11
Il fit demi-tour. Tous les yeux nous suivaient. Je le pris dans mes bras quand il s’approcha, geste irrésistible, indifférent aux regards des autres. Notre étreinte était ambiguë et pouvait se voir comme amicale, fraternelle ou amoureuse. Nous nous décollâmes et il s’assit dans le fauteuil voisin. Le spectacle étant terminé, chacun repartit dans son occupation. Nous étions tous les deux, pour la première fois à nous regarder face à face.
Je le trouvais encore plus beau qu’au travers de mes regards fuyants. Surtout ses yeux étaient posés sur moi et j’y lisais de l’admiration, de la vénération. Cet instant était aussi intense que nos premières étreintes. Qui es-tu, Charly ? Pourquoi suis-je autant attaché à toi ? Aussi dépendant ? C’est quoi notre relation ? Amitié, amour ? Pourquoi nous limitons-nous à un contact épidermique ? Pourquoi ne dis-tu jamais rien ? Pourquoi ne pas afficher notre relation ? Charly, aide-moi, j’ai trop de questions.
Il me regardait, toujours en silence. Nous avions entendu plusieurs fois la porte battante. Je me retournais. Il ne restait qu’un dernier mec. Bientôt, la porte bâtit à nouveau.
Alors, je lui pris la main :
– Charly, qui es-tu ? Que se passe-t-il entre nous ? J’ai besoin de toi et ton silence me fait fuir. Parle-moi, montre-moi, montre-toi.
– Jamais depuis… depuis longtemps, je n’ai été attiré et ressenti autant de tendresse pour quelqu’un. Tu m’apportes une paix que j’avais perdue. Je viens de loin. Je suis encore loin. Je ne peux pas parler. J’ai juste besoin de toi, atrocement besoin de toi. Épargne-moi. Si tu savais comme c’est difficile. Ne m’abandonne pas, pas une nouvelle fois.
Je me mépris sur ce qu’il voulait dire. Déjà, qu’il ait aligné toutes ces phrases pour moi était un superbe cadeau. Le retrouver, l’aider, mais je ne demandais que cela ! Je me levai, m’approchai, lui baisai la main, puis posais mes lèvres sur les siennes, sans chercher à forcer sa bouche. Nous étions en train de franchir un seuil, de nous rapprocher.
– Hé, les mecs, on joue aux pédés ?
Reculade. Ils étaient deux, hilares, au lieu d’être aucun, des terminales, que nous ne connaissions que de vue.
– Allez, les petites tapettes, amusez-vous bien ! Passez une bonne nuit à vous mettre !
Ils sortirent.
Leur réflexion me fit sauter au visage que j’aimais un garçon. Camille, c’était un ami, plus qu’un copain, un grand ami, pas plus. Fabrice, c’était un amusement qui ne prêtait pas à conséquence, m’étais-je assez répété. Avec Charly, nous n’avions rien fait, à peine une esquisse de caresses. On ne pouvait même pas appeler ça des caresses. Mais ce que je ressentais pour lui, pour moi, c’était de l’amour. L’infirmière me l’avait dit, je n’avais pas voulu entendre. J’aimais un garçon ! Il fallait que j’ouvre les yeux, que j’accepte mon orientation sexuelle. Enfin, je ne savais pas bien. Je jouais avec Fabrice, mais il n’était qu’un camarade pour moi. J’aimais Charly, mais il n’y avait rien entre nous.
Je regardais Charly, sans doute un peu atterré :
– Je n’avais pas réalisé que j’étais homo…
– T’es con ou quoi ? Laisse ces cons penser ce qu’ils veulent et viens avec moi, j’ai tellement besoin de toi !
Encore plusieurs phrases d’affilée ! Causer avec lui devenait possible. Quelle ouverture soudaine ! Nous regagnâmes le dortoir et bientôt son lit, dans le silence obligé du lieu.
« J’ai tellement besoin de toi ! », ses mots revenaient en vagues dans ma tête. Roulantes : « Oui, je veux être là pour toi ! » Déferlantes : « Pourquoi as-tu tant besoin de moi ? ». Finissantes : « Et moi ? Pourquoi ai-je besoin de toi ? ». La vague suivante arrivait, reprenant les questions, ma main posée sur sa poitrine apaisée, mes yeux humides. Que c’était dur d’être et ne pas être !
Les jours suivants, il reprit son caractère distant et taiseux. J’arrivais cependant à arracher quelques mots. Au moins, il m’écoutait. Je lui ai raconté ma vie, particulièrement banale et sans intérêt. Je ne savais toujours rien de la sienne. Il ne me disait rien, je n’attendais rien.
Nos nuits communes se sont espacées. J’évitais d’aller me blottir contre lui, les lendemains devenant plus douloureux. Quand je sentais qu’il souffrait de mon absence, je le rejoignais. Il me prenait dans ses bras. Je ne bougeais pas, ne sachant pas pourquoi, cette fois encore, j’avais cédé. Demain, son silence me torturera encore plus. Il me serrait fort, avec délicatesse. Je voulais partir. Et puis, le déclic se produisait. Je sentais son énergie me remplir. Je flottais dans la paix, le bien-être. Je devais vibrer de la même façon, car son étreinte devenait plus souple et plus solide. Le matin, je le quittais et je tombais en morceaux, me jurant de ne pas revenir, jamais, trop dur.
Nous ne bougions pas durant ces nuits, nos mains posées sur l’autre, immobiles. Une nuit, cependant, emporté par un élan, ma main a glissé vers son bas ventre. Elle soulevait la ceinture de son pyjama quand sa main m’arrêta. Il souleva cette main fureteuse et murmura :
– Non, s’il te plait, pas encore, pas maintenant, je ne sais pas. Ta tendresse, oui, beaucoup. Le reste…
Décidément, il ne parlait que dans les situations extrêmes. Je n’avais qu’une envie, fuir cette attirance funeste. Je n’avais qu’une envie, me fondre en lui, le trouver enfin, lui.
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