Chapitre 4
La salle était bondée. Des conversations, des rires, des exclamations : tel était le brouhaha joyeux qui accueillit Britess quand elle déboucha de l’arrière-salle. Les deux serveuses la remarquèrent aussitôt et se précipitèrent pour être la première à parler à la nouvelle. Elles lui désignèrent une place à l’écart, un peu à l’ombre. La jeune femme monta cinq marches qui séparaient la petite alcôve du reste des lieux, soulagée d’échapper aux regards étonnés : les noirs étaient rares, même dans un port aussi actif que Tola. Un moucharabieh finement travaillé cachait la petite table ronde aux yeux des clients. Il y avait d’autres recoins identiques, créant un véritable puzzle sur plusieurs niveaux, montants, pour les plus hauts, à presque un étage au-dessus, et pour les plus bas, presque un demi-étage en dessous du plancher. Les femmes mangeaient et buvaient, partageant des histoires ou passant tout simplement le temps. Il y avait de nombreuses marchandes, reconnaissables aux rembourrages sur les épaules de leurs vêtements. Les plus modestes portaient souvent de lourds chargements sur le dos. Les plus riches possédaient des attelages, mais par tradition et pour toujours se souvenir des rudes épreuves traversées, elles gardaient ces protections.
Les serveuses allaient et venaient, des plateaux chargés de brocs de bières et de plats de pot-au-feu. On lui servit d’ailleurs un bol fumant, un pain rond et une bière : cadeau de bienvenue de la maison. Britess mangea lentement, laissant l’ambiance imprégner lentement la moindre parcelle de son être. Cela lui rappelait la salle à manger de la Compagnie de la Vérité. Étoile de Ferriers, la commandante de l’ordre avait dû laisser éclater une colère terrible quand elle avait constaté sa disparition et celle, par la même occasion, de l’épée de l’Impératrice Sarann, au point que ses yeux avaient du crépiter de petits éclairs, littéralement. Une résurgence étrange de l’ancienne magie.
Terrifiante Étoile de Ferriers.
Britess avait subtilisé la lame par hasard. Quelle idée aussi de laisser une telle arme rangée avec celles des autres ? Une fois en route, il était hors de question de revenir pour la remettre à sa place. Elle posa une main sur la garde sculptée en forme de dragon. L’avoir à sa hanche ne lui posait pas le moindre problème de conscience. Si Sarann avait voulu la récupérer, cela serait déjà chose faite. Une chaleur apaisante irradia le long de ses doigts, comme si l’arme approuvait ses pensées.
Une nouvelle vague d’arrivantes fit baisser les voix un court instant, le temps que tout le monde identifie des membres de la garde impériale en fin de service. Elles furent placées juste en dessous de l’alcôve de Britess. Elles portaient encore leur armure de travail, mélange de cuir et de plaques de métal. Les six femmes, d’âge mûr, commandèrent à manger et à boire. Elles échangèrent peu durant la première demi-heure, puis se firent plus bavardes sur le digestif. Britess apprit qu’on cherchait des volontaires pour patrouiller au sud de Tola, région qui avait toujours pâti d’une réputation de brigandage. Personne ne voulait se charger du travail et le Tyran lui-même serait obligé de désigner du monde si d’ici une semaine aucune âme assez folle ne venait à s’engager. La coquette somme offerte pour le boulot de patrouilleur de chemin avait de quoi attirer, mais la dangerosité de l’affaire maintenait tout le monde à l’écart.
Britess posa délicatement sa choppe de bière vide sur la table. Elle aurait besoin d’argent pour vivre. Son équipement n’était plus de prime jeunesse et elle refusait de porter plus longtemps les oripeaux de la Compagnie de la Vérité. Ces mercenaires, bien qu’obéissant à un code honorable, étaient trop rigides pour elle. Elle observa les rares guerrières présentes dans l’assemblée. Les protections allaient du cuir à la maille. Seules les gardes portaient des pièces de grande qualité, certainement payées par l’Empire. La jeune femme décida de faire le tour des artisans dès le lendemain. Il lui faudrait aussi des tenues plus décontractées. Elle fit la moue. Où trouver de l’argent ? Les gardes la firent sursauter quand elles portèrent leur verre au Tyran, aussitôt imitées par l’ensemble des clientes.
La rumeur populaire disait le plus grand bien du Tyran Nirling Losorung qui avait su unir les Empires en un seul État, puissant et prospère. La paix Tyrannesque avait permis à la société de progresser sans pour autant lui garantir la fin des dangers sur les routes. Britess avait déjà rencontré Nirling, à plusieurs reprises, et lui avait même parlé. Cela appartenait maintenant au passé. Elle inspira, étendant ses jambes. La taverne se vidait petit à petit, le public qui arrivait était bien différent de celui du repas. Les tenues de travail étaient remplacées par des vêtements plus confortables. À côté de la cheminée, une Trouvère se mit à jouer de la mandoline. Les douces notes posèrent les discussions dans une ambiance plus sereine et propice aux secrets.
Britess allongea ses jambes et s’étira discrètement. Demain, elle commencerait sa nouvelle vie.
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