faire, je demande à ce que soient amenées, dans la bibliothèque, les cartes les plus récentes dont nous disposons. Pendant ce temps, nous allons rassurer la population. Vous pouvez nous suivre si le cœur vous en dit.
Liom admira la capacité de sa sœur, à apaiser les esprits. Plus que lui, elle savait écouter et conseiller.
Après une hésitation, le groupe se divisa en deux. La majorité décida de les escorter alors que les pas des autres résonnaient sur le sol de marbre blanc. Un tapis, autrefois rouge, les conduisit jusqu’à un escalier en colimaçon dans lequel ils s’engouffrèrent.
Les souverains se dirigèrent vers le balcon qui donnait sur la ville. De là, ils pouvaient observer la vie qui évoluait dans la cité. En cet instant, elle s’était suspendue. La majorité de la population présente dans les rues s’était amassée devant les murs du palais. Des cris et clameurs se faisaient entendre. Le désarroi ainsi que la peur des habitants étaient plus que perceptibles.
Sans s’arrêter, Liana s’avança jusqu’à la balustrade. Petit à petit, le silence se fit alors que la population contemplait la silhouette fine. Son frère l’avait lâché. En retrait, il patientait. Toutes les paroles que pourrait prononcer sa sœur seraient toujours plus frappantes que n’importe lesquelles des siennes. Cependant, il ordonna qu’un scribe prenne note afin de prévenir chaque province de leur royaume.
– Cher Valdien, chère Valdienne, comme vous avez tous pu vous en rendre compte, les couleurs ont fui notre beau pays. Une malédiction nous a été jetée.
Pendant quelques secondes, elle s’interrompit comme pour leur laisser le temps de mémoriser les informations.
– Soyez sûr que vos souverains feront tout leur possible pour vous libérer de ces maux ! L’un de nous partira en quête des couleurs alors que l’autre veillera sur le royaume. Je sais que le futur sera difficile pour vous, mais c’est ensemble que nous irons de l’avant. Ensemble que nous affronterons cette absence de couleur qui pèsera dans nos vies. Je vous prie d’accepter de nous donner votre confiance pour vous guider comme nous l’avons toujours fait. Ce n’est qu’un mauvais moment à passer. Nous nous en sortirons. Mieux, nous en serons grandis !
Liana, à ces mots, lève le poing dans les airs. Aussitôt, son frère l’imite.
Pendant quelques secondes, la population hésite. Mais il suffit qu’une personne prenne l’initiative pour que les autres la suivent. Des cris résonnent. Des messages de soutien pour leurs dirigeants.
– À présent, rentrez chez vous. Reprenez votre vie autant qu’il vous est possible de le faire. La porte du palais restera ouverte pour ceux qui voudront faire part d’idées pouvant nous aider.
Personne ne s’avance. Preuve que le peuple est perdu.
– Des messagers quitteront au plus vite, la ville pour se rendre dans les autres provinces du royaume afin de les rassurer.
La foule commence à se disperser. Après tout, il n’existe aucune solution miracle alors autant reprendre ses taches où on les a abandonnés. L’absence de couleur ne paraît pas mortelle. En tout cas, personne n’est tombé inanimé sur le sol. Aucune douleur ne se fait ressentir. Pas même une gêne, si ce n’est visuel. Mais la population a déjà affronté des moments plus tragiques : épidémies ou hivers très rudes.
Liana en profite pour reculer. Son frère s’approche d’elle pour la félicité pour sa verve. Un pâle sourire se trace sur ses lèvres grises.
– Je n’ai fait que parer au plus pressé. Il reste beaucoup à faire.
– Je sais. Mais tu ne seras pas seule !
Le soutien de Liom lui met un peu de baume au coeur. Il ne ment pas et fera son possible pour elle ainsi que son peuple.
– Nous devons nous préparer à l’expédition, murmure-t-elle.
– Je sais. J’aimerais consulter cartes et livres avant le départ. Des informations essentielles pourraient se trouver dans la bibliothèque.
Sa sœur acquiesce.
– Je t’accompagne.
Cependant, elle prend quand même le temps de discuter avec leurs conseillers. Ceux-ci l’écoutent avec attention, alors qu’elle leur exprime leur rôle futur : recherche sur la malédiction, écoute de la population…
Liom lui s’occupe de relire les mots du scribe. Il faut que les messagers partent au plus vite, sinon la ville se trouvera bientôt envahie de délégation venant des quatre coins du royaume.
Un vent froid les fait frissonner, mais ils n’y prêtent guère attention, tant ils sont occupés par leur travail.
Dans la soirée, des hommes et des femmes vêtus de gris en lieu et place de leur uniforme ocre, quitte la cité, sur le dos de chevaux sélectionnés pour leur résistance et leur vitesse. La souveraine espère que ses mots parviendront à apaiser leur peuple, même ceux qui vivent le plus loin d’eux.
Parer au plus presser était de mise, mais les problèmes ne faisaient que commencer.
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