Mise en application du contrat

8 minutes de lecture

Il faisait nuit, un vent glaçant frigorifiait les prisonniers. Les deux elfes et les gardes Sel sortirent du chariot quelques tentes et affaires de cuisine. En s'intéressant aux dragoniens, Lily se rendit compte qu'ils sortaient tous à peine de l'adolescence. L'un d'entre eux planta plusieurs rivets, auxquels furent attachés les futurs prostitués. Leurs chaînes leur laissaient tout juste assez de mou pour s'asseoir.

Une fois tous rivés au sol, quelqu'un leur distribua de l'eau, accompagnée d'un gruau froid et fade. Au moins, cela les changeait du régime carné. Lily surveillait les environs, se demandant si les Sel allaient respecter leur part du marché. Et comment ils s'y prendraient.

Comme beaucoup, malgré la marche harrassante qu'on venait de lui imposer, la jeune femme ne trouva pas le sommeil. Ses inquiétudes la maintenaient éveillée. Elle tentait de deviner ce qui poussait les gardes à tant de nonchalance dans leurs rondes.

Soudain, une flèche vola, et frappa l'un d'entre eux. L'objet rebondit, et n'en sonna pas moins la cible. Cela déclencha des rugissements, et aussitôt les gardes Sel se débattirent contre l'assaut de leurs aînés. Alors que les jeunes adultes donnaient tout ce qu'ils avaient dans l'affrontement, les dragoniens menant l'attaque donnaient l'impression de faire une promenade de santé. Ils assomaient les plus jeunes avec aisance.

Les prisonniers hurlaient de terreur. Après quelques minutes, des hurlements de douleur résonnèrent. Tournant le regard vers l'origine de ce son, Lily le regretta aussitôt. Le serviteur elfe se faisait démembrer par deux gardes, sous la surveillance de l'un des attaquants Sel. L'elfe se faisait débitter un bras, morceau par morceau à la hache. Aucun des trois dragoniens n'écoutait ses suppliques.

Du mouvement et des cris de terreur attirèrent son attention ailleurs. Un dragonien profitait de l'impossibilité de fuite d'une prisonnière pour l'enfourcher et la déshabiller. Lily ne put que se détourner, et hésiter à se concentrer sur la douleur de l'elfe, pour mieux ignorer l'horreur de l'autre femme.

Les deux elfes entre les griffes des apprentis tortionnaires, les autres Sel profitèrent allègrement de la position de faiblesse des prisonniers. L'un d'eux s'intéressa à Lily. Il s'accroupit pour se mettre à sa hauteur, et lui demanda :

-Nor estio sviythar ?

Elle comprit qu'il lui demandait son prénom.

-Lily.

Le dragonien lui sourit amicalement, et porta la main à son collier. Un froid cadavérique émana de son poing, et l'objet pourrit à l'endroit où le mage le touchait. Cela lui suffit pour détacher Lily du sol. Elle voulut se lever, mais il la souleva et la porta dans ses bras, lui évitant de voir l'orgie à laquelle s'adonnaient les autres Sel. Elle n'en entendait pas moins ce qui se tramait. Son porteur émit un long rugissement, auquel se joignirent ses pairs. Leur cri de victoire. Il glaçait le sang, et résonnait dans les bois.

Après quelques minutes de marche, le dragonien se téléporta près de la tente des prisonnières humaines, et il laissa Lily s'asseoir à côté. Il la confia au garde, qui ne la surveillait que du coin de l'oeil. Elle en profita pour pleurer un bon coup, aussi silencieusement que possible pour ne pas attirer l'attention. Par chance, cela ne lui attira qu'un vieux mouchoir en charpie.

Sans y prendre garde, elle s'endormit. A son réveil, l'aube pointait. Le garde nocturne remarqua son réveil, et la mit sur pieds en la tenant par le bras. Pendant qu'il l'époussetait, et lui signalait un vestige de morve, un autre écailleux approchait. Il portait deux femmes, une sur chaque épaule, et les jeta devant l'entrée. Ces dernières saignaient abondament des épaules, et étaient striées d'hématomes sur tout le corps. Lily gémit. Les morsures aux épaules aussi se confirmaient.

Perturbée, elle observa les mercenaires panser et lécher les blessures de leurs victimes, tout en se racontant à coup sûr l'événement du soir. A les voir, ils s'échangeaient des blagues de cul. Les deux rescapées étaient blanches comme des linges, le souffle toujours heurté par l'enfer qu'elles venaient de traverser. Hagardes, elles se laissaient faire sans plus pouvoir broncher. Les événements les dépassaient au point qu'elles ne pleuraient pas.

Le nécessaire pour les empêcher de mourir réalisé, celui qui avait ramené les deux mortes vivantes s'intéressa à Lily. Le garde lui parla, elle ne comprit que le terme "contrat". Il sembla à la femme que celui qui l'observait avec attention était celui menant les deux apprentis tortionnaires à débiter l'elfe serviteur. Suite au petit laïus du garde, il s'adressa à elle en langue humaine, qu'elle ne comprenait qu'à peine plus que la langue dragonienne. Et surtout, elle n'y possédait pas le même vocabulaire. Voyant qu'elle ne comprenait goutte à son charabia, il fit signe qu'il s'en foutait et la souleva par un bras.

Le maître tortionnaire donna un ordre au garde, et les deux s'appliquèrent pour infliger à Lily les mêmes hématomes qu'aux deux survivantes. Ils s'acharnèrent sur ses bras, ses épaules, ses flancs et ses hanches. Leur session terminée, le tortionnaire la plaqua contre son torse, et lui fit boire de force une potion, avant de lui mordre les épaules. Il poussa le vice jusqu'à y planter deux crocs exprès.

Lily sentit le deséspoir l'envahir, tandis que ses douleurs s'engourdissaient. Les larmes lui montaient aux yeux. Pas encore satisfait, le maître la gifla trois fois d'affilée, juste ce qu'il fallait pour lui donner une démarche titubante et un air hagard. Alors seulement, les deux dragoniens la bousculèrent sous la tente.

La jeune femme s'effondra dans les bras de Lada, et éclata en sanglots, sans vraiment comprendre pourquoi. Elle savait que la fatigue y jouait un grand rôle. Elle se demandait aussi à quoi servait cette potion au goût immonde. Vidée par sa nuit blanche, la marche forcée, et les émotions, elle n'espérait plus que dormir et oublier.

C'était mal connaître les Sel. A peine deux heures plus tard, on la sortit de son sommeil comateux et cauchemardesque pour le petit-déjeuner, comme si de rien n'était. Elle suivit le cours de langue tant bien que mal. A midi, celui du maniement de la masse. Elle remarqua à peine que ses hématomes violacés dégoûtaient les écailleux qui la côtoyaient.

Ce n'est qu'en milieu d'après-midi qu'elle put enfin s'effondrer, et se réfugier dans le sommeil. Elle picora à peine son pot-au-feu du soir, avant de se rendormir, épuisée moralement. Le lendemain ne fut pas plus clément.

Une seule personne l'empêcha de sombrer. Lada. Cette dernière voulait comprendre. Elle n'était pas idiote, et devinait que cette étrangère bénéficiait d'une sorte de traitement de faveur. Les autres n'étaient pas dupes non plus. Au bout de sept jours, alors que les hématomes s'effaçaient enfin, Lily sentit que l'amitié de Lada n'était plus qu'une feinte. Elle ne pouvait plus se fier qu'aux Sel. Elle s'efforça de se montrer digne de confiance pour Lada, mais sut bien vite que cela ne servait à rien. Entre ses compatriotes et l'étrangère, Lada préférait prendre le parti de ses compatriotes.

L'esprit commercial de Lily se mit en branle. Elle aussi feinta l'amitié. Une amitié toute professionnelle et intéressée. Au bout de deux semaines, les autres femmes ne virent plus que son sourire commercial, légèrement carnassier, tandis qu'elle les imaginait aux mains du maître tortionnaire et de ses deux apprentis. A chaque heure creuse de la journée, elle trouvait une nouvelle idée.

Apprenant les deux langues qui lui serviraient certainement le plus, Lily comprit au bout d'un mois que, pour les autres humaines, elle était soit une jeune démone, soit une demi-démone. Dans tous les cas, un danger, quelque chose de sournois leur voulant beaucoup de mal, qu'il valait mieux ne pas se mettre à dos. Elles craignaient son sourire. Celle qui ratait très certainement un excellent poste au sein d'une équipe partageant quelques valeurs communes avec les Sel en profita pour qu'elles la laissent en paix. Elle maîtrisa ses émotions seule. Tourna le dos aux autres quand elle ne pouvait plus retenir ses larmes, en repensant à cette nuit suivant sa vente.

Peu à peu, Lily prit l'habitude de prier Freiyx. Pour le moment, tout se passait tel qu'elle l'avait imaginé, alors pourquoi les dieux, et celui-ci en particulier n'existeraient pas ? Puisque l'Unification des clans dragoniens, pour former un royaume, n'avait pas encore eu lieu, ils ne connaissaient pas encore les dieux. Ses prières ne risquaient pas d'être noyées dans la masse. Mais elle se demandait si elle mobilisait correctement sa volonté. Certaines arrières-pensées, certaines envies irrationnelles mais présentes parasitaient probablement ses suppliques. Rendant son message insaisissable pour un dieu préférant l'inaction et l'observation à toute autre chose.

Deux mois d'écoulés, déjà. L'automne cédait enfin la place à l'hiver. Un hiver de quatre mois. Lily regretta que les saisons durent quatre mois. A moins que cet hiver n'en dure que trois, au profit d'un long printemps, comme cela pouvait arriver. Les Sel donnèrent aux prisonnières quelques vêtements chauds et des couvertures, et les surveillaient constamment pour les empêcher de s'étrangler.

Peu après le début de cette saison, ils enterrèrent leur campement, et migrèrent vers leur campement hivernal. Lily découvrit ainsi la vie de semi-nomade. Les prisonniers furent liés les uns aux autres, les poings liés à la taille de la personne devant. Ceux qui tombaient se faisaient traîner, jusqu'à ce qu'ils parviennent à se relever. Pourtant, Lily se trouva mieux lotie que les Sel eux-mêmes, qui portaient de nombreuses affaires sur le dos. Ils emportaient leurs vêtements, une bonne partie de leurs meubles, leurs équipements, et l'intégralité de leurs réserves.

En une matinée à peine, tout le campement fut rangé dans une sorte de cave géante à l'entrée indiscernable. Les trois repas de la journée permettaient de marquer des pauses. Des éclaireurs préparaient le repas au lieu dit, ou surveillaient les colonnes depuis le ciel, transformés en dragons ou sur le dos de leurs pairs sous leur seconde forme.

Durant la pause de midi, un elfe tenta de s'évader. Ayant coupé la corde qui liait ses poignets avec ses dents, ce qui dans son cas constituait sa seule entrave, il voulut en profiter pour filer. En plein jour. Des Sel le dévorèrent vivant. Aussitôt après cet incident qui jeta un froid parmi les non écailleux, les plus jeunes dragoniens tournèrent autour des prisonniers en se lèchant les babines, guettant l'occasion de manger eux aussi quelque chose de frais. Ils savaient que, tout le temps de leur migration, ils n'auraient presque droit qu'à de la viande séchée.

Les enseignements que les Sel prodiguaient à Lily s'interrompirent le temps du déplacement. Cela faisait partie de leurs accords. Son positionnement par rapport à eux aurait été trop évident, et Ayor savait que les autres femmes auraient transformé Lily en bouillie sanguignolante. Au moins, maintenant elle les effrayait grâce à son sourire commercial. La migration fut lente. Cela permit à la femme de constater que ses chausses de cuir étaient d'excellente qualité.

D'autres prisonniers disparurent de la même façon. Lily commençait à s'y habituer. Voir des dragons voler aussi. Ainsi que des chasseurs vider, dépecer et débiter leurs proies. La fatigue lui permit de bien dormir, même si elle continuait de prier Freiyx.

Une quinzaine de jours plus tard, les Sel remontèrent des tentes enterrées, et la routine reprit. L'étrangère trouvait que, pour le moment, elle s'en sortait bien. Puis, deux jours après leur arrivée, les autres femmes guettèrent son sommeil pour faire des messes basses. Le lendemain, elle les trouva nerveuses... et se demanda ce qu'elles préparaient.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Hilaze ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0