Chapitre 23 : Le chaos du Centre Quanta

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Les secondes s’étiraient comme des heures. La porte, pourtant close un instant plus tôt, pivota lentement sur ses gonds dans un grincement qui brisa le silence oppressant de la pièce. Pauline, pétrifiée, sentit son souffle se bloquer dans sa gorge. Immobile, elle fixait l’entrebâillement sombre, chaque ombre projetée par la lumière vacillante du couloir prenant des allures menaçantes. La clé USB dans sa main semblait peser une tonne, et ses doigts tremblants la serraient si fort qu’ils en étaient douloureux. Son cœur battait furieusement, comme s’il voulait s’échapper de sa poitrine, tandis que son esprit oscillait entre l’envie de fuir et la peur paralysante de découvrir ce qui se trouvait derrière la porte. Elle savait que cet instant suspendu pourrait changer son destin à jamais. Pourtant, au lieu de la précipitation brutale qu'elle redoutait, un silence assourdissant s’installa. L'ombre menaçante à l’entrée sembla tituber, comme hésitante, puis se retira, glissant dans l’obscurité sans laisser de trace. Pauline, le souffle coupé, resta immobile. Quelque chose d’étrange venait de se produire.


Cependant, elle sentit une présence, mais ce n’était plus celle de ses poursuivants. C’était autre chose, une présence invisible mais protectrice, comme si une force s’était retournée contre ceux qui cherchaient à l'anéantir. Un frisson la parcourut, mais ce n’était plus de la peur, c’était une étrange sensation de répit, comme si une puissance mystérieuse, tapie dans l’obscurité, avait décidé de la protéger à cet instant précis.


Sans un mot, son esprit envahi par la confusion, elle rassembla ses affaires et quitta son appartement ne voulant pas rester seule sentant toujours ces entités sur elle d'une manière bienveillante mais incompréhensible. On aurait dit qu'une force plus vaste qu'elle-même, plus ancienne que ce projet génétique, l'avait arrachée des griffes de ses ennemis, juste à temps. Comme pour se rassurer, elle se força à croire que c’était l'esprit de ses parents qui la protégeait, veillant sur elle depuis l'au-delà.


Pauline se rendit au centre Quanta, là où tout avait commencé, persuadée qu’elle y trouverait des réponses. Pourtant, lorsqu’elle y arriva, elle découvrit au laboratoire un chaos qui dépassait tout ce dont elle n’avait pu imaginer.


Alors que des ombres dansaient sur les murs de la pièce centrale, le professeur Kennywood se tenait devant son bureau, les yeux rivés sur les écrans de contrôle. Les courbes et chiffres qui défilaient étaient incompréhensibles pour quiconque, mais lui savait ce qu'ils signifiaient. Ils témoignaient de la dégradation accélérée des sujets d’expériences. Leurs cellules autrefois ordinaires, étaient en proie à des mutations imprévisibles. Mais ce n’était pas seulement de la matière physique qui changeait : leur essence même semblait être corrompue par une entité étrangère, quelque chose d’ancestral et de bien plus dangereux que la science ne pouvait expliquer.


La pièce était devenue froide, comme si une présence invisible en avait aspiré toute chaleur. Un frisson mordant remonta le long de l’échine de Kennywood, bien au-delà de ce que la température seule aurait pu provoquer. Depuis quelques jours, une oppression intangible s’accumulait dans le laboratoire, comme un poids invisible suspendu au-dessus de leurs têtes. Les néons vacillaient, projetant des éclats nerveux d’ombre et de lumière, et parfois, dans le silence oppressant, d’étranges murmures semblaient ramper le long des murs, s’évanouissant avant qu’on puisse en saisir l’origine. Ces manifestations, d’abord rares et fugaces, s’étaient intensifiées, mais personne dans l’équipe n’osait briser le silence pour en parler.


Tous partageaient cette sensation troublante, indéfinissable : quelque chose avait changé. Une vérité insidieuse qu’ils redoutaient d’affronter. Et tous, sans exception, regrettaient amèrement de ne pas avoir pris au sérieux la précédente mésaventure du sujet 7.


Pourtant, le professeur se souvenait parfaitement du moment où tout avait basculé en Afrique du Sud deux décennies plus tôt. La dernière expérience, celle qui devait prouver une théorie révolutionnaire, celle qui avait dérapé. Ils avaient cherché à réécrire les codes de la réalité, à transcender les limites du génome humain. Mais dans leur quête de grandeur, ils avaient ignoré les avertissements enfouis dans les anciens grimoires. Ils pensaient que les malédictions n'étaient que des superstitions d’un autre temps, des récits nés de l’ignorance. Pourtant, les textes parlaient de puissances invisibles, de barrières qui maintenaient l'ordre du monde intact. En brisant ces barrières, ils savaient qu’ils avaient libéré quelque chose d'inconnu.


Jusqu’alors, les signes étaient restés discrets, presque imperceptibles, comme les prémices d’une tempête que personne n’avait voulu voir venir. Les probantes, ces volontaires anonymes ayant accepté de participer à des expériences sans danger pour les bienfaits de l’évolution scientifique, mais à qui on avait menti, subissaient des modifications génétiques expérimentales. Ils avaient d’abord affiché des résultats extraordinaires. Leurs capacités physiques et mentales s’étaient décuplées, atteignant des sommets que la science n’avait jusque-là osé imaginer.


Mais ce rêve s’était vite transformé en cauchemar. Les premières plaintes semblaient anodines : des maux de tête, des insomnies. Puis, les douleurs étaient devenues insoutenables, déchirant leur corps comme si quelque chose tentait de les remodeler de l’intérieur. Ils parlaient de visions troublantes, de formes indistinctes et de murmures qui les hantaient. Leurs corps, autrefois sublimés par la science, commençaient à changer de manière grotesque, échappant à toute compréhension humaine.


Et leurs esprits ? Ils s’effritaient, se disloquaient lentement, emportés dans une spirale de folie partagée, comme si une force inconnue les liait dans un abîme commun. Ce qui avait commencé comme une promesse de perfection était en train de se muer en un destin bien pire que la mort.


Une nuit, un étrange événement se produisit sous les regards incrédules de l’équipe de chercheurs. Tout commença par un son étrange, un bourdonnement aigu qui fit frémir les instruments.


— Qu’est-ce que c’était ? demanda Gregor, levant les yeux de ses notes.


Avant que quiconque puisse répondre, le cobaye, un homme d’une trentaine d’années, poussa un cri étouffé. Tous se tournèrent vers lui, stupéfaits.


— Regardez ses mains ! hurla Pauline, reculant instinctivement.


Sous leurs yeux, les doigts de l’homme semblaient se décomposer, disparaissant dans des éclats de lumière. Une myriade de formes hexagonales scintillantes envahit l’air autour de lui, comme des fragments d’un vitrail fracturé.


— Stoppez tout ! Déconnectez-le ! cria Selina, tout en appuyant frénétiquement sur un panneau de contrôle.


Mais c’était inutile. Le corps du sujet continuait à se désagréger, comme aspiré par une force invisible.


— Il... il disparaît ! murmura Martha, figée, sa voix brisée par l’incrédulité.


Puis, un son grave et sourd emplit la pièce. Les murs tremblèrent, émettant une vibration presque organique, comme si le laboratoire lui-même était devenu vivant. Le reste du corps de l’homme s’effaça dans un flash aveuglant, laissant derrière lui une odeur métallique et un vide dérangeant.


Un silence mortel s’abattit. Personne n’osa bouger, les regards fixés sur l’espace désormais vide.


— Qu’est-ce qu’on vient de voir ? murmura enfin Jeff, le souffle court.


— Ce n’était pas une disparition, répondit le professeur Kennywood, le visage blême. C’était une transition... vers ailleurs.


Depuis cette nuit, plus rien ne fut pareil. Les probantes montraient régulièrement des changements que personne ne pouvait expliquer.


— Regardez, il bouge... comme s’il écoutait quelque chose, observa Gregor en désignant l’un d’eux, qui oscillait légèrement d’avant en arrière, le regard vide mais étrangement fixé sur un point invisible.


— Non Gregor, il n’écoute pas, corrigea Martha à voix basse, son visage marqué par une angoisse croissante. C’est comme s’il répondait à quelqu’un.


Kennywood sentit un poids glacé s’installer dans sa poitrine alors qu’il s’approcha d’une autre cage. Chaque pas semblait étouffé par un silence oppressant, comme si l’air lui-même retenait son souffle. À l’intérieur, la créature se convulsait, ses mouvements anormaux évoquant un pantin désarticulé, contrôlé par des fils invisibles. Les excroissances sur son visage semblaient vibrer au rythme d’un pouls qui n’était pas le sien, comme si une autre vie s’épanouissait en elle, étrangère et malveillante.


Sous la lumière tremblante des néons, sa peau translucide révélait des formes mouvantes à l’intérieur de son corps, des ombres sinueuses qui semblaient se contorsionner et se multiplier. Les yeux rouges, brillants comme deux braises maudites, scrutaient Kennywood avec une intensité presque insupportable. Ce n’était pas un simple regard : c’était une pénétration, une intrusion dans son esprit, un flot d’images et de pensées qui n’étaient pas les siennes. Des visions de mondes brisés, de créatures infinies, d’une réalité qui saignait aux frontières du connu.


La chose derrière la vitre s’arrêta brusquement de bouger. Puis, sans prévenir, elle articula dans un souffle rauque et distordu un mot que Kennywood n’aurait jamais pensé entendre sortir de cette chose : son nom.


— James Kennywood… aidez-moi, murmura la créature d'une voix rauque, presque méconnaissable.


Le professeur recula. La voix semblait emplie d'une puissance ancestrale, quelque chose de trop ancien pour appartenir à ce monde. Il réalisa à cet instant que les individus ne pouvaient plus être considérés comme des humains. Ils étaient devenus des réceptacles pour les énergies chaotiques qu'ils avaient involontairement libérées. Mais ce n'était pas tout. Ces entités, ces forces obscures qui avaient attendu pendant des éons, enfermé dans les failles du monde, voyaient en eux une opportunité de traverser les dimensions.


Le professeur sentit une terreur s'installer en lui, qu'il avait malheureusement déjà connue par le passé. Il ne savait que trop bien la suite des évènements, que le processus était irréversible. Chaque manipulation génétique ou tentative d’usage de la trame de la réalité, ne faisait que renforcer le lien entre les sujets humains et ces forces anciennes. Bientôt, elles prendraient le contrôle total.


Les souvenirs des anciens textes de ses parents revinrent en mémoire à Pauline. Ils parlaient de failles ouvertes, de monde où des créatures sommeillaient en attendant leur réveil. Ces récits décrivaient des êtres sans nom, des dévoreurs d’âmes, que seuls des rituels anciens et interdits avaient pu contenir. Chaque mot résonnait dans son esprit comme une alarme lancinante, lui rappelant la gravité de la situation.


La pièce autour d'elle sembla se réduire en un espace clos, instantanément un frisson glacial parcourut le long de sa colonne vertébrale. Pauline réalisa alors qu'elle était à un tournant décisif. Les mots qu'elle avait jadis ressentis pour de simples légendes prenaient désormais une signification terrifiante. Que se passerait-il si ces créatures qu’elle avait tant redoutées se libéraient ? Que ferait Kennywood si elle refusait de lui accorder le contrôle du pouvoir qu'il pensait qu'elle détenait ?


Le doute l’assaillit. Mais au fond de son cœur, une détermination sourde commençait à se forger. Elle savait qu'elle devait agir, mais comment ? Les rituels décrits dans ces textes interdits étaient dangereux, potentiellement mortels. L’idée de réveiller ces êtres oubliés lui glaçait le sang, mais l'alternative de laisser Kennywood prendre le contrôle, était tout aussi inacceptable.


Alors qu’elle réfléchissait à ses options, une voix intérieure lui chuchota une promesse : elle ne pouvait pas laisser l’héritage de ses parents, ni le destin du monde, se jouer entre les mains de quelqu'un d'autre. Il lui fallait découvrir la vérité derrière ces rituels, voire peut-être le secret de son propre pouvoir.


À cet instant, un grondement résonna dans les profondeurs du sol, comme si quelque chose d’immense se réveillait sous la surface. Les lumières vacillèrent, et une ombre fugace passa devant une fenêtre, lui provoquant un frisson de peur qui envahit tout son être


Que venaient-ils de libérer ?


Les questions se bousculaient dans son esprit, mais une chose était claire : elle devait plonger dans les mystères de ces anciens textes, explorer les limites de son propre potentiel et affronter les ténèbres qui menaçaient de s’abattre sur eux tous.


Le temps pressait.


Pauline inspira profondément, prête à plonger dans l'inconnu, consciente que chaque pas la rapprochait d’un destin qu’elle n’avait pas choisi, mais qui, peut-être, pourrait finalement lui appartenir.

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