Ma vie avec Camille
Dès que je le pus, à chaque vacances, je retrouvais Camille pour notre grande joie. C’était toujours une détente extraordinaire, une liberté sentimentale, affective, spirituelle, physique totale. Une seule vibration.
Quand Camille m’annonça que Marianne avait rompu avec son mec, ma première réaction fut la joie. J’allais pouvoir retrouver celle qui était si chère dans mon cœur. J’avais honte de cette réaction, car Marianne m’avait attendu, longtemps, laissant sans doute passer des occasions bien meilleures que moi. Je l’avais boudée pendant plus d’un an, pas de quoi être fier. Quand même, une immense envie de la serrer à nouveau dans mes bras me monta du cœur, si elle le voulait bien.
Nos retrouvailles furent bizarres. Elle était venue m’attendre à la gare, sans savoir qu’Eugénie m’accompagnait. Une scène incroyable allait se jouer. Les deux filles étaient très heureuses de faire connaissance, chacune ayant entendu parler de l’autre, abondamment. Nous avons pris un café comme une bande de vieilles copines, dans la bonne humeur. Chacune jouait son rôle, parfaitement, sans le connaitre, puis elles se firent la bise, partirent, sans voir que je ne savais avec laquelle je devais partir. Je restai KO un petit moment et partis assommé dans mon refuge préféré.
Chez Camille, je retrouvai Marianne. Je pus lui dire bonjour librement, m’excuser pour mon attitude, la serrer contre mon cœur et l’embrasser avec mon affection totale, intacte. J’étais tellement heureux de la revoir. Cela dura un bon bout de temps, avant que Camille ne réclame aussi son bonjour.
Je me tournai vers lui, le pris dans mes bras et l’embrassai tendrement sur la bouche, comme nous le faisions maintenant, depuis nos étés communs. Dans ce contact, je ressentis quelque chose de spécial. Embrasser Marianne m’avait fait plaisir, très plaisir, semblable à celui que j’éprouvais quand j’étais avec Eugénie, ou avec Charly. Mais avoir Camille dans mes bras et l’embrasser, c’était ça que je préférais. Camille, iel est tout pour moi. C’était toujours une onde de bonheur qui me descendait dans le corps.
Nous étions heureux de nous retrouver, d’être là, cette bande des trois. Nous étirions le temps. À un moment, alors que Camille s’était absenté deux minutes, Marianne me dit qu’elle était contente, car il était évident que ma relation avec Camille était d’une force incroyable. Elle avait vu ce que j’avais ressenti. Je lui dis que je me sentais vraiment bien avec Camille. Elle m’interrogea sur Eugénie. Je lui dis la fille formidable qu’elle était, tout ce qu’elle possédait et offrait, qu’elle m’avait ouvert aux plaisirs féminins, mais que nous savions que cela se terminerait bientôt par une belle amitié éternelle. Nous avons parlé de Charly, d’Élias. Elle me dit que j’avais une vie sentimentale riche, que chaque lien que j’établissais était profond, entier, pour finir par sa vraie question : « Et nous ? Et moi, où suis-je maintenant dans ton cœur ? »
Cette question, je ne me l’étais pas posée. Nous venions de nous retrouver, mes autres liens avaient bougé, fortement. Je lui répondis que je ne savais pas. Ce que je voulais, ce que j’espérais, c’est que nous puissions reprendre notre progression, avec tout ce qui s’était passé, pour elle, pour moi. J’avais changé, ce ne serait pas comme avant. Je voulais vivre avec elle, demain. Mais après nous être retrouvés. Elle me sourit : « Reprenons pied et voyons ! ». Elle me dit sa joie d’avoir encore sa place dans mon cœur, la mienne n’avait pas bougé dans le sien. Je ne compris pas et ne voulus pas l’interroger sur sa relation de plus de deux ans avec Arnaud.
Pour cet été-là, les vacances étaient organisées de son côté et pour moi, de toute façon pris par un stage. Nous nous sommes promis de ne plus nous quitter, de nous revoir dès que possible.
À la rentrée, je retrouvais Eugénie. Mon plaisir était immense. Je pensais à Marianne, que j’aimais, je pensais à Eugénie, que j’aimais. Vivre avec l’une n’entamait en rien mon amour pour l’autre, même si elle était éloignée momentanément. Ma vie avec Eugénie reprit dans toutes ses plénitudes. Aux vacances, je retrouvais Marianne avec grand bonheur. Je ne m’étendais pas trop avec chacune sur cette double vie, car de toute façon, l’une allait s’amoindrir et l’autre se déployer. Nous savions avec Eugénie que notre relation durerait aussi longtemps que nous, mais que ce ne serait pas ensemble. Trop de choses nous séparaient et trop de choses nous rapprochaient pour ne pas continuer, autrement.
***
La fin de la scolarité me permit de m’établir avec Marianne. Nous avions trouvé un petit appartement. Nous étions bien ensemble. Nous nous câlinions, nous nous embrassions, nous faisions lit commun. Mais ni elle ni moi ne semblions presser d’avoir une première relation. (Je semblais abonné aux nuits chastes dans les lits de mes amours !) Nous savions qu’une première fois serait pour toujours. Quelque chose nous retenait encore.
Je lui racontais la curieuse découverte que j’avais faite : ma relation avec Eugénie m’avait complètement assagi ! Je lui avouai que j’aimais toujours regarder les beaux hommes, mais que sexuellement, j’avais été irréprochable. J’avais fait une seule entorse pendant ces trois années, lors d’une soirée d’anciens du lycée. J’avais retrouvé Édouard et nous avions fini la nuit ensemble, par nostalgie, pour nous dire un au revoir mémorable. Elle sourit. Puis elle me dit qu’elle voulait des enfants de moi. Pour en avoir, il faut des rapports non protégés, donc une vie sexuelle exclusive. Pour un tel enjeu, je lui promis la sagesse.
En revanche, cette fin de scolarité m’éloigna considérablement de Charly. Il avait acheté un appartement, grandiose, dans Paris, avec du personnel pour le gérer. Comme il avait vendu la villa de Marseille, il avait une petite pièce dans laquelle il avait regroupé les objets précieux de là-bas, notamment les deux médaillons. J’essayais de le voir le plus souvent possible, mais le fossé se recreusait. De toute façon, il tournait en rond. Pour sa sœur et sa mère, il était apaisé, triste, mais serein. Il n’arrivait pas à attaquer son père.
Il ne travaillait pas, inutile. Il ressassait. Il avait donné une grande partie de sa richesse à des associations, comme en expiation de sa source. Je lui conseillais de s’investir dans ces actions. Il le fit, il abandonna, il partit faire le tour du monde, dans les plus grands palaces, puis à pied, dans les pires conditions. Les années passèrent et il continua à tourner autour de son enfer. Il rapporta une maladie bizarre qui allait l’épuiser puis l’emporter. Bien avant lui, j’avais déjà enterré trop des copains, emportés par la vague du sida.
Ma vie avec Marianne était heureuse. Nous avions franchi le cap et nos échanges étaient riches et complets. J’aimais le regard qu’elle posait sur moi le matin. Petit à petit, cependant, une distance s’est établie. Nous nous aimions, mais il nous manquait quelque chose. Camille était le plus souvent avec nous. Nous passions nos vacances à trois, ne sachant dire qui aimait le plus qui.
Alors qu’iel s’était absenté une semaine pour son travail, je me suis rendu compte que sa présence, finalement, avait plus d’importance pour moi que celle de Marianne. Cela a été long à comprendre, puis à accepter. Avec Marianne, nous avons longuement discuté. Camille ne participait pas : iel était heureux avec nous, ne se rendant pas compte de mon dilemme. Car c’était le mien, uniquement. Vivre avec Camille était plus essentiel que vivre avec Marianne, pourtant je l’aimais autant que Camille. Les côtés du triangle se modifiaient, restant d’une force incroyable. Marianne nous aimait tous les deux, autant. Le ménage à trois, cependant, n’était pas envisageable. Elle se recula d’un pas, me faisant tomber dans les bras de Camille.
Notre lent détachement a permis de préserver notre amitié. Maintenant, c’est Marianne qui vient nous voir. Son copain est quelqu’un de bien, nous sommes heureux pour elle.
Quand Charly est mort, il m’a laissé sa fortune, ou plutôt ce qui en restait. Il avait fait des dons colossaux à toutes ses associations. La somme restante, même après les droits, restait hors de ma compréhension. Nous en avons redistribué une grande partie, notamment aux associations auxquelles participait Camille, associations venant en aide à ceux qui souffrent de discrimination, de genre, comme lui, de sexe, de race…
Moi, je vis avec mon grand-amour, mon frère, ma moitié, mon moi, mon Camille. Nous vivons dans l’appartement de Charly, pour préserver sa mémoire, le maintenir présent.
La vie est douce et facile avec Camille. Iel a toujours un mot, un geste gentil de vénération à mon égard. Je ne sais pas toujours bien lui rendre.
Camille m’a expliqué sa démarche et iel a réussi à m’entrainer dedans, me faisant abandonner les affichages habituels de la virilité pour des attributs plus flous, plus neutres. Iel dit qu’ainsi on voit mieux la fragilité de l’autre, qu’il devient plus proche, moins agressif. J’aime bien.
Iel me laisse sortir, souvent iel m’accompagne en début de soirée, en ayant son petit succès. Si je pars accompagné, iel me fait un baiser en me souhaitant une bonne nuit. Je suis bon pour expliquer à ma conquête qui est iel pour moi.
Camille avait rencontré Swann en première année de fac, dans l'association qu'il était en train de monter pour venir en aide aux LGBTQI. Une amitié se noua immédiatement entre eux et, naturellement, Camille avait voulu me la faire partager. Swann avait été « rectifié » à sa naissance en garçon. Pas de chance, il se serait plutôt senti fille ! Il en avait les traits, d'une douce harmonie qui me fascinait. Les difficultés commencèrent à l'école primaire, sa morphologie attirant les moqueries. Au collège, il vécut quatre années d’enfer, harcelé en permanence. Ses parents avaient traité le problème et ne voulaient plus rien entendre sur le sujet. Ses agresseurs l’avaient suivi au lycée, reprenant leurs agressions verbales. N'en pouvant plus, dès le premier mot blessant, en pleine cour, il s'était déshabillé, montrant sa différence à ses bourreaux en leur criant sa colère, sa lassitude de leurs comportements. Le scandale fit grand bruit. Les harceleurs furent menacés de renvoi, une surveillance étroite mise en place, des cours d'éducation sexuelle spécifiques prodigués. Surtout, il trouva Amélie, subjuguée par son courage. Elles deviendront inséparables. Le petit ami d'Amélie, Jules, le prendra sous sa cape et il intègrera cette petite bande de copains, oubliant cette caractéristique dorénavant acceptée par les autres.
Swann était souvent à la maison, dormant dans une des innombrables chambres. Puis il passa des nuits avec nous, pour finalement s'installer définitivement entre Camille et moi.
Sous l'influence de Camille, j'avais abandonné l'ingénierie. Finalement, ce milieu carré, fait de rationnel et de procédures, manquait de vie. Même les filles, nombreuses, avaient cette droiture dans la tête. Sans problème de revenus, j'ai joué au vendeur dans des magasins de vêtements féminins, puis de barman dans des clubs gay, pour terminer dans la mode, comme Camille, avec des petits boulots qui m’amusaient.
J'avais aussi profité de cette bonne fortune pour me faire refaire le nez, le diminuer. Le chirurgien m'avait alors proposé un travail sur la mâchoire. Il avait perçu mon désir de me démasculiniser le visage, car je lui avais apporté une photo du visage de mes rêves, celui de Swann ! Ce flou neutre si agréable me ravissait et me valut des compliments.
Il manquait encore quelque chose. Quand mon esprit comprit, je fus horrifié, deux minutes, puis ravagé par le besoin de le faire quand il m’est apparu comme une évidence. Camille m’avait emmené tellement loin, il fallait achever le parcours ! Je n'ai voulu en parler avec personne : c'était ma décision, mon corps. Je trouvais une clinique discrète en Belgique. La rapidité de l’opération et la quasi-absence de douleurs me surprirent.
Camille et Swann découvrirent le changement à mon retour. Le silence prolongé de Camille me fit douter de mon choix. En même temps, une lueur d’admiration s’allumait dans ses yeux.
-Je suis comme vous, maintenant. Je suis un ange. Vous me faites une place dans votre paradis ?
Camille m’enveloppa de ses bras d’une façon incroyable. Je sus que je les avais rejoints !
Mes formes s’adoucirent, ma peau se lissa, ma voix monta d'une demi-octave. Tout le monde me félicita pour ces transformations, sans en deviner la cause. Seule Marianne m’interrogea pour me faire confirmer ses soupçons, mais je pense que Camille avait dû se couper. Petit à petit je deviens Sylve !
Ce changement est un aboutissement, une source de bonheur. Ma vie est apaisée, entouré de Swann et de Camille, avec notre relation fraîche comme au premier jour. Camille, mon Camille !
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