Britess resta silencieuse, fixant l’archiviste. Quelqu’un d’autre cherchait à en savoir plus sur Krill. Un agent à la solde du fou au fond de sa cité pestiférée ? Plus simplement le même individu qui avait déjà été mentionné à l’Empire du Couchant ? Oui, sans doute possible, elle avait un concurrent. Que voulait-il à Krill ?

Le vieil homme n’avait pas attendu que la visiteuse se décide à parler. Il vaquait à ses occupations, époussetant les livres avant de les ranger.

— Je vais descendre. Vous pouvez me décrire un peu les lieux où je dois aller pour trouver mes renseignements ?

Le conservateur leva les bras en l’air avec un plumet dans une main et un livre dans l’autre.

— C’est à chaque fois pareil ! Vous voyez cela, au sol ?

Il montrait une vaste plaque de bronze qui recouvrait toute la partie libre d’étagères sur laquelle on pouvait lire une liste de noms, par centaines.

— Ce sont les bibliothécaires morts ou disparus, c’est la même chose, dans l’exercice de leur fonction. C’est moi qui ai gravé les cinq derniers. Si je dois vous guider, qui cisèlera le mien ? Qui prendra soin des lieux ?

— Je ne vous demande pas de me suivre, juste un plan, des indications. Je suis une adulte et je sais me défendre toute seule.

— D'après votre attirail, il est évident que vous êtes capable de vous battre. Il ne fait aucun doute que vous n’êtes pas là pour chercher un livre sur la cuisine, vu votre accoutrement de guerrière. D’ailleurs, ceci dit en passant, la cape est passée de mode depuis deux ans dans notre cité. Sans parler de vos pansements aux avant-bras.

— Ce ne sont pas des pansements, mais des protections, comme des poignets de force, mais en tissus et… je n’y crois pas, je parle chiffons au milieu d’une bibliothèque… Allons, donnez-moi les informations dont j’ai besoin.

— Mon titre m'oblige à vous accompagner.

Il s’était déplacé vers l’entrée après avoir déposé ses ustensiles. Il ferma la porte à clef et ouvrit un placard. Britess l’entendit y fouiller.

— Connaissez-vous la signification du rouage gravé sur la porte principale ? Demanda-t-elle en faisant quelque pas vers les rayonnages, les mains derrière le dos.

— C’est le symbole de la Mécamagie, une pratique magique oubliée, qui permettait de donner vie à des mécanismes. Krill en était le créateur et le plus célèbre représentant. On raconte que son laboratoire est quelque part dans cette ville, et qu’il abrite un assemblage terrifiant, capable de détruire la cité.

Britess se retourna, stupéfaite par les connaissances de l’ancien.

— Que savez-vous de plus sur Krill ?

— Que l’on soit bien clair, on parle d’un être légendaire. Rien ne prouve qu’il ait existé, résonna la voix étouffée dans le cagibi, entrecoupée par des bruits de sangles qu’on serre, d’objets métalliques et autres froissements.

— J’en suis consciente, mentit Britess en levant les yeux au ciel.

— Krill était un Nomic. Les Nomics sont des êtres que l’on retrouve dans divers mythes fondateurs des cultures des Territoires, mais aussi des Empires. L’histoire qui revient le plus souvent mentionne la mère des Nomics, une certaine Lède, qui aurait enfanté avec un dragon la lignée de ces êtres dotés d’immortalité. Ils ne meurent que s'ils le désirent. Ou bien si leur corps est détruit. Ils sont semblables aux humains physiquement. Des récits précises que parfois les plus puissants d’entre eux peuvent s’entourer d’une aura de couleur qui permettrait une guérison, une récupération accélérée. Krill est l’un d’eux. Son nom se retrouve pour la première fois dans les écrits d’Adalbéron de Yen, un historien du continent des Empires. Il est accolé aux noms des Héros qui partirent lutter lors de l’ultime guerre Draconique, sur le lointain continent de l’Est. On le rencontre ensuite dans d’autres volumes historiques de nombreuses cultures. Il est toujours lié au temps qui passe et aux objets mécaniques.

— Des stases temporelles…

— Vous connaissez cette magie temporelle ? C’est inattendu…

Le conservateur venait de rejoindre Britess. Il avait fière allure dans des vêtements taillés pour l’aventure : un fin haubert de mailles, un Morgenstern à la ceinture, une sacoche, un pantalon de cuir et les épaisses chaussures cloutées. Il tenait contre son flanc un casque en forme de bombe surmonté d’un toupet noir, avec des rabats sur le côté. Il avait même lissé sa moustache avec une huile quelconque.

— Krill aurait disparu lors du combat final, à l’Est, dans la tour des Anciens. Pourtant, sa présence est avérée, bien après cet évènement, dans le texte d’un architecte de cette cité, il y a des siècles. Le constructeur assure l’avoir vu s’embarquer vers l’ouest, vers une terre inconnue. Il fait une description très précise du laboratoire de Krill et de sa localisation.

Britess haussa un sourcil.

— Il serait au dixième sous-sol.