Complot Chez Bébert
Suite de l'Eviction
Emeele Loveley & Josse fleuron complotent près du buffet d’un resto.
Point de a pour le premier et dénué de i pour le second, à prendre en compte dans les dialogues.
Dans les descriptions et la narration cependant, les deux lipogrammes doivent être respectés en même temps.
Un resto esseulé, plus proche d’un troquet qu’une demeure de chef renommé. Seul, en présence d’un verre de bourbon, Josse Fleuron ronge le mors. Son tourmenteur n’est guère pressé. Expecter son éventuelle venue est une torture, y poser neuf cents secondes de plus sonne les cornes de l’enfer.
Rejeté du gouvernement, une moue d’Ernest comme seule courbette et Josse se retrouve sur le sol de Lutèce, lors qu’un cycle se renouvelle. Loveley, ce nul, ce honteux mufle s’est moqué de son buste. Seulement, contre tout bon sens, Josse tolère un rendez-vous du gonze et s’y rend plus tôt. Quel demeuré ! Deux gênes, contre une seule, or Josse répond présent, tout content de cette future rencontre.
Justement, le concerné déboule. Un veston rouge sur le dos, des dessous du même ton et, xérès sur le dessert, des bottes démodées, l’homme de lettres nommé Loveley, répond présent.
- Désolé pour ce contre-temps cher Josse, commence Emile Loveley. Une mégère bloque le croisement près des Tuileries. Venir jusqu’ici fut plus difficile que prévu. Comment vous portez-vous depuis notre dernière rencontre ?
- Selon vous, sombre ordure ? rétorque tout de go Josse. Le doyen m’a jeté dehors juste avant le repas précédent la nouvelle année et vous osez poser cette demande ?! Peut-être me pensez-vous plus crédule qu’une brouette, cependant, ce n’est guère ardu de cerner votre rôle dans cet événement.
- Moi ? Enfin, Josse, nous sommes…
- Camarades ? Ah, vous ne goûtez pas de cette lettre n’est ce pas ? Le “a” est toujours votre fardeau. Dommage pour vous.
- Silence ! Vous pouvez bien pérorer, vous et votre “i” odieux. Même en morse, vous n’êtes guère fichu de l’employer.
- Est-ce pour cela que vous m’avez mandé chez Bébert ? Pour attaquer l’entrave de mon école ? Parce que ce menu match peut durer des heures, je possède nombre de boulets rouges à vous catapulter.
- Non certes, répond Emile enfin plus posé. Voyez-vous, je possède un petit quelque chose pour tenir Ernest entre mes griffes. Toutefois, je suis conscient d’être toujours sous l’ombre de l’épée de Denys. Je vous propose que nous combinions nos forces.
Ces mots restèrent bloqués comme un longeron entre les bronches de Josse. Coopérer, ou plutôt, se soumettre et oeuvrer pour cette tête d’embout ? Non, plutôt gober une gélule de chlore.
- Vous êtes fou ? Vous pensez réellement que d’un coup de baguette, on va coopérer ensemble, alors que VOUS m’avez envoyé chez plumeau ?!
- Je conviens que c’est difficile pour vous de supporter cette proposition, reste que je suis sûr que cette union des forces, peut vous réinvestir de vos fonctions.
- Dans ce cas, qu’avez-vous à y gagner ?
- Hum ?
- Vous guettez toujours une forme de dédommagement, c’est autant connu qu’un grand loup blanc. Que gagnez vous dans cette arnaque ?
- Oh voyons, où voyez-vous une escroquerie ici ? Je rends plus un petit service. Rien de plus, ni de moins. Certes, je concède, que cette union peut révoquer pour de bon mon éventuelle éviction, toutefois, je soutiens que je ne veux ici que votre bien.
- Hum, hum… Vous êtes plus fourbe que nos gouvernants, mais admettons. Que proposez-vous ?
- Une écriture concertée. Une petite histoire qui concilie nos deux restrictions. Fort de cette “prouesse”, ce cher Ernest, risque de revenir sur votre éviction et en moins de deux jours, vous signerez votre retour. Qu’en dîtes-vous ?
- J’en pense que vous avez fumé votre chapon, en plus de le consommer durant le jour de l’an. Vous croyez réellement qu’Ernest, centre de l’Elysée et du bureau des troubles de la langue de Balzac, va me remettre en poste pour une nouvelle élaborée avec votre tronche en vrac ?
- Inutile d’être si belliqueux et ce n’est point ce que je dis. Je pense que si vous y mettez les formes et un brin d’humilité, Ernest risque d’en être tout chose. Enfin, un peu de foi, quoi ! Croyez-moi juste pour cette fois et vous verrez, vous préservez votre foie. Que pouvez vous perdre de plus ?
- Le peu d’honneur restant !
- Si ce n’est que l’honneur, inutile de trop vous en soucier. Ces derniers temps, seuls les incultes ignorent que l’hégémonie du suprême empire est en péril.
- Ah bon ?
- Bonté divine, Josse ! Vous ignorez donc tout de l’existence du groupuscule hostile ? Ils refusent le pouvoir de l’Empereur et se réunissent en petit effectif pour comploter librement. Ces bougres ont choisi de nommer leur opposition d’un texte pourvu de toutes les lettres du territoire de l’ex-Lutèce ! Personne ne peut les nommer publiquement, sous réserve de voir son cou découpé.
- Eh ben, non. Je tâche de me relever du camouflet qu’on m’a décerné, donc occupé à toute autre chose que de me concentrer sur le sort de notre gouvernement ou d’un groupuscule en pangramme.
- Vous devriez justement. Leur influence croit de jour en jour. Leur ombre risque sous peu, de de distiller des idées noires ou pire, souffler un vent de révolte. Comme si l’empire peut se permettre de juguler le zèle belliqueux de ces gueux !
- Chut, demeuré ! Ces “gueux” comme vous adorez les appeler sont les usagers de ce café. Revenons à votre projet.
- Notre projet, vous voulez dire !
- Cessez de beugler comme ça. Notre projet, comme vous voulez. A quel genre de nouvelle pensez-vous ? Quelle longueur ? Avec quel type de personnages ? En une phrase : avez-vous un soupçon d’humour ou de fantasme pour vous lancer dans une telle chose ?
- Pour qui me prenez-vous Josse ? Un inculte ? Un illettré ? J’écris depuis mon plus petit printemps. Un récit empli de princes et de guivres ne présente guère de difficulté. Une soirée et c’est plié.
- Vous semblez omettre primo, que nous devons coopérer et secundo, que composer un roman ou même la plus abordable des nouvelles, est un boulot complet…
- Et vous d’oublier qu’un soupçon de liqueur peut, même si l’on est lexicologue, fournir inventivité et ingénuité. Tenez finissez votre verre de… votre verre et procédons. Mettons les points sur les i et les tiges sur les t pour qu’une fois nos chemins dissociés, nous puissions commencer le turbin.
Josse frotte son front, exténué. Ce troquet le révulse et converser encore plus. Une gorgée de bourbon (prétendument du bourbon) exécute presqu’un dégorgement de l’oléoduc. Le gonze se courbe en deux, les pognes pressées sur le ventre, lors que son flegme prend du plomb sous le menton.
- D’accord ! s’exclame Josse, dorénavant secoué d’un courroux longtemps refoulé. Commençons donc. Le postulat, je vous écoute.
- L’exercice ne porte ses fruits qu’ensemble mon bon Josse, dit Emile, d’une voix doucereuse.
- Loveley ! A ce rythme, nous allons rester cloués dans ce resto jusqu’à ce qu’une révolte éclate. Mon estomac m’ébarbe les boyaux. Commencez, je prolonge votre jet.
- Oh, une sorte de dépouille exquise, fort bien. Je propose de débuter lors d’une nuit tempétueuse. Une vieille reine...
- Vénérable est un terme plus agréable…
- Que vous dites… quoique ni vous, ni moi ne pourront conserver cette version en définitive. Je vous le redis, comme vous-même le disiez un peu plus tôt : nul cercle semi-fermé, ni “i” ne doivent survenir. Ceci n’est qu’un point de dép… Hum, j’en perds presque mon idiome. Un commencement, un début fondé sur une suite d’hypothèses non définitives. Vous comprenez ?
- Cessez de me prendre pour un sot. Votre sarcasme vous emmènera seulement contre la tranche de cette table. On avance, ou nous prolongeons ce Waterloo grotesque ?
- Eh bien continuons. Nous disions donc, une vieille reine qui tout juste engendre un jeune fils. Celui-ci ne perd que peu de temps et en moins dudit temps qu’il n’en nécessite pour le dire, prend un sort sur le ciboulot. Il tombe d’un sommeil profond et ne doit son réveil…
- Qu’avec la venue de sa future épouse c’est ça ? Vous essayez d’appâter les jeunes femmes que vous rejetez le reste de l’année, le temps d’un conte m’as-tu-vu ?!
- Si l’idée vous excite plus, je peux utiliser deux hommes…
- Pardon ?! Répétez ce que vous venez de marmonner, espèce de déchet !
- Tempérez vos propos, demeuré. Je viens juste vous sortir du trou où vous vous êtes fourré !
- Par votre faute ! Vous vous accrochez au sceptre avec plus de force qu’une grappe de moules.
- Si c’est pour entendre ce genre de conneries, vous pouvez vous mettre mon soutien où je le pense, vous m’entendez ?!
- Cent sur cent, pourtant les choses sont ce qu’elles sont. Vous êtes un phallocrate, doublé d’un faux-jeton, plus fourbe qu’un serpent. Tout le monde le souffle à l’Elysée et j’en comprends seulement la cause. Je vous entends donc sans problème. Pas moyen cependant que je courbe la nuque devant vous.
Touché. Loveley, le loup de l’Elysée, supporte le soufflet, les lèvres serrées. Plus vexé qu’un poux, le “fourbe” se lève lentement, tenté d’emblée de prendre congé. Josse n’est nullement dupé. Loveley est trop présomptueux pour goûter un refus. Comme pour le prouver, le type pose derechef son derche et commence un long monologue.
- Vous ne pouvez ignorez Josse, combien mon influence sur l’Elysée est notoire. Qu’on me perçoive comme un scorie d’une bouche d’égout ou le successeur de l’Empereur, je m’en contrefiche. Seul importe le respect des règles. Ces mêmes règles qui ont poussé notre empire en-dessus du reste de l’Europe. Dénué de notre idiome limpide, sinon pur, ou de notre éloquence, nous serons ridiculisés, moqués et perdrons notre supériorité innée. Mettez-vous le en tête Josse : nous sommes les héritiers de l’idiome originel. Rien ni personne ne peut nous enlever ce legs, surtout ce fichu groupuscule desséché, tout juste digne de s’exiler en direction de Londres. Vous ne voulez point vous risquer sur le territoire des rosbifs mon cher ? Inutile de répondre, votre tête suffit. Donc, ce socle posé, si vous ne désirez que si peu une éventuelle contribution de mes idées, tirez tout de suite une ligne sur votre hypothétique réinsertion. Compris ?
- Euh…
- Vous venez de comprendre, très bien. Nous utiliserons donc une jeune jouvencelle pour secourir un prince endormi. Insérons-y un cerbère fougueux et une belle-mère houleuse, puis concluons d’une fin enveloppée de noirceur. L’ensemble forme un conte moderne, soit typiquement le genre de récit qu’estiment Ernest et l’Empereur. Quelle curieuse coïncidence…
- Etrange en effet… Je suppose que vous-même, n’y avez pas pensé.
- Préservez votre ironie pour le récit. De nos jours, si le style est lisse, personne ne lit quoi que ce soit. Je compte sur vous pour épicer l’histoire. Fort de votre éviction, vous devez disposer d’une bonne réserve de sel, je pense.
- En somme, je me tape tout le sale boulot. Je compose l’ensemble du conte et vous venez le parafer de votre nom. Vous ne manquez pas de cran.
- Peut-être… quoi qu’il en soit, si vous préférez vous tourner les pouces ou souillez votre nom du côté des mines de houille, foncez. Mon offre est le seul moyen que vous possédez pour revenir remorquer vos guêtres chez Le Perce. Que choisissez-vous ?
- Je prends, répond sèchement Josse après une courte pause.
- Merveilleux ! Sur ce, je file. Il est presqu’indécent de surseoir un rendez-vous ministériel, vous en conviendrez.
- En revanche, dans mon cas, peu vous en chaux.
- Pourquoi être si pénible ? Je vous offre l’opportunité de reprendre vos fonctions. Souriez donc un peu. Inutile de tirer une telle tête pour un contretemps de quinze minutes. Je vous revois bientôt, pour tout bien fignoler. Bon vent, comme on dit !
- C’est ça, à plus tard, lance Josse en regardant son bourreau lever le camp.
Josse est en rogne. Quel moment : s’écorcher les osselets et courber le dos pour ce gros présomptueux. Or, envers et contre tout bon sens, Josse est forcé de composer un conte moderne pour espérer endurer les trente jours subséquents.
Peut-être que se contenter de reformuler leur querelle, crée une nouvelle plus prometteuse. Ne reste plus qu’un coup de plume.
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