Chapitre 13 - Tracts et chandelles
Une fois seuls, Vomie-de-Pétruchienne revient au sujet du jour :
— Alors, ils t’ont dit quoi à l’Agence ?
— Je vais pouvoir faire reconnaître mes années en tant que clerc, mais pas avant deux mois, se lamente-il.
— Je vais chercher un nouvel emploi après que nous ayons terminé de ranger la cuisine. Et ensuite, nous pourrons distribuer les tracts.
— Laisse-moi m’occuper des tracts pendant que tu fais le tour des ciriers. Il n’y a pas de raison que tu fasses tout.
— Merci, Mamour, répond l’intéressée en déposant un baiser dans le cou de Ginger.
La cuisine est rapidement remise en ordre. Aussitôt après, la charmeuse glisse le plan de Lucrèce sous son bras où de nombreux cercles de charbon se côtoient, là où Vomie-de-Pétruchienne à identifier les échoppes de fabricants de bougies. Pochetron-Longuecuite, de son côté, part dans le bureau rassembler les tracts. Tandis que la charmeuse enfile ses bottines de cuir bordeaux, Ginger revêt sa redingote et passe une besace dans laquelle il dépose les feuillets en prenant soin de ne pas les corner. Un dernier baiser et chacun s’affaire à sa tâche.
Ginger décide de descendre sa rue en glissant de façon systématique un feuillet dans chaque boîte à lettres, puis de remonter sur le trottoir d’en face pour opérer de la même façon. Il sifflote, le nez au vent, tout en laissant dériver ses pensées. Que dirait sa mère si elle le voyait ? Il était jeune lorsqu’elle était décédée d’une attaque au cœur, mais il se souvenait parfaitement de l’aversion que lui procurait l’adoration du Sublimissime Machielzédec. Plus d’une fois, il avait entendu les éclats de voix après la lecture du soir des écrits de Ducurel-Beauroctoto par son père, afin de transmettre à sa progéniture la pensée du meneur d’hommes. Plus d’une fois, un froid polaire avait régné dans la pièce à la mention du nom prohibé par le pouvoir en place.
Pochetron-Longuecuite se demandait ce qui les avait poussés l’un vers l’autre. Ses parents ne s’étaient jamais confiés sur leurs sentiments profonds. Le charmeur savait seulement qu’ils s’étaient rencontrés quelques années avant l’instauration de la Prohibitude à la sortie d’un bar. Son père avait percuté la jolie blonde alors qu’il reculait sur le trottoir face à son groupe d’amis pour leur raconter une anecdote. Elle était tombée, se foulant la cheville. Pour se faire pardonner, son père l’avait invitée à prendre un verre afin de s’assurer que l’articulation ne gonflait pas. Au fur et à mesure de la soirée, la vergue paternelle avait eu raison des dernières méfiances maternelles. Ils avaient tous deux saluer leurs amis avant qu’elle ne se laisse guider dans une taverne juste en face. La discussion avait duré toute la nuit et, peu après, ils s’étaient mariés.
Arrivé sur la place en contrebas de sa rue, le pensif prend conscience qu’il s’est laissé entraîner loin dans ses rêveries et qu’il est désormais temps de parcourir le chemin en sens inverse. Il fait le tour de la place où trône une grande fontaine circulaire. Cette dernière est surmontée d’une statue représentant un homme dénudé avec, sous le bras, une immense cruche déversant un filet d’eau dans une rigole qui cascade jusqu’au bord du bassin, le long d’une rigole qui fait le tour de la construction de pierre. Son père lui avait confié qu’autrefois, c’était du vin rouge qui ondulait le long de la rigole pour venir former l’auréole cerclant la fontaine d’eau. Le contraste devait être magnifique !
Pochetron-Longuecuite évite une calèche lancée à grande vitesse avant de rejoindre l’autre côté de sa rue et de reprendre sa distribution. N’ayant éclusé que la moitié de son stock, notre héros décide de parcourir les rues adjacentes avant de rentrer, fourbu et doté de quelques ampoules, chez lui. Il a tout juste entrouvert, qu’une main pressée repousse brusquement le battant et le tire à l’intérieur.
— Oh Mamour ! Tu sais quoi ? Monsieur Chandelles-des-Bières-Le-Duc accepte de me prendre en apprentissage ! Je commence demain !
Les mots se déversent aussi vite que l’enthousiasme débordant de la jeune femme. Le distributeur improvisé tente de remettre bout à bout les bribes d’informations, tout en tempérant sa fiancée qui alterne petits sauts de grenouille et aller-retours d’un bout à l’autre du vestibule.
— Attends, qui est ce monsieur Chandelle-de-la Mise-en-Bière…
— Rahlala Mamour, les noms ça n’a jamais été ton truc, c’est pas un croque-mort. Écoute donc : Chandelles-des Bières-Le-Duc. Un monsieur charmant qui tient une boutique de bougies et de savons à quelques pas de là, le coupe-t-elle.
— Et il t’embauche…demain ?
— Tout à fait. Tu vois quand tu veux ! s’exclame-t-elle ravie tout en levant les bras en l’air. Sa fille vient de se marier et de partir pour Rince-de Champagne là où vit sa belle-famille.
— Et ?
— Ben, il a besoin d’un coup de main.
— Je vois pas le rapport entre le départ de sa fille et la boutique.
— Elle travaillait avec lui, tu suis rien ! Et écoute bien, il va me former à la réalisation de savons ! Tu te rends compte, je suis tout excitée ! Il préfère que nous soyons deux à pouvoir fabriquer et commercialiser, comme ça on peut se relayer ou maintenir l’activité si l’un de nous deux est malade, par exemple.
— On s’offre un petit verre pour fêter ça et la distribution des tracts !
— Du rouge, et on fait un concours de la plus belle musculature ! Faut qu’on s’entraîne histoire de pouvoir aider le Sublimissime !
— Oh tu en as de bonnes idées ma Bibiche !
Ils s’installent pour un apéro-dinatoire sur la terrasse en ardoise face au jardin à la japonaise, créé par sa mère et entretenu par le père de Ginger puis par lui-même. En matière de botanique, elle n’avait pas son pareil pour sublimer les extérieurs.
Nainportekoi apporte de petits encas faits maison avec l’aide de ses clones au vu de la demande à réaliser dans un délai aussi bref, tandis que les deux charmeurs tentent de gonfler leurs biceps au maximum de leurs capacités, l’autre mesurant à l’aide d’un mètre de couture le tour pour identifier le vainqueur. Puis ils font de même avec différentes parties du corps, explorant des muscles insoupçonnés pour leur plus grand plaisir. Malgré sa taille fluette, Vomie-de-Pétruchienne finit ex-aequo avec son futur époux. Ce n’est pas encore cette fois qu’il pourra faire le fière devant sa promise.
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