010
Les couloirs étaient longs et peu éclairés. Et peu fréquentés aussi. Aliénor marchait, essayant de retrouver son chemin. Elle s’était arrêtée juste un instant à une fenêtre pour observer le paysage extérieur. Il y avait eu une légère accalmie et elle avait pu admirer la mer plus loin à l’horizon. C’était la première fois qu’elle la voyait. Elle n’avait jamais pu l’observer qu’à travers des illustrations ou des descriptions d’itinérants ou de carnets de voyages. Alors la voir en vrai, cela n’avait pas de prix. Elle regrettait juste qu’il ne fasse pas très beau pour avoir une meilleure appréciation de cette vue.
Elle était restée longtemps à cette contemplation. Elle avait complètement oublié Guenièvre. Et cette dernière s’était sans doute hâtée à différentes tâches, l’oubliant quelque peu. Depuis, la jeune fille la recherchait partout. Mais en le faisant, elle s’était tout simplement perdue dans les méandres du château. Elle avait l’impression de se trouver à l’intérieur d’un labyrinthe où tous les couloirs se ressemblaient, tout comme les escaliers. Et parfois même, elle avait la sensation que des murs se mouvaient et que des couloirs apparaissaient là où il y avait un cul-de-sac l’instant précédent. C’était assez étrange et angoissant à expérimenter au point qu’elle commençait peu à peu à courir, effrayée à l’idée de se perdre et de ne trouver personne.
La température se mit à baisser, devenant de plus en plus fraîche et elle n’avait pas de cape ou un petit foulard en laine pour lui tenir plus chaud. De la buée sortait de sa bouche sous sa respiration rapide tandis que la pierre répercutait en écho le moindre de ses pas. Elle se sentait seule et oppressée dans cet endroit de plus en plus sombre.
Pourquoi ne trouvait-elle pas la sortie ? Pourquoi n’y avait-il personne nulle part ?
— Il y a quelqu’un ? Appela-t-elle d’une voix tremblotante. S’il vous plait ? Je me suis perdue ! Il y a quelqu’un ?
Aucune réponse ne lui parvint autre que l’écho déformé de sa propre voix. Désagréable et angoissant. Sa respiration se fit encore plus rapide et elle se mit à courir dans l’espérance de pouvoir sortir de ce cauchemar infernal. Elle voulait retrouver des couloirs éclairés par la lumière du jour plutôt que par des torches éparses çà et là.
Soudain, il y vit quelque chose qui l’effraya. Il s’agissait d’une momie. Elle poussa un hurlement.
Un cri de frayeur résonna contre la pierre. Drake qui marchait dans les couloirs en direction de la salle du trône, se retourna les sourcils froncés. Cela faisait bien longtemps qu’un tel son n’avait pas été entendu entre ces murs. Depuis au moins sa petite enfance et encore… Il n’en était pas certain. Les hurlements étaient très rares.
Il s’enquit auprès de l’un ou l’autre garde s’ils l’avaient entendu par hasard. Tous lui répondirent par la négative. Alors il laissa passer et poursuivit son chemin. Il n’était toutefois pas encore arrivé à sa destination qu’il changeait de direction. Il avait un pressentiment. Ce cri, il ne l’avait pas rêvé. Il partit de ce pas enquêter lui-même. Les auditions attendraient un peu.
Il parcourut quelques vieux couloirs peu usités, pas toujours très sûr parfois où est-ce qu’il se rendait et se référa aux quelques repères qui avaient été taillés dans la pierre à travers le temps par les habitants du château. Il parcourut les étages supérieurs et inférieurs avant de se rendre vers les catacombes royales.
Il s’arma d’une torche pour mieux éclairer sa route dans ces sombres couloirs. Ses yeux noirs scrutaient le moindre recoin sans rien voir d’inquiétant ou de dangereux. Puis un son parvint à son oreille qui était autre que ses pas résonnants sur le sol de pierre. Des pleurs étouffés et féminins. Sachant pertinemment que personne dans son château ne viendrait dans ces lieux pour y pleurer, il se douta un peu de l’identité et poussa un soupir. C’était la princesse Aliénor. Il avait eu vent qu’elle circulait en compagnie de Guenièvre mais elle n’avait probablement pas remarqué tout de suite que la jeune fille ne la suivait plus.
Il y avait tant de choses à faire en cette période de l’année. Même si le froid et les blizzards de Souffretempête empêchaient tout voyage, il y avait tout le rangement du château et l’inventaire des ressources et denrées à faire pour survivre jusqu’à la fin du mois et une partie de Calblanc.
Drake poursuivit son chemin, se guidant aux pleurs et arriva au détour d’un couloir étroit devant un gardien de Shodar. Il la découvrit prostrée contre un mur, la tête dans les genoux. Des soubresauts l’agitaient.
— Aliénor, dit-il d’une voix neutre.
La jeune fille sursauta et redressa la tête. Son visage était ruisselant de larmes. Elle se redressa vivement et vain se jeter dans ses bras en pleurant. Elle le remerciait dans des murmures hâtifs entre deux sanglots.
Son hypothèse était donc la bonne. La jeune fille s’était perdue et avait désespérément tenté de retrouver son chemin sans succès et s’était enfoncée dans les profondeurs du château.
— C’est fini, lui dit-il d’une voix qu’il espérait rassurante. Calmez-vous. Je suis avec vous. Je vous promets qu’il ne vous arrivera rien en ma présence.
Il réussit à la calmer à la lueur de sa torche et il la garda contre lui, lui frottant simplement le dos tout en lui murmurant des paroles de réconfort. Les pleurs de la jeune fille finirent par se tarirent et Aliénor finit par s’écarter de quelques pas.
— Excusez-moi pour mon comportement, sire, dit-elle en se frottant les yeux.
— Il n’y a pas de mal, répliqua Drake en secouant la tête. Cet endroit n’est pas vraiment un lieu de plaisir.
— Où sommes-nous ?
— Dans les catacombes du château, la dernière demeure de mes ancêtres.
Il tendit une main à la jeune fille.
— Venez. Je vais vous ramener.
Aliénor hocha la tête et se saisit de sa main. Sa peau était douce et chaude.
— Vous savez, vous n’avez pas à avoir peur des gardiens de Shodar, ils sont…
— Les protecteurs des morts, termina-t-elle en hochant la tête. C’est juste que … je ne l’ai pas reconnu tout de suite. Il n’y en a plus depuis longtemps à Roklbanthel.
— Pour quelle raison ? Demanda Drake avec curiosité.
— Il y a trois générations de cela, le roi Edun les a fait enlever. Et il a fait proscrire son culte ainsi que la pratique de la magie.
L’homme fronça les sourcils.
— Cela a-t-il avoir avec le nécromancien Husnar ?
— Oui.
L’homme hocha la tête.
— Il est dommage que par les torts d’un seul homme, on puisse proscrire toutes les formes de magie. C’est une pratique qui est ni bonne ni mauvaise. Ce sont les hommes qui le sont par choix.
— Il n’y a pas de magie noire ?
— Ce n’est pas ce que j’ai dit, réfuta le roi. Elle existe bel et bien. Mais il y a une nuance entre dire de la magie noire et de la magie malfaisante. Je ne suis pas mage mais …
Il soupira. Il cherchait un moyen d’expliquer le peu qu’il savait sur la magie à la jeune fille.
— C’est un peu comme un outil. Imaginez que la plume soit pour nous la magie blanche, et l’épée la magie noire. La plume semble inoffensive de prime abord, vous en conviendrez.
— Oui, sire.
— L’épée par contre, est tranchante et cause irrémédiablement la douleur.
La jeune fille hocha la tête, suivant son raisonnement logique.
— Pourtant, l’une et l’autre peuvent être employée pour faire le bien comme le mal. Ce sont des outils. Il en va de même pour la magie, sous toutes ses formes. C’est à nous de choisir comment nous souhaitons nous en servir. Et si un homme agit à l’encontre d’un autre avec l’un de ces instruments, il doit porter seul la responsabilité de ses actes et non porter préjudice sur la vie des autres à cause d’édits royaux écrits par des hommes étroits d’esprit.
— Maintenant, on ne peut pas en vouloir au roi Edun d’avoir été aussi extrême dans sa décision. Trois villages avaient été décimés. Il ne souhaitait sans doute pas voir la même chose se reproduire.
— Il est vrai que cette décision n’est pas tout à fait dénuée de sens. Mais que faire contre les personnes dont la magie est un don qu’ils ont reçu et non demandé ? N’ont-ils pas le droit vivre comme tout le monde et de pratiquer ce en quoi ils sont doués plutôt que de vivre dans la peur d’être découvert et de finir sur un bûcher ?
— Il y en a tant que cela ?
— Ils ne sont pas si nombreux mais on recense chaque année l’arrivée de nouveaux mages provenant de vos terres, fuyant la peine capitale avant qu’elle ne leur tombe dessus. Je les ai naturellement accueillis.
— Vous n’avez jamais eu peur que l’un d’entre eux se retourne contre vous ?
— Pourquoi le feraient-ils ?
— Parce que vous êtes …
Drake releva un sourcil alors qu’il croisait son regard. Elle hésitait.
— Oui ? Fit-il en s’arrêtant un instant au milieu du couloir désert. Que suis-je ?
— On dit que vous êtes un roi exigeant et sans pitié.
— Ce n’est pas … tout à fait vrai. Je suis impitoyable dans certaines circonstances. Mais beaucoup de chef et de roi le sont. Il faut instaurer des règles et un certain respect. Dans le cas contraire, on risque de se faire dévorer. Mais cela ne veut pas dire que je le suis en tout. Je n’étale juste pas mes sentiments en public, voilà tout.
— Donc… Vous n’êtes pas sans cœur ?
La question amusa le roi et il rit doucement. Il fit face à la jeune fille et lui posa la main qu’il tenait toujours contre sa poitrine. Il posa ensuite la sienne sur sa peau pour l’appuyer un peu plus contre son torse.
— Suis-je sans cœur selon vous ? Demanda-t-il.
Elle resta un instant concentrée, le regard posé sur leurs mains. Puis elle releva la tête et secoua la tête avec un léger sourire.
— Bien, dit-il en y répondant par un autre en coin avant de reprendre la marche.
Ils arrivèrent à la sortie des catacombes et retrouvèrent bien rapidement la lumière grisâtre du jour.
— Nous y voilà.
— Je vous remercie de m’avoir retrouvée et guidée jusqu’ici.
Le roi secoua la tête et la mena encore à travers quelques couloirs. Ils s’arrêtèrent auprès d’une fenêtre non loin de sa chambre.
— Accepteriez-vous de venir dîner en ma compagnie ce soir, l’invita-t-il avec un sourire.
— Avec plaisir, sire, sourit-elle en s’inclinant.
— A ce soir donc, répliqua Drake avant de s’éloigner pour enfin se rendre en salle du trône.
Il avait toujours des auditions à écouter…
Annotations
Versions