Chapitre 22
La tension monta d’un cran. Britess s’interposa, faisant face à l’espèce d’hurluberlu déguisé en mage d’opérette. Il se donnait de grands airs, ce dont n’importe quel fou ou égocentrique était capable. Les mains bien visibles, en signe de paix, elle tentait de lire les gestes de l’homme.
Première constatation, la lumière de la pièce ne permettait pas d’avoir une vue précise. Elle voyait flou. La même impression que dans la chambre sécurisée de l’Empereur. Par moment elle pouvait cependant distinguer sous la capuche la forme d’un visage, celui… d’une femme ? La silhouette changeait aussi de taille. Tantôt petite et rabougri, tantôt grande et droite. Britess plissa les yeux pour tenter d’en chasser les larmes.
Leil se porta à ses côtés et s’inclina profondément, en signe de respect.
— Vous êtes l’Éminence Pourpre, conseiller du trône des Territoires ? Je vous ai déjà vu lors d’une de vos visites à mon maître Remkor.
— Tu as bonne mémoire, Leil. Le Père des Éléments ne tarit pas d’éloges sur toi. Que fais-tu ici ?
— Au seuil de l’inconscience, l’Empereur a envoyé Jadile du Rosier vers l’Archipel pour y trouver de l’aide et un soigneur. Elle a transmondé, arrivant sur une de nos îles extérieures. Nos sages ont écouté son histoire et Remkor a décidé de m’envoyer avec elle. Je n’ai pu nous transporter qu’à la tour Dragon de Tola. Nous devions y être accueillis par les ambassadeurs du Couchant, mais…
— Je connais la suite. Qui est cette femme ?
— Leil a beau vous faire confiance, ce n’est pas mon cas. Vous étiez dans la pièce sécurisée de l’Empereur. Je suppose que c’est vous qui avez ouvert la porte… En échange de… cet objet ?
— Intelligente. Une qualité que j’apprécie. Tu es une énigme pour moi. Ton aura dit que tu as déjà foulé le Monde gris.
La main gantée de l’Éminence se crispa sur son épée. On entendait nettement le crissement du cuir. Britess effleura la sienne. À peine posa-t-elle la peau sur l’effigie du Dragon qu’elle perça le camouflage magique de son interlocutrice. C’était une femme, grande, d’un âge certain. Elle souriait amicalement sous la capuche qui en réalité ne couvrait que le dessus du crâne chauve. Une Hache ? L’épée de l’Éminence palpitait d’une lueur mauve au rythme de sa respiration.
— D’où tiens-tu cette arme ? Elle appartient à une amie, Sarann du Vieil Empire.
La voix n’était plus monocorde, mais basse et profonde, chargée d’une autorité puissante.
— Vous n’avez qu’à le lui demander. Nous perdons du temps. L’Empereur doit être ramené vers les siens. Connaissez-vous un clan qui lui serait resté fidèle ?
L’Éminence allait répondre quand on frappa à la porte.
— Conseiller, une femme se nommant Jadile souhaite entrer et…
Une main attrapa l’homme par l’épaule et le poussa sur le côté.
— Je n’ai pas besoin de la permission d’un étranger pour entrer dans une maison du Couchant.
Britess et Leil ne purent cacher la joie qui se lisait sur leur visage. Jadile était vivante, les vêtements déchirés et le chapeau abîmé, couverte de bandages, mais vivante.
— L’Empereur ?
— Il est guéri. Poison, annonça Britess qui avait intégré qu’il fallait être succinct et précis.
— Le mal qui le frappe depuis la naissance ?
— Je ne peux défaire ce que la Nature a fait. Cela serait contraire à mon code moral, fit Leil d’une voix légèrement trop aiguë en lançant un coup d’œil chargé de malédiction vers Britess qui l’ignora superbement.
— Tu dois lui donner la parole ! Comment gouvernera-t-il sans le verbe ?
L’Éminence s’avança.
— S’il a la volonté de régner, il trouvera la solution à son problème. Les Territoires ont assez fait. Nous ne devons pas nous mêler plus avant de cette histoire. Leil, fais tes adieux. Nous rentrons.
Leil secoua la tête.
— Donnez-moi quelques minutes.
Il s’agenouilla et dégagea un espace sur le bois ciré. Il disposa des ingrédients et sortit un mortier et son pilon, tout petit. D’un geste sûr il mélangea des herbes, des racines, des liquides de toutes les couleurs et broya le tout, les sourcils froncés. Il se releva enfin et dessina une rune sur le front de l’Empereur.
— Que ta pensée jaillisse en forme de lettres face à tes interlocuteurs quand tu le souhaiteras. Ceci est une rune indélébile. Elle se transmettra de génération en génération si le même mal vient à frapper ta descendance.
La rune s’illumina.
Le chaman se tourna vers Jadile.
— Je lui ai donné le pouvoir d’être compris par tout le monde. Seules les pensées qu’il veut exprimer se matérialiseront devant lui, sous la forme d’un texte. La rune ne fonctionnera que s’il le désire vraiment. C’est tout ce que je peux faire. J’espère que vous savez lire dans cet Empire…
— Nous savons lire.
Leil s’inclina. Malgré les protestations de Jadile, il la serra dans ses bras et posa son front contre celui de la guerrière, signe d’un profond respect. Il se tourna vers Britess et s’inclina.
— Je n’ai pas le droit au truc du front moi ? Pas assez bien pour toi le chauve ?
— Britess, il faudra des saisons et des saisons avant que j’arrive à accepter ce que tu m’as obligé à faire. J’y arriverai. Mais pour le moment, je t’en veux trop pour t’accorder mon pardon. Prends soin de toi.
Leil se porta aux côtés de l’Éminence qui se tourna vers Britess.
— Permets-moi de te rendre ceci.
L’Éminence montra le bijou donné par Noto. Britess tendit la main.
D’un geste rapide, elle dégaina son épée et frappa Britess sur son bras nu. Un claquement sec et les deux Territoriaux avaient disparu.
Britess hurla de douleur, tombant à genoux, comme frappée par un coup violent en plein ventre.
La fibule de Noto tinta sur le plancher.
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