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Seul dans mon lit, la petite phrase de Camille me titillait. Comment l’aborder sans faire le faux pas, recevoir la rebuffade qui me fermerait les portes ? Lui adresser une parole utilitaire ? Me rapprocher et attendre qu’il me parle ? Lui foncer dessus pour l’agresser verbalement ou lui dire une gentillesse ? Cette dernière solution me tentait énormément : attaquer et être libéré, la grande délivrance ou l’abominable désarroi ! Trop risqué, trop tentant.
J’imaginais mille solutions pour passer à quelques mètres de lui, jouant l’indifférent, tous les sens en éveil, le regard droit devant et les yeux interrogateurs sur lui. Naturellement, j’arrivais à le frôler plusieurs fois par jour. Je remarquais immédiatement qu’il me suivait des yeux, que ceux-ci s’éclairaient un peu, pour autant que leur noirceur profonde pût émettre une lueur. Mais je la percevais avec certitude, me précipitant avant que mon visage laisse afficher mon trouble. Je passais, repassais, attendant la parole, le geste. Déception, déception, encore et toujours. Ce garçon ne m’était rien : pourquoi voulais-je absolument le connaitre, le voir me sourire ?
Camille ne me reparla pas de Charly, mais je devinais dans ses yeux la question permanente qu’il retenait. Je me dérobais en lui lançant des vannes qui ne nous trompaient pas.
J’étais perdu. Je ne percevais rien hormis ses rares demi-sourires. Je tournais, je frôlais, reculais, tentais le regard. Aucune réaction. J’étais invisible alors qu’aussi présent que possible. Cette indifférence me tuait. Je devenais incapable de tout, attendant une ouverture.
Un soir, complètement en transe, alors que le dortoir bruissait depuis longtemps de ronflottements dans le silence, je me levais et osai les onze pas vers mon destin. Je voulais une réponse ou mourir. Je murmurai un plaintif :
– Charly ?
Et j’entendis ces mots merveilleux :
– Viens, je t’attendais.
Mon cœur s’arrêta, explosé par le bonheur. Il avait entrebâillé ses draps et je me glissai dans sa chaleur. Je n’ai jamais dormi avec quelqu’un, surtout pas un garçon ! Pourquoi m’était-il naturel de me lover contre lui ? Il me prit la main et la posa contre sa poitrine, alors que son bras m’entourait. Je m’endormis instantanément.
Je me réveillai endolori. Le lit était étroit et j’étais tassé. Je sentis un corps contre le mien, dans un lit ! La réalité m’assaillit : Charly ! Que s’était-il passé ? Ce n’était pas normal. Je n’avais jamais aussi bien dormi.
J’avais dû bouger trop brusquement, car je le sentis éveillé. Son bras m’enserra plus fort, me collant contre lui. Ma main reposait sur son torse. Je ne bougeai plus, ne voulant pas l’indisposer. Qui était-il ? Que se passait-il ? Pourquoi étais-je si apaisé contre lui ? Pourquoi m’avait-il permis cette si grande promiscuité alors qu’il fuyait tous les autres ?
Quand je me réveillai à nouveau, les bruits avaient commencé dans le dortoir, bien qu’aucun ne fût encore levé. Je m’extrayais délicatement du lit, parvenant à ne pas le réveiller. Ne pouvant résister, j’esquissai un baiser sur ses lèvres, sans le toucher. Pourquoi avais-je envie de l’embrasser ?
Les bruits augmentaient dans le dortoir, on entendait des pas venir. Je me détachai et m’enfonçai dans mon lit glacial alors que je bouillais intérieurement. Quelques minutes plus tard, à peine calmé, je me levai, imitant mes gestes habituels. Ma tête était ailleurs, toujours pressée contre sa poitrine. En même temps, elle tournait à toute vitesse pour essayer de comprendre ce que je venais de vivre.
Passer une nuit dans un lit, avec un mec. Même sans aucun attouchement, cela ne me correspondait pas. Il est le plus imbuvable du lycée et il m’a tendu les bras. Dans lesquels j’avais ressenti un grand apaisement ! Tout ça ne tenait pas la route, c’était délirant, incohérent. Ne jamais recommencer, me promis-je, tout en redoutant une absence d’invitation le soir.
Cet état bipolaire dura toute la journée. Je m’éloignai le plus que je pouvais de Charly et je ne le sentais pas à ma recherche. Mon soulagement souffrait de son délaissement. Le soir, l’interrogation dans les yeux de Camille était trop forte. Je n’avais rien à raconter. Que j’avais dormi une nuit dans les bras d’un garçon ? Que j’étais bien, d’un bonheur que je n’avais jamais connu ! Qui aurait pu comprendre ce qui était opaque pour moi !
Je n’arrivais pas à trouver le sommeil, me tournant dans tous les sens. Je ne voulais pas y retourner. Je ne voulais pas passer mes nuits avec un garçon ! Du reste, Charly m’était indifférent, totalement ! Je ne ressentais rien pour lui !
Je ne pouvais pas, je ne devais pas. Le lendemain, peut-être. Toujours en refusant, je me levai. Avant que je n’aborde son lit, j’entendis à nouveau son murmure :
– Viens !
Pourquoi étais-je à nouveau là ? Pourquoi retrouvai-je calme et apaisement ? Je voulus le serrer fort contre moi. Il se laissa faire. Quand ma main voulut le caresser sous sa veste, il me retint.
– Non, s’il te plait.
Je ne savais plus quoi faire, je me sentais triste. J’étais tellement heureux près de lui et tellement perdu, sans savoir ce que je cherchais, sans savoir ce qu’il voulait. L’effet magique se reproduisit, je m’endormis.
Le soir suivant, je ne me posai pas de question. Dès que les bruits s’estompèrent, je courus rejoindre Charly. Sentir son corps me rendait fou. Immobile, silencieux, je luttais contre le sommeil pour allonger ce moment de fusion.
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