Le Spleen du Violoniste
L'archet glisse sur les cordes de l'instrument, faisant s'élever la mélodie du désespoir. Les yeux fermés, le violoniste retient ses larmes. Ces gouttes amères de désespérance qui menacent lorsque son cœur se brise. Il ressent les morceaux se fragmenter, miettes de nostalgie dans une poitrine malmenée par la solitude.
Il a le spleen de lui, la mélancolie d'un homme laissé à l'abandon entre les murs d'un immense manoir.
Il a le spleen de son amour maudit, de ces pulsations qu'il ressentait lorsque sa paume se déposait sur le buste de son aimé passionné.
Il a le spleen du temps, de ces étreintes amoureuses, de ces caresses sulfureuses qui, à la lueur d'une bougie naissaient entre des draps satinés.
Le violoniste égaré s'empresse de jouer pour apaiser les tourments de son passé. Face à l'âtre crépitant, les notes résonnent et s'éteignent dans un tourbillon de souvenirs doucement amers. Quelques images distillées sous ses paupières à demi-closes. De la tendresse, un peu de bestialité, tout en finesse et légèreté. Dans un respect mutuel, cet amour partagé. Deux corps enchevêtrés, des baisers éparpillés puis des promesses échangées sous l'éclat éblouissant d'une lune gardienne d'un avenir prometteur.
Hélas, le sol s'est effrité lorsque l'orage est né. À l'ombre d'une nuit d'hiver, l'hémoglobine s'est épanchée sur un parquet laqué. Pas celui du prodige mais de son amoureux affectueux, précieux joyau qu'il aimera jusqu'au repos éternel. Un amour interdit, deux mondes en opposition dans un univers où l'intolérance susurre sa funeste chanson.
D'une main assurée, la dague s'est plantée entre les côtes d'un amant apeuré. Un hurlement de détresse brisant le lourd silence d'un manoir endormi où est apparue la jalousie d'une épouse délaissée. Un mariage arrangé entre une princesse et un virtuose désormais endeuillé. Le cœur déjà épris, le bonheur il ne l'a trouvé qu'auprès d'un employé aux yeux mordorés.
C'est dans les bras d'un homme que le violoniste s'est épanoui. Les battements de leurs cœurs devenus tristes souvenirs. De ces caresses tendrement déposées sur une peau alanguie aux jouissances tant appréciées, les images défilent tel un film sans couleur. Plus aucune saveur sur les lèvres de l'âme peinée. C'est l'esprit embrumé, les yeux embués qu'il exécute avec attention cette fameuse partition. Rendant hommage à son tragique amour, il serre les dents pour ne plus pleurer. C'est à l'aurore qu'il s'écroulera sur une stèle fleurie, appréciant les premiers rayons du soleil pour réchauffer son cœur glacé.
Il a le spleen de lui, de la vie en sa compagnie.
Il a le spleen de son amour maudit, de ces nuits où il l'a tant chéri.
Il a le spleen du temps, de ces années à aimer un homme, cachés entre les murs d'une chambre à la lueur tamisée.
Il a le spleen de son amant assassiné, de sa beauté, de leurs étreintes passionnées.
Alors, il joue et joue encore la mélodie de leurs sentiments.
Face à l'âtre rougeoyant, il laisse les notes s'élever, tenant l'archet de ses doigts ensanglantés. Lorsque l'ultime larme s'échoue sur la bouche rosée de l'amoureux brisé, l'odeur nauséabonde de la vengeance embaume la pièce, se mêle à l'éther qui nappe le sol.
À ses pieds, le corps gisant de l'épouse esseulée fait de lui un meurtrier.
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