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Ses parents m’accueillirent à bras ouverts, moi, le sauveur de leur fils, me remerciant encore et encore, dès qu’Élias s’absentait une seconde. Je n’en pouvais plus ! Je percevais que, fondamentalement, ils n’avaient toujours pas accepté que leur fils soit homosexuel. Cela faisait plus de cinq ans qu’il y avait eu le clash. Je savais qu’Élias leur avait présenté Xavier. Leur refus surgissait au détour d’une phrase, dans une attitude. Ce non-dit, en contradiction avec l’affection qu’ils lui montraient, était insupportable. Après le midi, sa mère me dit qu’elle avait préparé la chambre d’amis. Nous montâmes à l’étage avec Élias et je découvris sa chambre, avec un grand lit. Devant ma stupéfaction, il me dit qu’il avait toujours eu ce lit, mais qu’il l’avait toujours occupé seul. Le jour où Xavier était venu, ses parents s’étaient arrangés pour qu’il reparte le soir.
Il avait besoin de moi. À sa demande, je me glissais à côté de lui. Il se lova contre moi et commença à parler. En fait, je m’aperçus alors que je ne le connaissais pas. Nous avions passé des moments de vacances idylliques ensemble, mais j’ignorais tout de lui. Il commença en me disant que depuis sa sortie de l’hôpital, il était suivi par un psy. Il n’avait jamais envisagé cette démarche, mais elle lui apportait beaucoup, il commençait à mieux se comprendre. Entre ses révélations de cette nuit et celles, nombreuses, qui suivront au fil de nos années, j’appris son handicap : sa beauté !
Depuis toujours, sous prétexte qu’il était « mignon », « beau », « à croquer », tout un chacun se croyait autorisé à l’embrasser, le caresser, le toucher, comme ces statues de saints, dispensateurs de bienfaits, usées par les bigots. Gestes toujours accompagnés d’un rictus qui se voulait sourire. Cela le dégoutait. Un jour, tout petit, il avait violemment rejeté un de ces attoucheurs. Comme si ces papouilles dégoulinantes avaient à voir avec de l’affection ! On ne s’intéressait jamais à lui, à ce qu’il pensait, à ce qu’il aimait. Il n’y avait que sa figure, son corps, sa beauté. Tout le monde le regardait, se retournait. Mais son physique, ce n’était pas lui, il n’avait rien fait pour être comme ça. Il ne pouvait pas se protéger. Tout le monde voulait être son ami, le toucher. Il était un aimant attirant tout, surtout les pires. Il ne faisait plus attention, me dit-il. Mais je savais qu’il était toujours sur ses gardes.
Je l’accompagnais, lui avouant que je me rangeais dans ses parasites, car, c’est vrai, j’étais envouté par sa beauté. Mais je l’aimais aussi pour sa gaité, son esprit. Il me dit que, depuis tout petit, j’avais été comme un modèle, le grand frère protecteur. À force de passer nos vacances ensemble, je finissais par oublier et ne trouver en lui qu’un agréable compagnon de jeu. Je l’aimais, car il me vouait une admiration sans limites, tels ces amours d’enfant, complet, absolu.
– Ce n’est pas toi que j’aimais, mais ce que tu me donnais.
– Justement, toi, tu ne m’aimais pas pour ma beauté, mais pour autre chose.
– C’est quand même bien égoïste !
– Mais tu prenais soin de moi, m’expliquant les choses. Je n’ai jamais senti avec toi ce regard écorcheur et avide que je trouve chez les autres.
– Mais je te trouve très beau quand même, tu sais, je ne suis pas différent des autres.
– Non, mais il y a autre chose. Xavier, c’est un mec formidable. En plus, il est doux et gentil, prévenant. Notre vie ensemble était un bonheur de chaque instant.
– Mais…
– Mais, il m’adorait, me statufiait, me répétait ma perfection à chaque occasion. Il ne s’intéressait pas à moi, à mes sentiments, mes pensées, mes actions de la journée. Uniquement de l’adoration. Trop intense, trop permanente, trop insuffisante.
– C’est lui qui est parti ?
– Oui, par ma faute. Je ne le supportais plus, tout en voulant continuer à ce que nous nous voyons. Je me suis rendu odieux. Il m’a claqué la porte au nez, refusant tout contact, tout message. Je crois que je lui ai fait beaucoup de mal. Je n’ai aucune nouvelle. Il a dû apprendre pour moi, et comprendre pourquoi. Il n’est pas venu me voir. Le connaissant, il doit m’en vouloir. J’ai dû être horrible.
– Mon bel Élias comme démon ! Pourquoi pas, après tout ! « L’ange cachait un démon ! », va-t-on lire dans les journaux !
– Tu vois, toi-même tu as du mal à voir autre chose en moi.
– Je te connais et je sais que tu peux être un peu pervers et blessant, mais très, très, très rarement ! Désolé de te le dire !
La conversion reprenait, alternant avec des silences agités. Soudain, il ne parla plus, ne bougea plus. Je sentais sa respiration calme sur ma poitrine. Nous n’étions pas loin du matin. Je me mis à lui parler dans ma tête :
– Ce que je t’en veux ! Tu as failli te tuer, pour des états d’âme, tu as failli partir, me quitter. Tu n’avais pas le droit, il fallait m’appeler au secours !
– Non, excuse-moi, tu l’as fait. La veille, nous avons passé plusieurs heures au téléphone. Tu semblais apaisé quand tu as raccroché. C’est moi, c’est ma faute. Je n’ai pas assez entendu ton appel.
– Élias, ne recommence JAMAIS !
Le lendemain de cette première nuit de discussion, la mère d’Élias me remercia d’avoir fait mon lit. Je n’avais pas pénétré dans cette chambre d’amis et mon sac éventré trainait dans la chambre d’Élias. Je ne comprenais pas leur attitude. J’avais été entrainé dans des groupes de militants de la cause gay. Personnellement, je ne pensais pas avoir grand-chose à revendiquer, mais l’ambiance, souvent délirante, et le niveau de réflexion sur les questions de notre monde, étaient une motivation amplement suffisante.
Je proposais à Élias d’affronte ses parents, pour leur expliquer la vie, comme je l’avais fait avec mes parents.
– Non, je ne préfère pas. Tu sais, fondamentalement, ils refusent que je sois gay, je ne sais pas pourquoi. Pourtant, ils le savaient bien avant moi.
– Je sais, ta mère me l’a dit.
– D’un autre côté, je sais qu’ils m’aiment, comme des parents aiment leurs enfants, absolument et sans contrepartie. J’ai besoin de cet amour. Alors je vis, nous vivons, avec ce paradoxe : « Je ne veux pas savoir, mais je t’aime ». C’est un drôle d’équilibre, mais il dure depuis le fameux été. Je ne veux pas les bousculer, les faire basculer dans je ne sais quoi.
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