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Mes capacités d’observation avaient fortement progressé grâce à mes échanges avec Camille, sauf, bien sûr, en ce qui me concernait ! C’est donc Camille qui me parla de Marianne, maintenant que Sandrine et Charlotte avaient rendu mon cœur disponible. « As-tu seulement remarqué Marianne ? » me lança-t-il un jour, peu après cet épisode.
Marianne était demi-pensionnaire, un peu boulote, mais pas grosse, plutôt petite, des cheveux en casque noir encadrant un visage bien fait, très blanc, avec des yeux sombres, vivants et intelligents. Parfois, rarement, un sourire éclairait tout cela. Une fille discrète dont il était évident qu’elle méritait mieux, comme beaucoup d’autres.
– Marianne, qu’est-ce qu’il y a avec elle ?
– Rien ! Elle te dévore des yeux sans arrêt !
– Moi ? Pourquoi ?
– Tu es le roi des cons !
Je ne savais pas si j'avais envie de me lancer dans une nouvelle relation. J'étais heureux d’avoir Claire comme amie, mais cela avait été un choc. L’histoire avec Sandrine et Charlotte m’avait fait comprendre que les filles étaient compliquées, même si elles étaient attrayantes. Marianne, je savais depuis longtemps qu'elle me regardait. Il ne se passait rien. J'avais fait une tentative avec Laure, avec un résultat déroutant. Les prises de tête, c’était terminé !
– Je vais voir !
Comme réponse, c’était un peu court, mais Camille dut s’en contenter.
Dès le lendemain, j’observais plus attentivement Marianne. Plusieurs fois nos yeux faillirent s’accrocher, déclenchant une décharge d’adrénaline après l’évitement. Que se passait-il ?
Camille me rassura.
– Tu n’as rien à faire. Si elle veut quelque chose de toi, c’est à elle d’avancer. Mais il faut que tu montres que tu es ouvert à ses approches.
Camille, je pense, avait deviné ce qui allait advenir. Il ne m’en parlait plus, mais son silence était plus interrogateur que ses paroles.
Sans raison, j’étais complètement bloqué et obnubilé. Quand nos yeux s’accrochèrent, ce fut un coup de fard d’autant plus gênant qu’il était réciproque. Je me confiai abondamment à Camille. Maintenant, c’était lui qui avait l’ascendance dans notre relation, qui savait et qui aidait. Il m’accueillit d’un sarcasme :
– C’est plus facile de niquer un garçon que de regarder une fille dans les yeux, on dirait !
Facile, il n’était pas concerné, lui, pensai-je méchamment !
Le lendemain, elle me dit, un petit bonjour. C’était si gentil, si beau, que je lui répondis avec un de mes plus beaux sourire, venu du fond de mon cœur. Et après ? Que fallait-il faire ? Heureuse sonnerie qui mit fin à cette situation. Elle me lança un « À toute à l’heure ! » qui me fit rêver pendant tout le cours.
À la pause, nous avons pu échanger des paroles anodines. Au repas, une bonne distance permit de ne pas donner l’impression de draguer. Approche lente, légère, mais ô combien frustrante et stimulante ! Mon mentor, au courant de chaque parole, de chaque geste, commentait et me guidait, puisant son savoir je ne sais où, mais certainement pas dans ses expériences.
Je cédais au charme, à la gentillesse, à la douceur de Marianne. Je découvrais des rapports humains différents de ceux habituels, si superficiels. Ses yeux interrogateurs m’obligèrent à lui parler de mes premières expériences féminines. Ah ! ses yeux auxquels je n’ai jamais su me soustraire, incapable du moindre secret vis-à-vis d’elle.
Ma relation avec Claire ? Une amourette sans lendemain, sans dévoiler les raisons. Mes aventures avec Charlotte et Sandrine ? Bien sûr, elle les connaissait. Ces deux-là avaient abondamment raconté les péripéties de leur histoire, à leurs copines, mais toutes les filles étaient au courant. Sur la fin de l’histoire, Marianne n’avait pas trop compris, car les dénouements variaient selon les narratrices. Je lui donnais ma version et mon sentiment de gâchis.
Elle savait tout. Enfin, tout de mes relations féminines. Je ne savais comment aborder mes relations masculines. Je voulais lui dire que j’avais eu des rapports avec des garçons, je voulais qu’elle me connaisse dans tous mes aspects, par respect, mais surtout par crainte de la perdre si jamais elle l’apprenait plus tard. Je voulais qu’elle m’accepte comme la chimère sentimentale et sexuelle que j’étais.
C’est elle qui amorça :
– Et Camille ?
– Mais Camille, ce n’est pas pareil, c’est mon ami, de l’affection beaucoup d’affection, énormément, mais rien d’autre.
– De l’amour ?
– Presque, oui, on peut dire, car je l’aime, dans le registre de l’amitié.
Où je me suis étonné, c’est quand j’ai réussi à évoquer mes attirances. J’avais énormément réfléchi aux mots à employer et à ce que cela représentait pour moi.
J’aimais la simplicité et les jouissances extrêmes avec un mec. Avec Fabrice, cela m’avait plu, avec Édouard, chaque weekend était une extase. Avec lui je ne me posais plus de questions, trouvant autant de plaisirs dans toutes les activités. Je ne me sentais pas être homosexuel, car aucun autre garçon ne m’attirait. De toute façon, ce que j’avais compris était que l’homosexualité dangereuse était celle avec un adulte. Édouard était un copain. J’étais fou de son corps, mais nullement amoureux, même si je l’appréciais fortement ainsi que nos discussions.
Élias était mon petit frère. Nous avions joué ensemble, sans malice et sans honte. Charly était mon doudou. Il n'y avait rien entre nous, juste un échange d'énergie, sans avoir besoin de mettre des mots.
Je commençais en parlant de Fabrice. Marianne me fit comprendre que les détails ne l’intéressaient pas. Elle voulait savoir si c’était juste du sexe ou s’il y avait du sentiment. Ses questions étaient directes, personnelles, très intimes. Je n’avais pas forcément la réponse alors que je m’étais tourmenté sur ces points.
Je me sentais en confiance, comme si nous nous connaissions depuis longtemps. J’étais aussi bien avec elle qu’avec Camille. Je suis allé chercher des réponses à des questions que je ne me posais pas. Oui, mon sexe me menait et je trouvais celui des garçons excitant. Les garçons et les filles, je les admirais pareil.
Sa préoccupation était de savoir si je pouvais, si je savais aimer. Mes orientations étaient sans importance, elle voulait mon cœur, sans risquer la chute fatale. Cet examen a duré longtemps, mais j’ai dû le réussir, sans savoir que je le passais, quand elle me dit :
– Tu es quelqu’un de bien, je voudrais beaucoup me rapprocher de toi, être dans tes sentiments, si tu le veux bien.
Marianne m’avait écouté, sans jamais juger, pour le plaisir de me découvrir, de me connaitre. Pris par ses questions, je ne l’avais pas questionné sur elle. Par moment, je me taisais et, alors, elle se mettait à parler d’elle. Elle décrivait simplement sa famille, son enfance, ses activités, ses copines. Je m’aperçus bien vite que ces échanges me devenaient indispensables. J’aimais ces moments enchanteurs de partage, de connaissance mutuelle.
***
Je sentais Claire s’éloigner de moi au fur et à mesure que Marianne me devenait plus chère. Cela me faisait mal. Je suis allé la rechercher, lui dire que mes sentiments pour elle étaient entiers, intacts. Si elle me quittait, elle ferait un grand trou dans mon cœur. Elle faisait partie de moi, pour toujours. Un baiser amical souda notre nouvel accord, inchangé et constant depuis.
Elle rencontrera un mec formidable, elle aura deux filles. N’empêche que je serai le seul à connaitre ses aventures féminines, une distraction nécessaire, « comme la salle de sport », me dira-t-elle. Jusqu’au jour où je l’engueulerai durement : elle était partie dans une amourette avec une gamine à peine plus âgée que son ainée adolescente, prête à tout plaquer. La crise de la quarantaine ! Une bonne claque éteignit l’incendie. C’est ça, l’amitié vraie, on peut, on doit tout se dire et protéger.
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