Boris Vian et Noir Désir

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 Quand j'avais quinze ans, j'hibernais encore. Pas encore tout à fait sortie du cocon de l'enfance, je continuais à biberonner mon esprit avec des contes de fées. Mon corps avait grandi, s'était transformé, mais ma tête avait oublié d'en faire autant. Bien à l'abri dans ma chrysalide, je préparais ma sortie dans un futur encore indéterminé.

 En attendant, j'apprenais par les films que je regardais et les musiques que j'écoutais la place qu'était la mienne et la façon dont je devrais la tenir... Tu m'étonnes que je ne voulais pas grandir ! Dans les années de ma pré-adolescence, les femmes avaient un rôle qui ne plaisait pas des masses : potiches, objets, passives, fragiles...

 Dans les dessins animés, j'apprenais qu'il fallait être une princesse, se trouver en danger pour être sauvée par un prince, un chevalier ou un fermier (mais alors et la fermière?), attendre d'être embrassée et d'être épousée.

 Dans les films, je devais être plus jeune que le héros (toujours), un peu agaçante, un peu naïve, et attendre d'être sauvée (encore!) pour être embrassée, pas toujours épousée, mais emmenée dans un lit pour, le matin venu, regarder amoureusement dormir le héros à côté de moi en cachant pudiquement ma poitrine sous le drap.

 Dans les chansons, j'étais l'objet de la convoitise du chanteur, et je finissais toujours par être la cause de ses malheurs.

 Dans les séries, soit j'étais gentille et passive, vite en couple pour ma propre sécurité (puisque les jeunes filles célibataires sont la proie de tous les dangers), soit rebelle, solitaire, libre mais tellement fragile. Si j'étais seule c'était forcément à cause d'une blessure secrète, qu'un garçon viendrait soigner pour que toute ma vie je lui en sois reconnaissante.

 Alors oui, bien sûr, je trouvais de temps en temps des alternatives : Leïa (mais on reparle de la manière dont Han la traite?), Ripley, Buffy, Mulan. Mais elles n'étaient pas bien nombreuses.


Annonce : ma sortie dans le monde des adolescents sera retardée pendant une éternité !

 Bon, il a bien fallu grandir quand même, et la littérature m'a aidée à sortir de l'enfance. Surtout Boris Vian, qui m'a fait faire le grand-écart émotionel en lisant coup sur coup L'écume des jours et J'irai cracher sur vos tombes, sans avoir lu la quatrième de couverture ni de l'un ni de l'autre. Je n'avais pas tout à fait seize ans et je suis passée d'un roman d'amour léger, beau, loufoque et triste à un polar noir ultra-violent et pornographique...

 Mais bien souvent, je crois que les modèles de relations amoureuses que j'avais sous les yeux m'ont plus souvent desservie qu'autre chose.

 L'année de mes seize ans, le chanteur du groupe qui me faisait danser tous les jours tuait sa femme à Vilnius. Et la tolérance à l'égard de ce crime passionnel (comme on disait jusqu'à il n'y a pas si longtemps) me mettait mal à l'aise.

 J'avais déjà appris que je devais être honorée quand un garçon me touchait les fesses, c'était parce que j'étais belle. La violence pouvait être acceptable si elle menait à une déclaration enflammée et (surtout) au sexe. Je m'habillais pour plaire à un mec, pas pour me plaire à moi et je me maquillais pour les mêmes raisons (une femme ne se fait belle que pour un homme, comme je le voyais dans absolument tous les films que je regardais). Je ne pouvais pas être plus drôle qu'un homme, c'était les moches qui étaient drôles. Ni plus grande, ni plus vieille. Je devais être belle et mince. Je devais aimer le sexe mais ne pas en avoir l'air (il n'y avait que Samantha qui pouvait). Un non pouvait vouloir dire oui, et je devais l'accepter.

 Quand je regarde mes nièces aujourd'hui, je suis heureuse qu'elles aient d'autres modèles de relation que ceux-là. Peut-être qu'elles mettront moins de temps que moi à accepter leur féminité comme quelque chose de naturel faisant partie d'elles. Peut-être qu'elles seront moins longtemps en guerre contre elles-même, contre leur corps, contre leurs envies. On ne peut pas envisager l'amour ou la sexualité sainement dans des relations biaisées ou nos désirs et nos besoins passent au second plan. Cependant, la pop culture de mon enfance et de mon adolescence ne valorisait presque que ce type de relations toxiques. Je suis heureuse que cela change aujourd'hui.

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