Chapitre 1
En se réveillant un matin après des rêves agités, Grégoire ne trouva pas la force de se lever. Malgré ses efforts, ses paupières se refermaient toutes seules, comme des stores au mécanisme cassé.
Il soupira et fit comme d'habitude lorsqu’il se retrouvait face à un choix cornélien : il traça dans son esprit une ligne verticale. A gauche, il plaça mentalement les inconvénients d'aller au boulot, à droite, les avantages. La première colonne se remplit rapidement (embouteillages du matin, café et collègues imbuvables, travail routinier, réunions interminables, patron grossier, embouteillages du soir), tandis que la seconde ne contenait aucune ligne.
Cette fois, la décision fut facile à prendre, la balance penchait nettement du côté de la flemme. Son boulot attendrait, le patron aussi, le monde ne s’arrêterait pas de tourner pour autant.
Grégoire désactiva la sonnerie de son téléphone, s’enroula dans sa couette comme un saumon en papillote, inspira profondément et replongea dans son sommeil, un sourire béat aux lèvres.
Lorsqu’il ouvrit les yeux, le réveil indiquait vingt heures. « Ouah, j’ai fait une grosse sieste ! J’avais du sommeil en retard » , pensa-t-il, avant de constater, dépité « Pourtant, c'est bizarre, je me sens toujours aussi fatigué. »
D’un revers de manche, il essuya un filet de bave séchée au coin de ses lèvres. Il se sentait un peu vaseux et se demanda si les ours éprouvaient la même sensation à la fin de l’hibernation. D’un geste lent et maladroit, il tendit le bras vers son téléphone, alluma l’écran. Aucun appel manqué. Aucun message, personnel ou professionnel. Son absence était passée aussi inaperçue qu’une tache sur un pantalon Desigual.
Il sentit monter en lui une déception amère. Quand il pensait que le boulot attendrait, il n’espérait pas qu’il ferait preuve d’autant de patience ! Quant à son patron, il aurait pu au moins manifester ne serait-ce qu’une pointe d’inquiétude, voire d’agacement. Même une insulte, ou un blâme aurait été préférable à cette froide indifférence.
Vexé, Grégoire rumina longuement, le téléphone dans la main, le doigt au-dessus du surnom de son patron, il hésitait à appuyer sur "Connard". Devait-il l’appeler pour s’excuser ? Lui reprocher de ne pas avoir remarqué son absence ? Ou présenter carrément sa démission ? Il avait la flemme d’établir une nouvelle liste d’avantages et d’inconvénients, alors il reposa son téléphone.
C’est à ce moment que son ventre choisit de gargouiller. Grégoire décida enfin de s’extirper du lit pour chercher de quoi alimenter la machine.
Sauf que la machine ne répondit pas.
Son corps demeurait inerte comme un bout de bois.
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