Tapie dans l’ombre du monde, une personne attend. Drapée dans un vêtement sombre qui semble tisser dans les ténèbres même des hommes, elle observe. Une capuche cache son visage et donne l’impression qu’il n’y a rien d’autre qu’une obscurité infinie en-dessous. Accroupie, une faux posée contre son épaule droite, son regard se tourne vers le monde. L’arme paraît dotée d’une volonté propre et il émane d’elle une sensation de toute puissance, comme si personne ne pouvait lutter contre cette arme.

La personne se lève, soupirante, s’apprêtant à mener une tâche devenue une routine pour elle en ses milliers d’années d’existence. Au début, c’était un travail qui lui donnait l’impression d’être la plus importante parmi sa fratrie. Après toutes les guerres, les génocides ou les maladies, c’est devenu une tâche sans saveur qui ne lui apporte plus aucune satisfaction ou presque aucune.

Malheureusement, même si elle déteste cette fonction, elle ne peut songer à arrêter. Etant son rôle depuis la nuit des temps, son contrat ne prendra jamais fin.

Elle lève la main et ouvre une fissure dans le décor, entrant dans ce portail ainsi créé et se retrouve au milieu d’une cité affluente. Au vue des bruits, des explosions de feu d’artifice en arrière-plan et des cris de la foule, le temps est à la fête. Elle ne saurait dire quelle est cette célébration. S’il y a bien une chose qu’elle a retenue chez les Humains, c’est qu’ils passent leur temps à inventer de nouvelles raisons de faire la fête.

Mais, sa destination ne participe pas à la fête. Elle la voit se diriger vers elle, puis la traverse comme si elle n’était rien d’autre qu’une illusion. L’illusion de la mort, poétique, pense-t-elle. Elle n’y fait pas attention et se tourne pour la suivre. A pas lents, elle continue sa marche, d’autres personnes se dirigeant vers la fête la traverse, celles-ci ne ressentent qu’un léger frisson inexpliqué à son contact.

Puis, elle tourne, sa cible l’ayant distancé depuis quelques minutes. Dans la ruelle, des bruits de bagarre lui parviennent. Elle se tient à l’écart, alors que deux hommes se battent. Ils sont déjà couverts de sangs et l’un d’eux porte une dague à la main. Elle ne sait plus lequel est sa cible, mais cela lui est égal, pour elle tous les Hommes se ressemblent.

Comme toujours, elle les observe, sans trop comprendre d’où vient ce désir pour la haine et pour blesser autrui. Pourtant, elle connaît ses semblables, ceux-ci n’auraient jamais voulu que leurs « enfants » finissent ainsi. Sauf certains d’entre eux.

Les guerres, les batailles, les bagarres ou les meurtres… autant de malheurs qui se sont abattus sur ces « enfants » perdus. C’est déplorable, mais elle ne peut y faire grand-chose. A part surveiller certains de ses rares semblables plus belliqueux et sujet à déclencher des guerres pour un désaccord quelconque.

Pour elle, sa tâche est claire, claire comme l’eau qui s’écoule de la plus belle des cascades, ou même clair comme le sang qui perle sur le poignard de l’un des hommes qui vient d’accomplir son méfait. Celui-ci s’en va, laissant un corps sans vie. C’est maintenant qu’elle se décide à faire la tâche qui lui incombe depuis sa naissance, la tâche qui lui a valu d’être craint par tous et d’être traité comme une paria par les siens, alors qu’elle est l’une des aînées de ce monde.

Elle tend la main vers le corps et une âme sort du cadavre, prenant sa main avec un air hébété. Mais, quand elle voit le visage qui n’est plus dissimulée par la capuche, le visage d’une jeune femme à la beauté presque irréelle, l’âme est soulagée et disparaît dans une forte lumière.

La jeune femme sourit, une étincelle s’allumant dans son regard, avant que la réalité ne la rattrape. Elle rabat sa capuche sur son visage, la noirceur de son vêtement rattrapant la beauté de la Mort…