Chapitre 36
La discussion se poursuivit longuement, et ce n’est qu’avec l’aube naissante que Nirling se redressa en grimaçant. Il se massa le creux du dos, l’exposant à la chaleur du feu. Britess écoutait le remue-ménage des cuisines voisines. Le palais se réveillait.
— J’informerai Sarann du strict nécessaire. Je vais te donner un sauf-conduit plénipotentiaire afin que tu puisses te rendre sans souci à Madir. Leurs archives sont particulièrement bien tenues et remontent très loin dans le passé.
Britess ramena son attention vers lui. Il tendit une main pour l’aider à se lever.
— Je vais devoir rejoindre mes devoirs de Tyran. Je dois convoquer l’ambassadeur de l’empire du Couchant et faire un peu de ménage parmi mes troupes.
Il passa derrière son bureau et se mit à écrire une lettre, levant parfois la plume pour parler.
— Ton désir de traverser vers le nouveau continent est très ambitieux. Hélas, les places sur le navire que Tola affrète sont pleines. Je n’ai aucun pouvoir là-dessus.
Il cacheta le parchemin avec son sceau personnel et le confia à Britess.
— Quand tu reviendras de ta visite touristique à Madir, reviens me voir. Je dois recevoir la visite de trois armateurs qui souhaitent faire construire des vaisseaux pour migrer. L’un d’eux n’a pas les fonds nécessaires. Je crois savoir que tu as une petite fortune en réserve…
Britess fronça les sourcils.
— J’ai assez d’argent pour me payer un passage, mais pas assez pour payer un bateau !
Nirling lui sourit tendrement.
— Nous parlerons de cela à ton retour.
Il écarta les bras en faisant quelques pas vers Britess. Elle le serra avec force. C’était à la fois un ami, un père, un grand-père et un frère. Elle se souvenait de chacune de ses visites, du temps qu’il passait à jouer avec elle, à lui parler du vaste monde, à lui livrer des légendes et des mythes de toutes les régions.
— Qui suis-je exactement pour toi ?
— Tu es ma petite-fille d’adoption. La famille, ce n’est pas seulement le sang et la chair, c’est surtout pour moi les liens qui se tissent naturellement. J’ai élevé Sarann, elle t’a pris sous son aile.
Il s’écarta.
— Je t’ai reçu dans mon bureau secret, celui où j’aime me réfugier loin du tumulte des affaires politiques, dans le seul but de ne pas te montrer aux curieux de la cour. Pour ceux que tu as croisés, tu es une messagère, sauf pour mon fidèle intendant.
— Merci Nirling. Je te suis reconnaissante. J’ai une dernière question… Qui est Marl le Manchot ?
Nirling éclata de rire, posa la main sur l’épaule de Britess.
— Marl était un sacré personnage ! Un redoutable guerrier, sans pitié, sans la moindre considération pour l’adversaire. C’était aussi un héros. Il a renoncé à sa vie, sa fille et sa femme pour nous sauver tous. Je n’ai pas eu le temps de l'assurer que mon pardon était vraiment sincère, pour…
Il passa une main sur son visage.
— … il avait un bon fond, le cœur sur la main malgré ce côté ours qu’il aimait cultiver. Marl manque à ce monde. Il y aura peut-être un autre être comme lui qui viendra fouler cette planète, qui peut bien le savoir ?
Britess se retrouva devant l’intendant. La fatigue se lisait sur ses yeux cernés de violet. Nirling et son invitée se dire une dernière fois au revoir et elle suivit son guide à travers les couloirs.
La jeune femme flâna dans les artères de la capitale, appréciant ce moment rare où la ville commence à s’éveiller. Des travailleurs de la nuit rentraient, croisant ceux qui ne tarderaient pas à embaucher. Britess repéra les petits malfrats qui se préparaient à tendre une embuscade à une proie inconsciente du danger. Elle s’approcha le plus discrètement possible et se campa derrière eux. Ils murmuraient un plan de bataille. Britess reconnut le petit malin qui avait essayé de la détrousser lors de son arrivée. Elle fit claquer la langue.
Les malandrins se retournèrent, le souffle court, effrayé par ce bruit soudain. Un des bandits écarquilla les yeux de frayeurs alors que la lueur grise de la nouvelle journée éclairait les traits de Britess.
— Alors, tu n’as pas compris la leçon ?
Le scélérat ne demanda pas son reste, entraînant à sa suite, dans une course éperdue, le reste de sa bande.
Britess regarda passer un adolescent, apprenti palefrenier d’après les petits poneys qu’il tenait par les longes. Ignorant qu’il venait d’échapper à un funeste destin, il salua bien poliment la femme qui le laissa passer.
Le soleil se leva, irradiant une chaleur bienfaisante sur la cité de Tola. La vie agitait les rues et ruelles, déversant dans les places des milliers d’êtres affairés.
Dans le palais impérial, l’ambassadeur de l’empire du Couchant apprenait l’étonnante nouvelle du fiasco du coup d’État qui avait ébranlé sa contrée.
Dans un petit atelier au bord des quais, Noto Mastique façonnait une nouvelle armure pour un client qui bientôt partirait vers le nouveau continent. Il pensait à Britess.
Dans une chambre d’auberge, Britess rassemblait son barda, prête à partir vers une nouvelle aventure. Son esprit tentait de se focaliser sur l’instant, mais le visage de Noto flottait devant ses yeux. Elle passa le sac au dos, passa par les écuries récupérer Myrtille et se hissa sur son dos d’un mouvement souple. Noto attendrait.
Elle fit claquer sa langue et la jument se mit en marche, au pas, quittant Tola par la porte Est.
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