Ne pleure pas...

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C’est son rendez vous habituel. Tous les dimanches depuis cinq ans maintenant, il vient passer quelques minutes ici.

Éric Durand à 31 ans et est cadre dans une grosse société de courtage. Enfin, il faudrait plutôt dire était. Car il y a cinq ans de cela, un accident a complètement bouleversé sa vie.

A l’époque, il vivait avec sa fiancée, Linda. Elle était la petite amie idéale, celle dont tout homme rêve mais que bien peu mérite. Le jour de leur cinquième anniversaire, afin de célébrer leurs fiançailles, leurs amis leur avaient organisé une soirée dans un bar parisien. Celle-ci fut mémorable et à la hauteur de l’événement, Eric et Linda avaient dansés une grande partie de la nuit retrouvant la complicité et l’intimité de leurs premiers instants. Au moment de repartir et après avoir quitté tout le monde, Linda, qui avait été bien plus raisonnable sur la boisson que son mari, pris le volant. Éric, quant à lui, se contenta du siège passager. La tête lui tournait et les lumières des réverbères dansées telles des lucioles affolées, auréolant le visage de Linda dont il ne pouvait détacher le regard. Il avait confiance, Linda connaissait bien le trajet. Cependant, en s’engageant sur la place de l’opéra Garnier, elle ne vit pas le feu rouge. La voiture fut alors percuté par un camion de livraison. Eric ne garde que peu de souvenir du choc, dans sa tête cela ressemblait plutôt une mosaïque de son et d’images chaotiques. L’explosion des airbags, les éclats du pare-brise tout autour de lui, la lumière blanche, insoutenable puis cette obscurité soudaine, suffocante et totale. Il se souvenait aussi cette dernière pensée qui lui avait traversé l’esprit, « Mon dieu, Linda ».

Même après cinq ans, la souffrance, la peur et la peine restent vivaces dans son esprit. Et même après cinq ans, il ne peut s’empêcher de venir ici, dans ce cimetière.

Il vient une fois de plus, se recueillir sur cette tombe. Il voudrait verser une larme, soulager cette pression, cette douleur omniprésente mais il ne le peut pas, il se l’est interdit.

Lentement, régulier, un bruit de talons claquant le pavé derrière lui se fait entendre. Une femme s’approche et s’arrête à sa hauteur. Elle est entièrement vêtue de noir et son visage est masqué par les larges bords d’un chapeau, mais Éric sait pertinemment qui est cette femme. Linda, sa Linda, qui vient elle aussi se recueillir ici depuis cinq ans.

- Bonjour Linda, dit Éric, venant rompre le silence oppressant du cimetière.

La jeune femme semble tout d’abord l’ignorer se contentant de déposer délicatement un bouquet de roses rouges sur la tombe.

- Bonjour mon amour, souffla Linda, des larmes plein les yeux. Je suis tellement désolé. Toutes les semaines, je répète la même chose sans jamais réussir à soulager ma peine ni mon cœur. Je sens ce poids peser sur tout mon être.

- Tu n’as pas à t’en vouloir, Linda. Ce qui s’est passé ce jour là n’était pas de ta faute. Tu ne pouvais rien y faire.

- Les jours sont un supplice et les nuits sont encore pires, emplis de cauchemars. Je tourne la scène dans tous les sens, mais le résultat est invariablement le même.

Les larmes coulent le long des joues de Linda. Comme à chaque fois Eric, ne sais quoi dire pour soulager la peine de sa bien aimée. Ils voudraient lui enlever ce poids. Linda reprend, la voix rauque, brisé par les sanglots :

- Je t’en prie, Éric, pardonne moi ! 

Eric tend doucement sa main, vers Linda dans un geste bienveillant pour essuyer ses larmes, lorsqu’une silhouette féminine, vêtue d’une longue capeline noire, apparaît dans le dos d'Éric, posant sa main sur son épaule comme pour le retenir de toucher sa femme. Eric comprend le geste et sans se retourner lui demande, comme chaque fois :

- Déjà ?

- Je le crains, répond-t-elle.

- N’y a-t-il rien que je puisse faire?

- Non. Ce fardeau est le sien, elle devra le porter et l’assumer jusqu’à la fin. Nous devons y aller maintenant, vous pourrez revenir dimanche prochain.

- Encore un instant, s’il vous plaît. 

Éric se penche au dessus de l’épaule de sa femme.

- Je suis avec toi pour toujours, ma chérie, lui souffle-t-il au creux de la nuque. Et jamais je ne t’en voudrai. Je t’aime.

Il veut l’embrasser mais ne le peut pas, cela lui est interdit. Toujours sans se retourner et d’un air résigné et empli d’une profonde tristesse, il dit :

- Nous pouvons y aller Death. Au revoir mon amour.

Éric détache son regard de sa femme, toujours sanglotante, pour le porter sur l’inscription gravée à jamais dans le granite de la stèle fleurie.

« Ci-gît Éric Durand, amour de toujours. »

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