Le Croassement du Corbeau (2/2)
Deux heures se sont écoulées depuis que Soren est installé près des restes de son ami regretté. Le ciel assombri, entre les branches des saules éplorés se déhanchent les démons issus d'un enfer imaginaire. D'une voix nasillarde et entêtante, ils narguent l'esprit tourmenté de l'homme ravagé. Des murmures et moqueries, puis des hurlements et cris empreints de cruauté. Les insanités résonnent à foison tandis que Soren perd la raison. L'ombre, sur son âme, s'étend en quelques traînées ensanglantées. La douleur martèle son cœur abandonné alors que la solitude étreint son corps amoché.
Les larmes perlent sur sa peau terne, il aimerait dormir pour oublier la monotonie d'une vie d'agonie. Infâmes sentiments que sont ceux qui blessent son palpitant semblant gésir dans une marre de sang. Cage thoracique à l'ossature abîmée, il en pâtit davantage depuis que son unique compagnie réside en un tas de carne putréfiée.
Lorsqu'il parvient à trouver le sommeil, les réminiscences s'élancent sous ses paupières bleuies, tel un film horrifique qu'il est contraint à visionner. Puis, à ses oreilles s'élèvent les gémissements de souffrance ; témoin de l'horreur, il est figurant, rôle délaissé dans un scénario sanglant et envahissant. Prisonnier d'un esprit malade, il est assis dans un coin de son crâne fracassé. De ses yeux, il voit ; de ses doigts, il touche, mais ses gestes sont téléguidés. Forcé à subir, puis vivre et dépérir. Il n'est qu'une enveloppe chiffonnée, un être manipulé. Le Diable tire les ficelles qui encerclent ses poignets, semblables à du fil barbelé qui creuse sa chair martyrisée. Les images, cruels souvenirs qu'il aimerait annihiler, se rejouent intarissablement tandis que les corbeaux croassent avec acharnement. Comme triste rappel à l'ordre, ils chantent en chœur avec les démons rugissants. Le regard rivé sur un ciel sans étoile, telle une toile sur laquelle serait braqué le projecteur contenant les tristes bribes de son existence, il absorbe chacun de ses râles de douleur. Il avale sa peine, les doigts plongés dans la carcasse grignotée de Priam et retient désormais ses larmes au goût amer de la dépression.
Il est celui qui a porté le coup fatal. Arme au poing, enfin, il était là sans y être. Coincé dans une boite crânienne enflammée, Soren, victime d'une folie furieuse et ingérable. Comment pouvait-il résister face au Seigneur des Ombres ?
Annotations