Ora Ora Ora...

Les onomatopées, toute une institution au Japon...il en existe des dizaines, mais une seule peut avoir plusieurs significations... j'allais l'apprendre à mes dépens...

Rejoignant mon ami Masayuki à Ginza, le quartier le plus huppé de Tokyo, je me réjouissais de profiter d'un des restaurants les plus réputés de la capitale, l'Ukai-Tei.

Je m'étais habillée pour la circonstance, car je devinais qu'il fallait se montrer digne du standing haut-de-gamme de ce repaire de gourmets. J'avais donc opté pour une petite robe noire, le classique des grandes occasions, accompagnée de hauts escarpins de la même couleur. Mes cheveux étaient sobrement relevés en chignon, et mes yeux soulignés d'un trait d'eyeliner vert de bronze pour mettre en valeur la teinte de mes yeux.

Masayuki, également très élégant en costume gris, m'harangua familièrement de loin:

"Ora ( hey) ! Comment vas-tu? Je vois que tu t'es mise sur ton trente-et-un " constata-t-il avec satisfaction.

" Tu vas voir, c'est un endroit incroyable, et la nourriture qu'on y sert est d'un raffinement extrême " m'assura-t-il, fier de me faire découvrir le summum de la cuisine nippone.

Tout en conversant, il me guida au pied d'un gratte-ciel cossu. Le restaurant était situé au rez-de-chaussée, chose assez rare au Japon, et arborait une entrée monumentale.

Le décor était aussi imposant à l'intérieur, formé d'une harmonieuse combinaison de matérieux naturels, de mosaïques et de tentures traditionnelles. Nous fûmes accueillis obséquieusement par des serveurs en grande tenue qui s'inclinèrent très bas ainsi qu'il était de coutume. Les autres clients avaient fait honneur à ce lieu d'exception, les hommes en smoking et les femmes en robe de cocktail.

Nous fûmes immédiatement installés à une petite table et le personnel nous apporta, empressé, la carte des mets. Celle-ci était réduite, comme dans tout bon restaurant, et je laissais Masayuki commander car je ne lisais pas les kanjis du menu.

On nous apporta bientôt une farandole d'entrées, et une bouteille du meilleur shochu.

Conformément à ma culture d'origine, étant une femme, je me servais la première, et je vis mon compagnon qui fronçait légèrement les sourcils.

" Au Japon, on commence par servir autrui avant soi-même", expliqua-t-il obligeamment.

" Pardon", m'excusai-je, sincèrement désolée de ce manquement.

Je contemplai les plats disposés dans de petites assiettes parées de dorures et jetai mon dévolu sur une boulette de riz assaisonnée d'un condiment violet que je ne connaissais pas. Etant très maladroite ave des baguettes, je tentai plusieurs fois de l'attraper, sans succès. En désespoir de cause, je me résolus à les planter dedans.

"Ora! (Fais attention) il ne faut pas faire ça, c'est une pratique qu'on emploie dans les rites funéraires!". Je lâchai la boulette et continuais donc à essayer de la manger en bonne et due forme.

Mais tentée par les bouchées choisies par Masayuki, je lui en dérobai une, amoureusement, avec mes baguettes alors qu'il s'apprêtait à la porter à la bouche.

" Ora, ça ne se fait pas non plus", protesta-t-il, exaspéré.

Je présentais mes excuses et pousuivais ma dégustation, dépitée.

Puis, le repas déroulant ses viandes exquises, je n'y pensais plus. C'est alors que mon regard se porta sur ce que savourait l'un de nos voisins de table.

" Regarde ça Masayuki! ça a l'air très bon!" fis-je remarquer, candidement, le montrant d'une baguette.

Cette fois, tout son corps se tendit.

" C'est une menace de faire ça, c'est très grave! La coupe est pleine. Ora! Ora! Ora! (Prends ça)" fit-il en m'alignant deux paires de baffes sous le regard médusé de l'assistance.

Note: Pour ceux qui n'ont pas la référence, cette onomatopée est très utilisée dans le manga cultissime Jojo's Bizarre Adventure, elle est associée au personnage badass Jotaro Kujo, qui est révéré au Japon, et qui est inspiré de Clint Eastwood.

https://www.youtube.com/watch?v=rA4eesTbNKE