19
La rentrée arriva vite et je retrouvais mon petit monde, malgré ses amputations. Une longue accolade avec Camille, après nous être précipités l’un vers l’autre, me permit de comprendre l’importance et la force de notre lien. Je l’avais oublié durant tout cet été, mais sa vue avait tout ravivé. Comment avais-je pu ne pas penser à lui pendant si longtemps, cet adoré ?
Avec Charly, ce fut plus distant, inévitablement. À peine un sourire ! Que pouvais-je espérer de plus ? Mais au coucher, son regard exprimait une telle demande que je le rejoignis dès les lumières éteintes, sans attendre la fin des allées et venues. Retrouver sa douceur et sa chaleur, ses mains sur mon corps me faisait frémir. Comment avais-je pu me passer de ce contact pendant toutes ces semaines ? Je retrouvais ma drogue, ne me sachant pas dans un tel état de manque.
Les retrouvailles avec Claire furent splendides, à son image. La tenir à nouveau dans mes bras me fit retrouver sa douceur. Ses yeux restaient d’une profondeur confusante. Elle me raconta ses vacances, dont une grande partie avec Delphine. Elle parla abondamment de leur relation, dans ses aspects les plus intimes. Je découvrais un monde, pas très différent du mien, symétrique et inaccessible. Ses doutes et ses envies étaient trop similaires aux miens pour que je ne résonnasse pas intensément à ses récits. Pour ma part, je lui racontais mon weekend avec Édouard, que je lui avais dissimulé, et surtout mes échanges avec Élias. Je lui montrai une photo. Elle me dit qu’il pouvait être rangé dans les garçons qui lui faisaient tourner la tête, comme moi, son préféré, son premier amour masculin.
Nous parlâmes beaucoup et longtemps ces premières semaines. Sans nous le dire, mais marchant dans le même sens, notre relation évoluait. Le côté physique perdait en force, mais gagnait en subtilité, avec de petits gestes, des attentions, des regards et des sourires. Le côté sentimental explosait, nous étions en communion, car trop semblables. Elle devint mon autre confidente. Ente Claire et Camille, j’avais maintenant deux piliers indestructibles.
Quand je revis Édouard, son accueil fut plus que chaleureux. Je ne l’avais pas oublié. Immédiatement, j’eus des fourmis dans le corps.
Je retrouvais tous les autres camarades avec plaisir.
Laure se remit près de moi avec une telle discrétion que je mis plusieurs semaines avant de la remarquer.
***
Certaines avaient perçu les changements dans ma vie sentimentale, le changement avec Claire. Je semblais à nouveau disponible. Deux d’entre elles se mirent dans la tête que leurs charmes irrésistibles suffiraient à me conquérir.
Sandrine et Charlotte étaient deux amies inséparables depuis l’année précédente. Différentes, elles étaient aussi parmi les plus belles filles de la classe. Je ne vis pas venir le coup et ma naïveté les aida énormément. Sans que je m’en rende vraiment compte, elles apparurent et s’incrustèrent dans mon cercle rapproché. J’étais au septième ciel, flatté de cette cour permanente. N’ayant rien demandé, les trouvant attachantes, seul mon charme irrésistible pouvait être la cause de leur assiduité. Elles appliquaient, sans le savoir, la même démarche qu’Édouard. Décidément, je restais le corbeau sur sa branche gobant les flatteries.
Un premier accrochage entre elles et Claire me fut désagréable. Pourquoi mes amies ne pouvaient pas s’entendre ? Claire me rudoiera en m’expliquant :
– Elles sont en train de jouer avec toi, c’est évident. Elles te draguent pour se prouver je ne sais quoi.
– Mais non, c’est juste deux copines très sympas
– Ouvre les yeux. Elles t’aguichent, te font bicher. Tu fais le petit coq devant elle, tu sors des vannes stupides qui les font s’esclaffer, ça ne sent pas bon !
– Tu es jalouse ?
– Certainement pas.
– Tu as raison. Tu sais que je t’aime, toi. Pour Charlotte et Sandrine, je n’ai aucun sentiment. Des copines.
– Oui, je sais. Mais je veux te protéger. Je ne veux pas que tu souffres. Tu ne sais pas ce que c’est, un chagrin d’amour.
Oh, si, je le savais, déjà, trop tôt.
– Je ne les sens pas. Fais attention à toi, Sylvain.
Les choses s’améliorèrent. Ce que je ne perçus pas, c’était l’évitement entre elles. Quand j’étais avec Claire, Sandrine et Charlotte ne m’approchaient pas. Et réciproquement. Peu m’importait. Plus j’avais d’admiratrices, plus fort et plus beau j’étais.
Évidemment, Camille ne restait pas muet sur le sujet. Le soir, il reprenait nos conversations, auxquelles il assistait la plupart du temps. Il moquait mes attitudes, mes sourires, mes pavanes. Il assassinait mes deux adoratrices, soulignant leurs manières, leurs minauderies, leurs flagorneries. Il me faisait plier en deux, sans que j’arrive à prendre du recul. Je ne percevais pas son message derrière ses singeries.
Sandrine et Charlotte se calmèrent un peu. Toujours très présentes, nos conversations étaient plus sérieuses, elles se montraient moins gamines. Je commençais à les apprécier. Autre évolution, elles n’étaient plus toujours ensemble.
Avec chacune, des mots plus tendres apparurent. Je restais sur mon nuage, d’autant que j’étais à nouveau en froid avec Charly, envolé sur sa banquise. Elles étaient mon refuge, me permettant d’oublier les coups de couteau dans mon cœur. Avoir deux petites amies, presque, en même temps, sans qu’elles se jalousent, quel bonheur. Claire s’était éloignée. Je savais que je la retrouverais quand nous le voudrions. Pour l’instant, Charlotte et Sandrine m’apportaient la chaleur nécessaire.
Plus les mots et les gestes devenaient tendres, plus la situation devenait tendue. Ce fut d’abord de petites questions anodines de l’une sur l’autre. Que pensais-je d’elle, de son amie ? Quand des gestes plus intimes apparurent, il fallait dire si j’avais fait la même chose avec l’autre. Mon premier baiser avec Sandrine fut gâché par mon premier baiser avec Charlotte. Plus je me glissais dans de doux sentiments, plus les pointes étaient acérées. Claire était aux abonnés absents. Personne pour m’expliquer la psychologie féminine et ce qui était en train de se passer. Camille ne singeait plus rien, ignorant mes rencontres discrètes. Voyant bien que je perdais pied, devinant la cause, en ignorant les détails, il m’interrogeait pour comprendre. Je ne lui répondais pas, perdu dans les reproches et mes amours naissantes pour l’une et l’autre. J’essayais de ne plus les voir, déclenchant des cataclysmes en retour. Chacune me réclamait l’exclusivité. J’appris qu’elles étaient brouillées, fâchées à mort. Quel gâchis !
Finalement, je fuyais, esquivant l’une et l’autre, dès qu’elles approchaient. Cela envenima les choses. Claire, ma lumineuse, revint à moi. Elle avait suivi la situation de loin. Je pense aussi qu’elle avait échangé avec Camille. Il ne se parlait pas plus que cela, mais comme nous étions à la même table le soir, ils savaient ce qu’ils étaient pour moi. Elle me prit entre quatre yeux. Elle ne chanta pas victoire, sa prédiction s’étant réalisée. Charlotte et Sandrine étaient des filles sympathiques, absolument pas méchantes ou vicieuses. Elles étaient brouillées, elles étaient malheureuses. Et moi, je ne valais pas mieux.
Elle proposa un plan de sauvetage. Je n’étais pas responsable, mais il n’y avait que moi pour redresser la situation. Une bonne explication face à face, séparément, avec chacune, pour leur dire l’amitié que je leur portais, le regret de ces dérapages, l’imbécilité de leur dispute. C’était forcément deux moments difficiles à affronter, mais sans doute le retour de la paix ensuite. En me parlant, Claire était encourageante et protectrice pour moi. Elle m’embrassa pour finir de me préparer et je partis guerroyer. Ce fut bien sûr l’ambulance que je fis. Les larmes furent à la mesure des blessures. Comme cela était resté superficiel, quelques accolades de réconfort et de consolation permirent de finir avec un sourire et un baiser, le dernier, pour se dire l’affection amicale qui restait.
Je n’ai pas aimé ces explications et ces raccommodages, pourtant nécessaires. Sandrine et Charlotte sont redevenues les deux plus grandes amies du monde.
Elles étaient toutes les deux en extases devant moi et elles avaient décidé de tenter simultanément leur chance, en toute amitié ! Petite expérience de prise de pied dans le tapis.
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