Abomination

4 minutes de lecture

L'orage gronde par-delà la fenêtre, le clapotis des gouttes de pluie inonde la pièce, semblable à une symphonie divine dont se mêle mon souffle haletant. La peau frémissante d'anticipation, je mords ma lèvre lorsqu'un corps chaud se presse au mien. La poitrine de mon amant se gonfle frénétiquement, s'écrase contre mon dos à chacune de ses respirations. Mon cœur rate un battement dès lors que sa main se dépose sur mon ventre, effleure mon épiderme déjà bien éveillé. Les paupières closes, j'inspire profondément, me gorge de l'air duquel je vais manquer dans quelques instants. Ce moment, cela fait des semaines que je l'espère avec force et ardeur, sachant pourtant, pertinemment, que l'un comme l'autre, allons le regretter. Si je pouvais, je quitterais cette étreinte, ses bras qui me blessent autant que je les désire, mais mon esprit épris s'y refuse. Comme aimantés, mon palpitant brûlant réclame le sien avec une détermination qui m'effraie. Nos âmes amantes sont faites pour s'assembler, nous le savons, bien que notre amour soit impossible, immoral aux yeux des gens. Comment résister, s'en priver lorsque nos cœurs enlacés se vouent un culte de compassion et de tendre brutalité ? Il est ma religion, cette secte dont nous sommes les créateurs, fait de déraison, d'un bout de culpabilité et d'un océan de dégoût. Il est ma foi, mon Dieu, aussi obscure soit cette attraction. Tragique dévotion. Si triste aliénation.

Un éclair illumine ma chambre en même temps que ses mains glissent sur mon corps, redécouvrent la texture de ma peau. Le tonnerre résonne, paraît gronder aussi puissamment que rugit mon cœur entre mes côtes malmenées. Son nez effleure mon cou alors qu'il respire mon parfum, que mes doigts cherchent les siens. D'un geste assuré il me colle au matelas, me surplombant de toute sa hauteur, toute sa splendeur qui m'éblouit même dans l'ombre de la nuit. Dans un grognement d'urgence, ses lèvres trouvent les miennes pour un baiser empreint d'animosité. Un frisson parcourt mon être recouvert d'une fine pellicule de transpiration, serpente ma colonne vertébrale tandis que mes veines crépitent d'impatience. Mon désir s'érige, me blesse et m'écœure, cependant mon esprit s'agenouille en implorant, pleurant l'instant. Je me hais de l'aimer ainsi, de le vouloir si fort, si brutalement. Plus rien n'a de sens, je ne suis que l'objet de ses plaisirs, le jouet du destin qui me toise en ricanant. Je suis l'œuvre de Satan, la fissure du temps. Je peine à comprendre pourquoi l'amour nous rend immondes aux yeux du monde. Sommes-nous défaillants comme ils le prétendent, les monstres qu'ils se complaisent à juger, piétiner ?

Mon cœur s'emballe lorsque ses doigts me pénètrent brusquement, me faisant crier de contentement. Dans la douleur nous nageons, aimons nous perdre jusqu'à ce que vienne la damnation, pourtant, l'affection pulse sous nos poitrines enragées. Je ressens chaque battement de son palpitant, ce rythme effréné, semblable au mien. C'est dans ses bras que je me sens le mieux, et le plus mal finalement. Quelle sombre constatation, si malheureuse ironie. Foutue passion. Au bûcher notre raison.

L'éclat brillant de ses iris m'apparaît alors qu'il me contemple avec admiration. Si nous sommes les erreurs de Dame Nature, c'est contre lui que je suis homme, que je suis moi. Oui, je deviens roi de son univers composé de détresse et de cruauté en étant également l'instigateur de son malheur. Dois-je m'excuser de le désirer, lui qui m'est si formellement prohibé ? Comment diable puis-je me résoudre à l'ignorer, quand, dans un souffle il me susurre ses mots d'amour, maux d'amour qui causent l'aliénation de nos esprits mis sous pression.

Alors que le ciel se déchaîne, comme pour nous rappeler l'horreur de nos sentiments, son membre me pourfend en un gémissement d'agonie. Mon âme se ploie, se meurt à chacun de ses coups de reins. Dans cette étreinte brutale se cachent nos adieux silencieux. L'heure est venue, celle de nos désespérés au revoirs. C'est ainsi qu'explose la passion de nos moments passés, de nos instants enlacés lorsque le calme venait. Avalanche sur nos sentiments, ensevelissement de ce lien qui nous unit. Tempête sur nos sourires, emportant la gaîté de nos éclats de rires. Puis, lorsque surgit la jouissance, nos larmes jaillissent comme l'averse qui se déverse. Nuage de mauvais temps dans nos tristes regards, brisant nos cœurs amoureux, écorchés par de nombreux regrets. Du bout des lèvres, mon aimé scelle la fin d'une histoire qui a débuté dans le noir. Cette œuvre d'art née d'un obscur désespoir. Nous nous sommes vénérés pour combler le néant de nos existences brisées, tentant de rapiécer nos vies déchirées mais le pire est arrivé, nous saluant en riant de nos espoirs flétris par cette morne réalité.

Mes membres se font lourds, incapables de bouger lorsque l'étincelle d'une lame se dessine sous la luminescence d'un nouvel éclair. L'orage hurle toute ma peine, celle dans laquelle je me noie. J'essaie de nager, de rejoindre la surface pour tenter de respirer mais mes poumons s'emplissent du sang qui macule mes draps souillés de foutre et de culpabilité. Dans un silence funeste, j'observe avec déception la vie s'effacer aussi simplement que tombent les feuilles d'un arbre abîmé. Saul Pleureur agonisant comme mon adoré délaissé. Lorsque le dernier soupir s'élève, c'est à la fenêtre que je me traîne, prêt à rendre à la Terre ce qui appartient à la terre.

Parce que nous étions l'abomination.

Annotations

Vous aimez lire Li nK olN ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0