Turbulences ves la Sibérie

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L’attente me ronge, elle s’étire en un supplice tandis que le temps, lui, m’échappe, tel un courant d’air fugace. Chaque minute s’évapore en un battement de cils. À chacun de mes soupirs d’exaspération, mes yeux brûlants reviennent à l’horloge. Ma jambe tremble agitée comme une Cocotte-Minute prête à exploser, alors que mon vol s’apprête à s’élancer dans le ciel froid, sans moi.

Toutes mes économies ont été investies dans ce voyage, je refuse d’admettre que mon rêve de fouler le sol glacé sibérien n’en reste qu’un.

Je pensais avoir tout anticipé, pourtant, un dégât des eaux chez mon voisin a bouleversé mes plans. Puis la voiture de mon père a crevé à quelques mètres de l’aéroport. Tout semble me retenir ici.

Mon tour arrive enfin, je salue l’hôtesse d’une voix à peine audible. Je n’y crois plus. Le chagrin agrippe mon âme, m’écrase, m’obligeant à garder la tête baissée tandis que je lui remets mon passeport. J’approche ma grosse valise à roulettes avec l’envie de m’effondrer dessus tant mes jambes peinent à me porter.

Mon regard embué de larmes accroche celui de l’hôtesse.

— Votre vol pour Moscou est retardé pour problème mécanique.

— Ah oui ? soufflé-je, interloquée.

— Oui, le temps qu’ils mettent un autre avion à disposition. L’embarquement n’est pas pour tout de suite.

— Oh !

Une heure plus tard, mon cœur palpite alors que je franchis la passerelle, chaque pas me semble irréel et pourtant je me dirige bien vers ma destination.

Alors que je m’installe près du hublot, une dame s’approche, ses cheveux dissimulés sous un Ouchanka, le regard sévère. D’un ton sec, elle exige ma place. Je refuse poliment, mais je lis sur son visage crispé que l’agacement l’infiltre telle une vague de froid. Sa voix se fait plus forte et son accent russe devient plus prononcé. Ses mots me transpercent comme une lame de glace, au point que l’inquiétude me gagne. Très vite, deux hôtesses arrivent à mon secours et se chargent d’escorter la dame ailleurs. Je lâche un soupir et m’étire, tentant de dissiper cette tension venant d’envahir mes muscles.

J’espérais un voyage exaltant au delà de l'Europe et vivre sur place un moment de pure évasion, une aventure impressionnante, enrichissante. Mais depuis mon réveil, les pieds sous l’eau, je subis l’angoisse, le stress, l’énervement, comme si la Sibérie elle-même testait ma détermination.

Les yeux fermés, je m’éclipse quelques minutes dans mes rêveries, faisant abstraction du bruit ambiant. L’avion prêt à décoller, je me presse de scruter l’extérieur. Puis un homme d’environ mon âge, visiblement anxieux, s’installe à la hâte à côté de mon siège. Il approche sans gêne sa tête du hublot. Je le laisse faire en le dévisageant perplexe.

Il me sourit et me répond.

— J’y crois pas… je suis dans l’avion ! J’ai failli rater mon vol. Deux fois.

— Oh, c’était vous qu’ils n’arrêtaient pas d’appeler ?

— Oui…

Il pose sa tête contre le dossier et pousse un long soupir.

— Une dame a pris ma place. Ils ont dû penser que je ne viendrais pas, dit-il en riant discrètement. Ah… cette journée ! Une horreur. J’espère que je vais enfin profiter de mon voyage.

—Vous allez où ?

— En Sibérie. Je prévois de prendre le train, le trans…

— Le Transsibérien ! le coupé-je, les yeux brillants d’excitation.

— Oui, vous aussi ?

— Oui !

Je ne me doutais pas que je passerais les deux prochaines semaines en sa compagnie et que nous deviendrions amis. Que ce début de voyage catastrophique mènerait, un an plus tard, à une fin idyllique : notre mariage.

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