Les griffes du courage
Je n’en peux plus… je suis à bout de forces… je commence à avoir des hallucinations, je sens l’étau qui se resserre, je la sens sur ma gorge… La faux de la Mort…
Le tonnerre gronde à l’extérieur, alors que j’écris ces lignes. La pluie martèle le sol, tandis que les explosions et les hurlements retentissent hors de mon abri. Les mots que j’écris me viennent machinalement, essayant de ne pas prêter attention à ce qui se passe dehors. Ma main se met à trembler, et mon cœur menace à tout moment de se rompre sous la pression. J’ai peur et les évènements hors de ces murs me terrifient.
Je ne suis qu’un soigneur et animal de lettres à qui l’on a mis une épée dans les mains, sans qu’il sache comment s’en servir. J’ai rejoint la Légion de l’Aurore, pour servir et protéger mon pays. Mais, quand les premiers sont tombés, que les corps se sont entassés, les morceaux déchiquetés par ces créatures démoniaques, j’ai fui. Je me suis réfugié ici, affolé, n’allumant qu’une faible lumière, bientôt insuffisante pour écrire. Mais, je ne veux pas être repéré, je ne veux pas mourir. Les larmes coulent et viennent trempées les pages que j’écris, maudissant cette guerre sans fin, maudissant ces monstres dont je souhaiterais la disparition.
Je continue à noter tout ce qu’il se passe, fébrile, le tonnerre grondant, tandis qu’une secousse ébranle le sol. Je continue à sangloter, sentant la lame glaciale de la Mort qui se rapproche à chaque grondement.
Un souffle vient me tirer de mes notes, et je me retourne, effrayé. Je me lève, mettant un livre trouvé à la hâte devant moi, comme médiocre bouclier. Alors que je me mets sur le côté, une étagère bloque ma fuite. Des bruits de pas se mêlent au souffle qui devient de plus en plus rauque. Je ferme les yeux, priant pour que la sentence des Dieux pour ma lâcheté soit rapide et sans douleur.
Le jugement tardant à venir, j’ouvre les yeux, hésitant, avant de glapir de peur, mon bouclier de fortune tombant à terre. Le visage fatigué, presque fantomatique, d’une jeune femme est face à moi. L’armure qui recouvre son corps est tapissée de trous d’où suintent des notes vermeilles. Celles-ci même qui perlent au coin de ses lèvres.
- Aidez-moi, fait-elle dans un souffle
Elle s’effondre sur moi et la peur quitte mes pensées. Ne reste que les souvenirs du serment que j’ai prononcé ce jour là, devant le prêtre, le jour de mon rituel d’initiation. J’allonge la jeune femme sur le sol froid de la bibliothèque. Je vois que son armure est enfoncée au niveau de la taille, comme si on lui avait mis un coup dans le ventre. Difficile de ne pas en deviner la cause quand on voit les armes des ennemies.
J’entreprends de lui enlever le morceau enfoncé avec délicatesse, non sans tirer un gémissement de douleur à la jeune femme. Je découvre une tunique en lin ensanglanté et avec le coup dans le ventre, une autre blessure. Un coup de couteau. C’est étrange, les ennemis n’utilisent pas de tels armes…
Quand elle se met à cracher du sang, il n’est plus l’heure aux interrogations, il faut que je la soigne. Je commence à réciter des incantations, une aura vert pâle m’entourant et entourant la jeune femme à mesure que mes mots défilent. La peur que je ressentais plus tôt s’envole à mesure que je la guéris.
Lorsque mon œuvre est terminée, les grondements à l’extérieure reprennent de plus belle comme s’ils s’étaient tues le temps que je soigne cette jeune femme. Néanmoins, je n’y prête pas plus d’attention, celle-ci focalisée sur ma patiente. Sa main se détend et une chaîne au bout de laquelle pend un médaillon s’en échappe, et tombe au sol. Alors, la jeune femme murmure, péniblement :
- Attends-moi, mon amour… Je t’ai fais la promesse… que je… rentrerais…
Elle tousse, avant de reposer la tête au sol. Sa respiration se fait plus régulière et elle s’endort. Mes mains se mettent à trembler à nouveau, mais pas de peur. Cette guerre… elle prend des vies, sans se soucier de toutes les autres qu’elle touche. Si elle meurt, alors la vie de son amour sera détruite, elle aussi. Ses parents perdront leur fille et les enfants qu’elle aurait pu avoir ne verront jamais le jour. Je prends le médaillon et le mets dans la main de la jeune femme, refermant son poing pour qu’il y reste. Je prends sa main aux doigts si fins dans les miennes, celle-ci paraissant si petite dans la mienne, et je fais une promesse à mon tour :
- Tu retourneras auprès des tiens, jeune fille.
Dans un élan de folie peut être, je prends l’épée, attachée à la ceinture de la jeune femme. Je ne la connais même pas, et je m’apprête à faire ce dont j’avais le plus peur, il y a encore dix minutes. Mais, elle m’a rappelé de vieux souvenirs, mon serment notamment. Que j’avais promis de respecter et d’y dédier ma vie.
Je m’approche du bureau et écris un mot à ma famille. Une fois ma lettre terminée, je jette un œil à ce que j’avais écris plus tôt. Ces mots, témoins de ma lâcheté ne doivent plus exister. Je prends les parchemins et les mets au-dessus d’une bougie, attendant que ma peur soit réduite en cendres. Quand les dernières tombent sur le bureau, je prends la lettre et la dépose sur le torse de la jeune femme en espérant qu’elle leur amènera et pourra leur dire au revoir à ma place.
Je ne réussirais pas à réprimer l’invasion, cette certitude est ancrée dans mon esprit. Mais, mes soins finiront par réveiller la jeune femme et mon combat lui permettra de fuir. Elle pourra rentrer chez elle. Je soupire, me relevant et m’étirant, avant de dire :
- J’ai beau être un animal d’Eglise, je donnerais tout pour un dernier verre d’alcool Elfique
Je joins mes deux pattes avant d’adresser une dernière prière aux Dieux. J’espère que la Déesse m’accueillera auprès d’elle quand je mourrai… Je vais chercher les morceaux d’armure que j’ai éparpillée dans la bibliothèque en y rentrant, paniqué. Je rattache les différentes parties, avant de mettre mon casque. Je ne mets pas de gants pour laisser à mes griffes l’opportunité de servir lors de la bataille.
Au moins, je ne serais plus la risée de mon espèce. Fier comme le Lycan que je suis, je m’avance et descends une à une les marches de l’escalier, avant de franchir le hall. Mes talents de guérisseur, bien supérieurs à mes capacités militaires, ne me font pas douter quand à sa guérison.
J’ouvre la porte et entreprends de la bloquer pour empêcher les monstres de pénétrer dans la tour. Alors, je dégaine l’épée et lance un rugissement bestial, avant de m’élancer, au centre de la ville. Rejoindre mes camarades pour combattre les envahisseurs.
La jeune femme remonte la main, laissant visible une partie du mot que le Lycan lui a laissé.
« Il n’est plus temps de fuir. Je suis désolé, je vous aime… »
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