Béluga
Jusque dans le long couloir, j'entends la clameur de la foule qui scande mon nom. L’odeur du sang me parvient et mon coeur se soulève d'écoeurement. Au loin, mes semblables traînent un corps fraîchement tué et je prie silencieusement pour le repos de son âme. Quand la herse se lève, j’entre dans l'arène. Les hurlements de la foule se font plus opressants, tandis qu'elle se lève pour m'acclamer, et scander mon nom tel un chant funèbre.
Ce ne sont ni des encouragements, ni des ovations, mais des ordres. Ils m'ordonnent de me battre, d'affronter mon adversaire avec toute ma puissance, jusqu'à ce que l'un de nous deux tombe, ne laissant de notre existence que le souvenir éphémère d'une tache de sang sur le sable. C’est le malheureux sort qui attend les perdants. Ni sépulture, ni enterrement, mon peuple ne s'embarrasse de telles fioritures. Ce corps, tout comme les autres, sera jeté dans une fosse commune.
Je ne peux comprendre comment un Dieu peut vouloir que ses propres enfants se battent ainsi, même pour assouvir sa soif de spectacle, de mort et de violence. Toutes ces années, tous ces mois, tous ces jours. Chaque instant est une lutte, un combat pour la survie, inscrit au plus profond de nos gênes par cette divinité cruelle.
Depuis tout jeune, ces questions taraudent mon esprit. Pourquoi nous battons-nous ? Pourquoi ne pouvons-nous vivre comme les autres races de ce monde ? Nous ne sommes peut-être pas les plus intelligents, ni même les plus rusés. Certains diraient mêmes que notre seul attribut est la force brute. Mais, pourquoi devons-nous l’utiliser pour nous massacrer les uns, les autres ? Je n’ai jamais voulu de tout ça, je n’ai jamais voulu vivre ainsi, mais personne ne m’a laissé le choix. Si j'avais le malheur de faire part de mes sentiments, mes camarades me huaient et m'insultaient malgré mon gabarit.
Tout petit déjà, je dépassais mes camarades de trois bonnes têtes. Je suis né immense, et ma force n’est plus à prouver. Mon père, beaucoup plus petit que moi, a vu en moi un potentiel, le potentiel de couvrir notre famille d’éloges, d’élever notre famille dans la hiérarchie de notre peuple. Néanmoins, son ambition lui aura coûté la vie.
Je ne souhaitais que reprendre la mine familiale, forger armes et armures jusqu’à la fin de mes jours. Mais, à la place, on a vu en moi un monstre, un géant pouvant causer la destruction chez nos ennemis. Contraint, je suis devenu un guerrier. Les combats et la survie résument ma vie. Nombre de fois, la mort m'a tendu les bras sur le champ de bataille, nombre de fois, au moment fatidique, elle s'est refusé à moi et je retournais à la garnison, me préparant au prochain combat.
Au fil des années, ma réputation s'est construite d'elle-même. Un monstre surpuissant, un monstre qui a même oublié jusqu'à son véritable nom, ne se souvenant que de son surnom. Celui qui était scandé à l'instant même dans l'arène. Une force destructrice, mais également un rempart formidable contre les attaques.
La foule hurle mon nom et je n’entends plus que ça, voyant mon adversaire arriver vers moi. Je n’entends qu’un seul mot, ce mot qui me définit, ce nom par lequel on m’appelle depuis toutes ces années. Ce nom qui représente la malédiction dont je suis victime depuis tant d'années, me désignant comme l'un des plus grands remparts chez les Orcs.
Béluga…
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