Nemo (nouvelle)
Qu'était-il devenu ?
Je me le demandais.
Une chose était certaine. Il me tint la main. Ou pour être plus précis, il me sauva la vie.
Lui le Capitaine Nemo, son sous-marin le Nautilus, et bien sûr son auteur amiénois. Grâce au génie de Jules Verne et de ses aventures extraordinaires, je pus sortir de ma chambre, échapper à la violence qui régnait autour. Je n'étais alors plus personne ou plus exactement, j'étais enfin quelqu'un, moi, tout simplement, hors les murs, dans une dimension parallèle.
Aujourd'hui, il m'arrive de me laisser à inviter dans mon imaginaire, l'univers de l'auteur qui inspira le mouvement Steampunk à nos contemporains, dans le cadre de mini-nouvelles pour répondre à un atelier d'écriture.
Et pour celle qui suit, j'invite également, dans une citation finale, l'auteur de La Guerre des Boutons, l'écrivain franc-comtois Louis Pergaud qui publia son merveilleux livre en 1912.
*☺*
Un Nautilus en guerre contre des boutons
Assis sur le bord de la jetée, alors que le soleil apprenait à nager sur la ligne d’horizon, je respirais à pleins poumons les embruns iodés.
*
Dans le petit port, de rares voiliers sommeillaient en attendant les retours de l’été et des vacanciers. Ils avaient comme locataires braillards des colonies de mouettes qui tapissaient allègrement de leurs fientes, vergues et accastillages, passe-avant et maître bau. À cette heure tardive, le bleu de la mer entrait en concurrence avec des roses et des orangés qui donnaient aux derniers nuages blancs, des formes de personnages ou d’animaux colorés.
Alors, sans que je comprenne ce qu’il advenait vraiment, je vis sortir des flots tourmentés et argentés par la marée montante, l’étrave non pas d’un navire mais d’un sous-marin. De suite, il m’inspira une grande émotion en lisant sur ses flancs ruisselants : « Nautilus ». J’étais évidemment à vingt mille lieues d’une telle rencontre. Je me revis en un instant, plongé dans mes lectures d’adolescent d’un auteur génial qui m’entraînait hors les murs de ma chambre.
Reprenant contact avec la réalité, je me cachais alors, le long du parapet de la digue, en voyant surgir à la passerelle, des matelots équipés d’appareils portatifs de communication. Sans doute avaient-ils des difficultés techniques à transmettre en plongée périscopique. Comme nous étions en avril, l’idée saugrenue d’un poisson vint effleurer mon imaginaire débridé. J’avais alors capté dans le soir tombant, une bribe de phrase qui, pour moi, n’avait aucun sens.
« Nouvelle nuit sans notre Nautilus pour dénouer les nageoires de Némo ! »
C’était certain. Ce message ne pouvait être que codé.
La nuit prenait à présent place et la mer renvoyait aux étoiles ses éclats étincelants. Les mouettes s’endormaient paisiblement, collées les unes aux autres. Et la brise me chuchotait qu’il était temps de partir mais j’étais trop intrigué par ce visiteur du soir. Il me fallait des réponses aux nombreuses interrogations qui m’assaillaient de toutes parts.
Comme un message émanant des cieux, une comète traversa la Voie Lactée, laissant dans son sillage une signature éphémère. Alors, sur la passerelle du monstre d’acier, surgit l’officier de quart. Et sa voix nasillarde envahit la pénombre, laissant une phrase sibylline en suspens qui dérouterait encore davantage mon esprit surchauffé, pour de nombreux jours à venir.
« Dire que, quand nous serons grands, nous serons peut-être aussi bêtes qu’eux ! »
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