Déposition - premiers mots
14 aout 2013 – Dijon
« Je ne me suis pas rappelé tout de suite. Une chance. In fine, les séquelles d'une violente chute. Une amnésie importante qui m'enleva toute méfiance. Les personnes âgées qui me recueillirent n'en firent pas étalage. Les anciens n’en éprouvent pas le même besoin que les jeunes. Probablement ce qui me sauva. Je ne devais pas être loin. Et deux cadavres de plus ne pèseraient pas lourd dans la balance face à ce que je pouvais révéler.
Marguerite me dit plus tard que j’étais restée deux semaines sans réellement reprendre connaissance. Comme son mari avait été vétérinaire, il veilla sur moi comme sur une vache. Attendant de voir s'il y avait quelque chose d'autre à faire que me laissait mourir tranquillement, sans perfusion de toute part. Malgré les privations, mon corps avait encore de la réserve. Je survécus, me remis avec le bonheur d’ignorer tous des mois précédents. Bien sûr, j'étais inquiète de cette ignorance. Martin l'ancien me répétait sans cesse : "Ce que l'on ne sait pas, n'a pas le pouvoir de nous nuire" Un puits de sagesse ce Martin.
Une chute réveilla ma mémoire. Non pas que ma tête heurta quoi que ce soit. C’est la sensation de croche-patte - bien involontaire de la part de l'agneau, cette sensation de bascule imprévue qui m'en rappela d'autres. Etudier notre réaction face à l'imprévisible était un des éléments de l'étude dont nous étions les sujets involontaires. Le cœur battant, sans encore comprendre pourquoi, je m'assis à même le pré. L'agneau rejoignit sa mère en bêlant pendant que quatre mois de tortures reprenaient leur droit sur ma vie. Je me sentis blêmir. Je me roulais en boule, la tête entre les genoux et me balançait lentement. Marguerite me trouva dans cette position en larmes. Elle m'avait appelé à plusieurs reprises pour le diner. Je n'avais pas entendu. J'entendais l'autre voix.
"Montres moi comme tu es forte! Comment fais-tu? Comment te sortir de cette situation?".
Je ne sais comment je suis rentrée. Chez Marguerite et Martin d'abord. Chez mes parents ensuite. Loin, très loin de cet endroit. Le visage de ma mère lorsque la porte s'est entrebâillée est ce qui m'a tenu debout les jours qui suivirent, ceux qui me menèrent à cette déposition. Le visage qu'aucune autre mère n'aurait la chance d'arborer. J'étais la seule survivante.
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