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La fin du premier trimestre approchait, avec les fêtes de fin d’année. Ma vie avait simplement été révolutionnée. Physiquement, je n’avais pas beaucoup changé, toujours aussi maigrelet. Je participais à des activités sportives en fin de journée et je me sentais forcir. Visuellement, cela restait insignifiant, à mon grand désespoir, car je forçais aux exercices jusqu’à me faire mal. C’était Fabrice qui m’avait entrainé dans ces activités. Quand nous revenions du gymnase, en faisant un petit détour, il me commentait le physique de nos camarades, de leur attrait sexuel, de son attirance. Il le faisait avec un humour grinçant et surtout des termes d’une crudité qui me faisait souvent rougir. J’appris beaucoup de choses ainsi sur la sexualité des garçons et sur l’homosexualité. Il ne me le dit jamais ouvertement, mais ses propos étaient clairs et il assumait sereinement sa situation. Cette absence de questions, cette acception tranquille me plaisait.
Il me raconta son initiation, par un vieux de vingt ans alors qu’il avait douze ans, comment il l’avait vécu, la joie de cette découverte. Il me raconta ses progressions, ses amours et ses désespoirs. Il aimait se raconter et j’aimais écouter ses histoires sur un monde que je ne connaissais pas. Un monde qui n’était pas le mien, un monde qui me semblait si proche, si… tentant ? Jamais il ne m’interrogea sur ma vie sexuelle. Il savait ce que nous partagions, mais semblait indifférent à mes autres aventures. Heureusement, comment lui aurai-je décrit ma relation avec Camille, cette amitié fondante ? Comment lui dire ce que je ressentais pour Charly, alors qu’il ne se passait rien ? Lui, en revanche, ne me cachait pas qu’il avait d’autres partenaires. Je n’ai jamais su leur nom, seulement que nous étions plusieurs dans cette classe à avoir des pratiques particulières, selon son expression.
Il me parla de nos échanges, du plaisir qu’il avait avec moi, me répétant qu’il me trouvait excitant. Ces aveux me mettaient un peu mal à l’aise, touché par l’image érotique que je dégageais, troublé par sa nature. Entendre formuler ce que nous faisions le rendait trivial et complètement sexuel. Paradoxalement, cela me déculpabilisait, pour autant que je me sentisse coupable.
Si mes activités avec Fabrice étaient simples, faciles et satisfaisantes, mes relations avec Charly, Camille et Claire, m’apportaient beaucoup de plaisirs et autant de frustrations et d’interrogations. Le monde humain me semblait incompréhensible et trop compliqué. Je regrettais les contes de mon enfance : le prince rencontre la princesse, ils s’aiment immédiatement et ils ont plein d’enfants ! Facile.
Cette complexité apportait cependant d’autres attraits. D’abord, l’amusement, l’excitation, à comprendre, à démêler ces écheveaux. Surtout la richesse de ce qu’il y avait d’associer. La princesse, ou le prince, devaient, finalement, être assez ternes !
D’un côté, Claire et les autres filles, de l’autre Fabrice, Charly. Sans compter Camille, ailleurs, mais aimant. Quel sac de nœuds ! Personne ne m’avait parlé de l’attirance, de l’orientation, de la sexualité simplement. Je retournais ce fatras, me posant des questions sur moi, mes préférences. Je me rendis compte alors que, dans mon cas, tout était dissocié. Pour l’attrait intellectuel, l’esprit, la complicité, Delphine, mais sans tendresse. Pour la tendresse, les caresses, la chaleur, Charly, mais sans les paroles. Pour l’amitié, l’abandon, la confiance, Camille, mais sans le sexe. Pour la jouissance sexuelle, le plaisir brut, Fabrice, mais sans les sentiments. Pour la présence attentive, la sollicitude et les yeux d’amour, Claire. Étaient-ce les circonstances, les personnes ou moi qui morcelaient ainsi ma vie et mes sentiments ? Je tenais infiniment à chacun d’eux et aucun ne me contentait entièrement. Qu’est-ce que je recherchais ? Avec chacun, une félicité absolue, associée à une frustration totale. Je devais mal m’y prendre, voulant le meilleur en refusant d’admettre que la personne parfaite sur tous les plans n’existe pas. Ou si elle existe, on ne peut vivre avec elle, incapable de s’aligner. J’aimais trop chacun pour ce qu’ils m’apportaient. Je ne voulais rien abandonner. On verra bien comment cela va évoluer. Je voulais profiter de chacun de mes trésors.
Une fois posé ainsi, je me sentis heureux, apaisé. J’avais évacué la question de ma sexualité. Fallait-il poser une étiquette dessus, pour quoi faire ?
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