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Nous sommes restés la journée. Il n’aborda plus son histoire. Il ne me parla pas non plus de lui. Il me dit qu’il était content d’avoir osé m’amener ici. Je n’étais pas n’importe qui pour lui, même s’il ne pouvait pas me le montrer. Il m’envoya plein de choses positives, que je lui retournai. Malheureusement, les miennes portaient sur son physique, sur nos rapports. J’aurais souhaité les étendre à son caractère, à sa personnalité, mais, finalement, je ne le connaissais toujours pas. Il m’avait donné une clé, mais il y avait tellement d’autres choses. Je mettais quand même l’accent sur son intelligence, ses capacités, disant que j’étais content de ne pas être en rivalité avec lui sur ce plan. Il me dit qu’il avait été favorisé. Ses grands-parents, sa mère, étaient des intellectuels, et son père ne devait pas être un imbécile. Il me redit que le travail était un refuge pour lui. Puisque j’étais si fort, il me proposa une partie d’échecs. Je ne savais pas y jouer, il était un champion.
Nous n’avons parlé qu’assez peu. J’étais encore sous le coup de son histoire, de notre partage.
Le lendemain, nous sommes repartis. J’étais gêné par le désordre que nous avions mis. Il me dit de laisser tomber. Je remis quand même un peu d’ordre, voulant exprimer mon respect pour ces lieux.
Le retour fut silencieux, comme à l’aller, comme si le voyage lui permettait de s’éloigner de ses cauchemars. Je digérai ce weekend éprouvant. Que de choses à ranger dans ma tête ! Je me mis à rêver. Je faisais un parallèle avec Camille. Sans le vouloir, je l’avais aidé à se libérer. Charly aussi avait besoin d’être libéré, j’allais peut-être pouvoir aussi l’accompagner. Au-delà de cette faible similarité, je réalisais que c’étaient deux situations très différentes. Camille avait toujours été comme il était, il le vivait bien. C’était avec l’adolescence qu’il avait commencé à se replier. Il était solide intérieurement. Le petit intérêt que je lui avais porté lui avait permis d’ouvrir la porte. Pas grand-chose pour un grand résultat. Charly, Vincent, c’était autre chose. Il avait été traumatisé violemment. Je pouvais me tenir à côté de lui, me donner, être présent, c’était tout. J’étais désespéré par ce constat.
Plus le train avançait, plus une gêne me taraudait. Je pensais à la joie de retrouver bientôt Camille et Marianne quand cela me sauta aux yeux : j’avais passé une nuit d’amour avec une personne que j’aimais. Je venais de tromper Marianne. Même s’il n’y avait rien entre nous, ma nuit avec Charly était un nuveau coup à notre relation. Je ne regrettais pas cette nuit, bien au contraire. Je regrettais d’avoir trompé Marianne. Je ne pouvais vivre les deux à la fois. Quel désespoir ! Un de plus. Je m’effondrais, entassé sur mon siège, avec un mal de ventre qui me piquait les yeux.
À côté de moi, Charly, ou Vincent, était perdu dans son enfer, insensible à ma souffrance.
Il accepta ma main. Je ne compris que bien plus tard qu’il n’y avait pas que la voiture, sa mère et sa sœur qui ont brulé ce jour terrible : Charly, Long, était carbonisé de l’intérieur. Ses sentiments, ses affectations, ses émotions, ses intérêts, tout était parti, restaient la suie et les idées noires.
À l’arrivée, à peine un au revoir avant que je ne visse plus que son dos. Ce mec était infernal. Qu’étais-je pour lui ? On ne traite pas son chien comme ça. Ça me faisait mal, mais je ne lui en voulais pas. Il fallait que j’apprenne à le haïr.
Le retour à la maison, la joie des fêtes de fin d’année, je n’étais pas là. Aux questions de mes parents, je répondis que j’étais anxieux, car un de mes amis allait très mal. Non, vous ne le connaissez pas.
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