La fatigue l'embrouillait un peu. Elle commençait à devenir bien vieille. Elle enleva les lunettes de son nez, replia les branches et soupira. Elle se frotta les yeux. Elle sentit des mains quelques peu tremblantes venir se poser sur ses épaules pour la réconforter.

— Matinée difficile, Darling ?

— Inquiétante surtout. Ces américains ont peut-être aidé le monde à terminer deux guerres mondiales mais ils sont en train de démarrer la troisième. Comment un peuple qui peut produire des éléments aussi brillants peut-il être aussi fondamentalement stupide ? Pourquoi ont-ils élu ce clown orange qui n'a sûrement jamais lu leur constitution ? Tiens, regarde ce rapport : les scientifiques veulent encore avancer l'horloge de l'apocalypse. À vingt-trois heures, cinquante-neuf minutes et trente secondes. Les tensions sont telles que si l'un des dirigeants du G8 éternue, le monde aura froid. Aussi froid que peut l'être un hiver nucléaire.

— Je serai toujours là pour te réchauffer, Lilibeth.

— Je sais mais hélas, tu ne pourras réchauffer le monde. Il faudrait que je fasse quelque chose. Mais chaque rencontre au sommet empire les choses. Pas une seule fois il n'a rencontré les autres dirigeants sans commettre une bourde et empirer les choses. Pas une !

— Mais si, cette fois-là, à la réunion à Pékin.

— Celle-là ? Tu parles ! Tu oublies les réseaux sociaux ! Cet imbécile a voulu envoyer un SMS à un de ses grippes-sous qu'il a propulsé dans le gouvernement et, à la place, il l'a laissé sur Twitter ! Il les traitait de faces de citron. Dans une réunion à Pékin !

— Ah oui, j'avais oublié. Il n'avait pas dû évacuer en hélicoptère ?

— Si, si, un incapable, pas une once de bonne éducation. Une autre réunion ne servirait à rien. Et dire qu'il vient dans deux semaines pour cette rencontre officielle. Je vais perdre mon temps, c'est tout ce que je vais faire. Ça ne résoudra aucun problème. Si je pouvais… J'aurai bien une idée mais c'est si risqué. Ça serait une idée de fou. Et je suis si vieille. Ah, Philip, si tu savais ce que je donnerai pour avoir vingt ans de moins aujourd'hui. Mes forces me quittent chaque jour un peu plus. Tiens, ça me fait penser, je crois avoir lu ça dans un des dossiers, où-est-ce ?

La Reine parcourut des doigts les différents dossiers qui recouvraient sa table de travail. Elle restait méthodique dans cette recherche, ne consultant que la pile qui concernait les affaires liées à l'armée. Finalement, elle extirpa une chemise d'un marron caca d'oie tout à fait déprimant.

— Voilà, regarde cette photographie. C'est un nouvel exosquelette pour l'armée.

— On n'en avait pas déjà doté nos services ? s'étonna le prince Philip.

— Seulement les services logistiques. C'étaient des modèles assez communs comme ceux qu'on peut trouver dans toute entreprise privée. Ceux-ci sont plus rapides, réagissent beaucoup mieux. Ils sont une véritable aide aux soldats. Les tests sont terminés et concluants. Nous commencerons à en doter nos unités d'élite dès le mois prochain. Ils seront ainsi fatigués moins vite et pourront accomplir plus de prouesses. Voyons, où était-ce ? demanda-t-elle en laissant son doigt glisser sur les caractères du rapport. Ah, ici. La rapidité de la course est augmenté de 15 % pour un sujet très entrainé, il est facilement possible de sauter plus de deux mètres en hauteur et en longueur sans élan. Je te laisse imaginer ce que ça donne avec un peu d'élan. Ah ! Si je mettais ça, je pourrai vaincre cet Usain Bolt dans un cent mètres. En plus, avec les nanomatériaux, c'est si fin qu'on peut les glisser sous les vêtements.

— Je sens que tu as une idée derrière la tête, Elisabeth, s'amusa son époux.

Elle ne lui répondit que par un sourire pétillant qui lui ôta d'un seul coup vingt ans.

(À suivre…)