Quai De Gare
Dans cette chambre d'hôpital, le corps endormi mais l'esprit éveillé, la jeune femme observe le plafond aux lumières blanches. La clarté lui brûle les yeux, mais comment détourner le regard lorsque ses membres sont paralysés ? Fermer les paupières serait aisé, mais la peur de perdre pied lui retourne l'estomac.
En un nuage sombre, ses cheveux bruns entourent son visage, chatouillent sa peau. Elle perçoit le bruit environnant sans pour autant discerner ce qu'il se joue autour d'elle. Le brouhaha des médecins résonnent, les mots se mélangent dans la pièce immaculée tandis que l'odeur qui s'épanche lui est presque insupportable. Un masque sur le visage, un cathéter dans le bras, elle entend le clapotis du produit qui s'écoule dans la poche suspendue près d'elle. Comme tourmenté, son esprit tente de se focaliser sur une chose qui l'apaiserait. Rien ici n'est fait pour ça, la mort règne partout et l'angoisse afflue lorsqu'une silhouette en combinaison bleue se penche vers elle. Elle regarde les lèvres du médecin se mouvoir en quelques paroles qu'elle ne comprend pas. Elle aimerait lui demander de répéter afin qu'elle assimile ses dires pour se rassurer, mais aucun son ne franchit sa bouche.
Ses yeux s'embuent de larmes alors que les battements de son cœur se font chaotiques. Des questions se bousculent dans sa tête, s'entrechoquent jusqu'à perdre leur sens. Le souffle lui manque, elle peine à respirer, se débat pour ne pas sombrer mais son corps refuse de coopérer. Intérieurement, elle hurle à s'en briser la voix, s'égosille à s'en aliéner mais le décor ne change pas.
Entre la mort et l'oubli, quel choix fera-t-elle ?
Elle sent la vie s'effacer à mesure que son cœur s'emballe, comme un dernier appel au secours, une pulsation animale avant l'arrêt total d'un organe en souffrance.
Le long de sa tempe dévale une goutte de désespoir, une trainée d'amers regrets. En quelques flashs douloureux, les images d'un drame se dessinent. Les réminiscences d'une journée de souffrance, un acte abject, une porte de sortie sur un monde vaste et brumeux. L'hémoglobine a taché sa peau pâle, jusqu'à ce que l'hémorragie fasse suffoquer son âme en mal d'amour.
Les pas résonnent encore, ceux d'un bourreau dans un brouillard vaporeux. Un rire malsain perce le ciel, fend les nuages et plonge la demoiselle égarée dans une noirceur étouffante.
Les luminaires s'éteignent, la pièce vacille puis disparaît quand l'esprit s'éparpille. Elle ignore ce qu'il se passe, voudrait prier pour soulager sa conscience malmenée mais figée, elle voyage sans se déplacer. Le monde défile sous ses yeux voilés de terreur jusqu'à ce quai de gare. Celui qu'elle a si souvent piétiné en imaginant une vie nouvelle. Assise sur un banc, elle observe les usagers se presser, comme si le temps était compté. Peut-être l'est-il finalement, ceci expliquerait son passage dans un lit d'hôpital qu'elle a quitté sans même le remarquer. Lorsque le train apparaît, les bouts d'une existence passée s'alignent sous les iris bruns de la demoiselle en détresse. Elle observe ces moments de joies qui ploient sous le poids d'un homme aux doigts assassins. Les sourires s'effacent, remplacés par des torrents de sanglots douloureux. Sur les sièges du train, ses proches résignés déposent des bouquets. Quelques couleurs pour égayer la mort d'une âme devenue vagabonde. Sur les rails s'ouvrent les portes d'un univers à teinter de nuances chaleureuses mais l'esprit embrumé, le spectre s'éloigne.
Perdue dans les débris d'un miroir brisé, elle s'écorche les membres pour avancer. Le reflet fantomatique de la demoiselle apparaît dans l'obscurité d'une nuit sans fin. Elle erre en soupirant des plaintes délirantes, prisonnière des brumes d'un enfer sur terre. Sur le quai de gare, elle laisse pleuvoir ses larmes en espérant voir fleurir une rose aux pétales noirs.
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