Chapitre 12 - Invité surprise
— Ah, Chante-Merlin ! Bonjour ! Tiens, tu n’aurais pas un peu maigri ? demande Pochetron-Longuecuite en tapotant le ventre de son ami.
— Bonjour, mon ami ! J’aimerais bien, répond ce dernier en faisant une grimace. C’est juste ma tourterelle qui a racheté de nouveaux costumes. C’est eux qui se sont élargis…
Le sans-besogne observe avec plus d’attention son interlocuteur : sa barbe et sa moustache fraîchement taillées, sa longue redingote marron au liseré doré, son gilet jaune moutarde avec des motifs floraux en surbrillance, le discret jabot blanc mettant sous son col relevé, le pantalon assorti à la veste.
— Eh bien, je te trouve très élégant ainsi ! Comment vas-tu ?
— Assez bien ma foi. Je me languis de la première réunion. J’ai réussi à distribuer presque tous mes tracts, répond ce dernier en parlant à voix basse.
— Oups, j’ai oublié de m’y atteler ! s’affole Ginger. Ce fichu corbeau-touwite m’a tout tourneboulé.
— Quelque chose de grave ? s’inquiète son ami, en lui posant une main amicale sur l’épaule.
— Non, désolé de t’inquiéter, mais je dois trouver un travail urgemment. D’où ma présence ici. Je vais rentrer déjeuner avant de partir remplir les boîtes aux lettres.
La perspective de cette mission de première importance ravive l’humeur de notre héros.
— Et si tu venais déjeuner avec nous ?
— Mmmh, je reprends à quatorze heures.
— Amplement le temps de profiter d’un repas entre amis, sourit Pochetron-Longuecuite.
— Alors avec plaisir.
Les deux compagnons, dans une discussion animée, se faufilent au milieu de la foule qui se densifie par l’arrivée de plus en plus massive de travailleurs en quête d’un déjeuner. Arrivés devant la porte, cette dernière s’ouvre à la volée.
— Ah Mamour ! Je vais acheter une baguamourette. Oh Chante-Merlin, bonjour !
— Je l’ai invité à déjeuner, précise Ginger qui ne se voit pas partager un pain tressé en forme de cœur, avec un effet pétillant dissimulé au hasard de la mie légèrement aromatisée au gingembre.
— Très bonne idée ! Peut-être pas une baguamourette alors, plutôt un pain-mignon aux céréales.
— Cela fait longtemps que je n’en ai pas mangé ! Enfant, je m’amusais à ajouter des lunettes en fils de réglisse à ce visage jaune citron. Ma mère me réprimandait toujours lorsqu’elle me surprenait, se souvient Chante-Merlin avec nostalgie.
— Alors adjugé-vendu pour le retour en enfance ! conclut Pochetron-Longuecuite.
Lorsque Vomie-de-Pétruchienne rentre, les deux amis se sont confortablement installés dans les fauteuils molletonnés du salon près de la cheminée en pierres taillées, les pieds enfoncés dans l’épais tapis bordeaux, un verre de kawa à la main. Elle les apostrophe depuis l’entrée :
— Regardez ce que j’ai trouvé ! Le boulanger en avait dans son coin confiserie.
Des fils noirs pendent de sa main, dansant au rythme des mouvements de leur propriétaire.
— Merci Pétruche, cela me touche vraiment ! Un petit bain en enfance avant de retourner travailler. Parfait pour mettre en joie le reste de la journée, la remercie Chante-Merlin.
— Je vais voir si le repas est prêt.
La charmeuse disparaît quelques instants avant de revenir les appeler pour le déjeuner. Ils s’installent dans la salle à manger attenante d’où Nainportekoi, ou plutôt clone numéro deux, leur sert la gratinade-de-dos-de-vandoise-finoise accompagnée d’une salade de jeunes pousses.
— Au fait Bibiche, Chante-Merlin m’a rappelé que nous devons distribuer nos tractes.
— Ohhh mais oui ! Avec toute cette excitation, cela m’était complètement sorti de la tête. Merci Chante-Merlin.
— Y’a pas d’quoi !
— Tu as eu vent d’autres affaires étranges ? interroge Pétruche, curieuse.
— Mmmh, hormis les meurtres annoncés par le Crieur et quelques disparitions étranges, rien de probant pour le moment, renseigne Chante-Merlin. Après, dans Sciencia artium, nous traitons de sujets liés aux évolutions technologiques. Je n’ai donc pas connaissance de toutes les dernières dépêches, même si mes confrères généralistes me donnent souvent les gros-titres.
— Bon, si on veut que cela bouge plus vite, il va falloir s’activer. Mamour, nous partons en même temps que notre invité pour aller informer la population. Quand est la prochaine réunion déjà ?
— Dans cinq jours, l’adresse nous parviendra par corbeau-touwite le jour-même. Il faut rester attentifs, précise Chante-Merlin.
— Tu y seras ? demande Ginger en se tournant vers son hôte.
— Je ne veux pas manquer ces moments qui feront bientôt partis de l’Histoire ! Et puis, je suis d’une curiosité impatiente.
— Moi aussi, j’ai hâte de voir gonfler nos rangs et je trépigne d’entendre le prochain discours de notre guide. Il parle toujours avec brio ! s’enflamme Pochetron-Longuecuite.
Vomie-de-Pétruchienne hoche vigoureusement la tête tout en coupant le croulant choco-kawa. Chacun attrape rapidement son assiette avant que le dessert ne cherche à fuir son contenant qui s’écoule à la perfection dans le plat. Tous terminent par un léchage soigné de l’assiette avant une tisane digestive au fenouil et à la fleur d’oranger.
— Bon, je dois y aller, annonce Chante-Merlin. Merci de l’invitation.
— On se revoit à la réunion, salue Pochetron-Longuecuite en retroussant sa manche pour exhiber son tatouage en forme de bouteille.
— On prend les paris, combien de partisans ? propose Chante-Merlin joueur.
— Cent cinquante, offre Vomie-de-Pétruchienne.
— Deux cents, renchérit Ginger.
— Allez, je fais monter les enchères, défie le journaliste. Je vote pour trois cents. Bonne après-midi !
— À toi aussi ! lancent en chœur les deux amoureux.
Annotations
Versions