Au midi, elle se régala de gibier et de fruits, puis se renseigna sur la possibilité de se laver. Lod lui montra un bras de rivière régulièrement utilisé comme bain public, en attendant que tous puissent financer un puits ou une pompe à eau.

Lily se surprit à flâner au village plusieurs jours. Quand elle remarqua que l'argent lui manquerait d'ici peu, elle s'arrangea avec l'aubergiste, du nom de Veyd Jo. En échange d'une chambre minimaliste, du gîte et du couvert elle travailla tout d'abord à la plonge. Les messagers salissaient un nombre effarant de plats.

Au début de l'automne, elle accepta de prêter Nebel à un chasseur venant tous les soirs boire un coup, ce qui lui permit de mettre plus d'argent de côté. Les semaines se découpaient en sept jours, et le dernier jour, désigné par beaucoup de religions comme celui du repos, lui permettait d'aller errer dans les environs à cheval, ou de faire la connaissance des villageois.

Les jours sans clients, comme cela arrivait parfois, elle aidait à récolter les fruits du verger à demi-sauvage entourant le village, ce qui mettait son endurance à rude épreuve, et la contraignit à vaincre sa peur des insectes et des araignées.

Quatre mois après son arrivée au village, en discutant avec Veyd, ravi de son travail, elle fut promue pour passer du temps derrière les fourneaux, et obtenir un semblant de salaire. Le temps passant, elle devint comme les autres villageois travaillant à l'auberge : employée polyvalente. Ses souvenirs de recettes furent appréciés.

Les jours creux, les chasseurs apprécièrent qu'elle vienne leur rendre de menus services, comme panser et harnacher leurs montures tandis qu'ils prenaient soin de leur matériel, ou leur préparer des repas froids.

Elle ne vit pas le temps passer, et l'arrivée de l'hiver la surprit. Certains voyageurs s'installèrent à l'auberge, répandant des nouvelles du monde. Les changements dynastiques de certaines seigneuries, les mille et une guerres entre humains et non-humains, les histoires scabreuses... À force, Lily connaissait l'état politique du continent.

Ainsi apprit-elle que les licorniens avaient été jetés à la mer par les dragoniens depuis plus d'un siècle, ce qui lui permit de mieux se situer dans la chronologie de son univers. Les fronts étoilés reviendraient d'ici quelques années pour tenter de récupérer leurs terres, nourrissant une haine sans limites envers les dragoniens... et échoueraient à revenir. Toutefois, cela signifiait aussi que les dragoniens pouvaient reconnaître Havrèk Mio comme leur roi, et jeter l'humanité, ainsi que les elfes à la mer.

Cette possibilité en tête, Lily entreprit de préparer un baluchon, pour emporter un maximum de ses affaires dès les premiers signes d'agitation dragonienne. Depuis le temps, les sacoches que portait Nebel ne suffisaient plus à tout emporter.

Lily conféra chaque dimanche, nommé ici fuill, à l'entretien de son baluchon. Elle ne perdit pas l'habitude de manier une arme chaque matin, et mit de côté pour s'acheter enfin une masse.

Développer une multitude de projets lui plut, et cela l'occupa tout l'hiver. Son salaire évoluait avec la diversité de ses tâches, puis quand il s'avéra qu'elle faisait partie des rares à savoir lire, écrire et compter avec aisance au début du printemps, Veyd lui fit faire des heures supplémentaires comme comptable. Il la surveillait de près, et ne trouva rien à redire à sa façon de prévoir les gains de l'établissement.

Ils étaient une vingtaine à travailler quotidiennement à l'auberge. Les sans-famille y dormaient, tandis que leurs collègues résidant sur place bénéficiaient d'une réduction d'impôt. Tout le village dépendait de l'auberge, et du passage régulier des voyageurs. Les chasseurs faisaient aussi miliciens.

Tout ce que le village ne produisait pas, ils le faisaient venir à un bourg situé en-dehors de la forêt, à une journée à pieds. Les expéditions pour les échanges commerciaux partaient une fois par semaine, et n'importe qui pouvait venir. Tous les bras et chevaux étaient les bienvenus pour aider à transporter les marchandises. Lily participa à certains de ces voyages de trois jours, avec la sensation de faire de la randonnée équestre.

À l'hiver succéda le printemps, et Lily se rendit compte que cela faisait six mois déjà, qu'elle vivait au village. Cette vie lui convenait. Tantôt les mains dans la vaisselle, tantôt l'esprit aux chiffres et aux spéculations, et toujours la liberté de faire autre chose, de partir en voyage ou de venir choyer Nebel, quand des amis ne l'invitaient pas.

Veyd appréciait sa fiabilité, Lod aimait la façon dont elle s'occupait de Nebel, et plusieurs de ses collègues devinrent des amis dans la foulée.

Lily aimait cette existence, si éloignée des tensions de la vie de bureau à laquelle elle s'était préparée avant d'arriver en territoire dragonien. Son séjour parmi les Sel lui paraissait tout aussi lointain. Avec le temps, elle ne pensait presque plus à sa famille, aux amis de son monde d'origine, ni même à son chiot. Même si, parfois, tous lui manquaient, surtout les nuits venteuses et noires, elle n'y pensait jamais en journée. Et seulement quand ils lui manquaient, elle priait Freiyx avec ferveur. Cela faisait plus d'un an qu'elle avait quitté son monde, sans savoir pourquoi, ni comment. Et au fond, peu lui importaient ces deux choses. Elle menait une vie plaisante dans ce monde.