Quand Berry se retrouve au fond du trou
« Un instant après, Alice était à la poursuite du Lapin dans le terrier, sans songer comment elle en sortirait.
Pendant un bout de chemin, le trou allait tout droit comme un tunnel, puis tout à coup il plongeait perpendiculairement d’une façon si brusque qu’Alice se sentit tomber comme dans un puits d’une grande profondeur, avant même d’avoir pensé à se retenir... »
Lewis Carroll
(Alice au pays des Merveilles)
La voiture de Gervais était arrivée la veille vers 23 heures 30 dans la sinistre et délabrée propriété des Van Buick, accueillie par les deux molosses solidement attachés, qui montaient la garde et donnaient de la gueule pour impressionner les visiteurs. La cour encombrée de ferraille semblait bien lugubre dans la lueur des phares et noyée sous les cordes.
- C’est ici qu’habite ton ami ? demanda Berry. C’est glauque, wesh ! Tu sens cette odeur ?!
Gervais qui n’avait toujours pas coupé le contact, les mains sur le volant, se tourna alors vers la jeune fille. Il avait le regard embué comme une vitre en hiver.
- Pardonne-moi ! Je n’avais pas le choix, dit-il en déverrouillant la fermeture automatique des portes.
Berry entendit à peine la voix de l’éducateur couverte par le bruit assourdissant du déluge sur la tôle quand la silhouette de Jimmy Van Buick, surgissant de la pénombre et armé de son Taser, ouvrit la portière du véhicule sans crier gare. Surprise et saisie par la pluie et le vent qui s’engouffrèrent dans l’habitacle, elle poussa un cri strident avant qu’une puissante décharge électrique ne vienne la frapper ; si ce n’était pas la foudre, ça y ressemblait. Le barbu extirpa l’adolescente abasourdie du Multipla, et la jeta à terre sans ménagement.
- Eh, doucement ! Ne lui faites pas d'mal ! hurla Gervais tandis que Jimmy écrasait son genou sur la nuque de Berry et lui entravait les poignets derrière le dos à l’aide d’un Rilsan.
Gervais n’eut pas le temps de percuter lorsque Sergio pénétra à son tour dans la caisse, côté conducteur, et d’une main ferme vint lui serrer la cravate. Il le sortit manu militari et le fit valdinguer dans la bouillasse. Avant que l'éducateur n'ait pu se relever, le costaud le fit basculer à nouveau d'un coup de talon dans l'épaule, dégaina un Mauser C 96 de la poche de sa canadienne, actionna la glissière et tira un coup de semonce à quelques centimètres de son oreille.
- Déconne pas, Sergio ! J’ai fait tout ce que tu m’as demandé ! protesta le pleutre, le tympan explosé et recroquevillé à terre.
- T'es trop fleur bleue, Face de craie ! J'voulais juste te rapp’ler pour qui tu bosses, persifla l’asticoteur. Maintenant, casse-toi !
Gervais connaissait trop bien les dangers auxquels il s’exposait si l’envie de bavasser sur les événements de cette nuit le démangeait. Douché au sens propre comme au figuré, il ne se fit pas prier pour décamper avec le trouillomètre à zéro, un acouphène dans les cages à miel et un prout à jus au fond du calcif.
Les deux brothers, une fois débarrassés de l'inconsolable scélérat, firent monter Berry à l’arrière de leur Renault Trafic et démarrèrent lentement en direction du bois. Ils roulèrent ainsi à travers nuit, zigzaguant dans les ornières pendant quelques kilomètres puis stoppèrent aux abords d’un chemin trop étroit. Ils décidèrent d'abandonner la camionnette pour continuer la route à pied. Jimmy hissa Berry sur ses épaules et, munis de lampes-torches, les deux frangins saucés sous la pluie battante s’enfoncèrent un peu plus dans la pénombre abyssale de l’inquiétante forêt.
***
Étendue sur le sol détrempé, Berry refit surface, transie de froid et les poignets meurtris par le collier de serrage. À l’abri de la pluie sous le feuillage dense, ses deux ravisseurs la contemplaient en silence.
- Jimmy, allume la torche ! ordonna Sergio.
Le grand benêt embrasa alors un morceau d’étoffe imbibé d’essence qu’il avait préalablement enroulé autour d’un morceau de bois. À la lueur de la flambée chaude et éclatante apparut dans le sous-bois l’ouverture d’un gouffre rocheux plongeant à la verticale que l’eau des sous-sols avait creusé avec le temps ; une plaie béante où s’engouffrait l’obscurité menaçante. Sergio ramassa une pierre qu’il balança aussi sec dans la fosse. Après quelques secondes, on entendit un plouf lointain, témoignant de la profondeur de l’abîme.
Berry, le cœur battant, vit alors le maousse s’approcher et s’agenouiller à ses côtés.
- Alors c’est pour toi que Freddy en pinçait ? s'étonna-t-il. T’es pourtant pas son genre.
Elle senti sa main poisseuse glisser sous son sweat humide et caresser sa poitrine tandis que l'autre se dirigeait lentement vers son entrejambe. Et pendant que Sergio déboutonnait son pantalon, le souffle court et enivré par l’excitation, Berry serra les cuisses, ferma les yeux puis senti les doigts du mastard pénétrer au plus profond de sa chair. Elle ne put s’empêcher de tressaillir et d’exprimer un râle de douleur.
- Tu n’as jamais vu le loup, hein ? constata-t-il, comblé.
- OOooOOUUuuuUUUUuuuuh... imita Jimmy l'animal.
- Ce pauvre Freddy n’a même pas eu le temps de t’baiser avant de mourir. Quel gâchis ! Dis-moi c’qui s’est passé là-haut ! T'étais avec lui, n’est-ce pas ?
Avant qu’elle n’ait eu l’occasion de répondre, le vicelard se pencha plus avant et tenta de forcer la bouche de la jeune fille avec son énorme baveuse. Incommodée par le bouquet de son haleine chargée et la puanteur acide de sa transpiration, elle tenta de contenir ce sentiment de répulsion qu’elle éprouvait pour la seconde fois. Mais c’était au-delà de ses forces. Elle chopa alors la langue de Sergio à pleines dents qui, dans un réflexe désespéré, poussa un cri de rage et lui balança une patate de forain dans la mâchoire pour lui faire lâcher prise ; mais la petite tint bon. Il s’y reprit à deux fois avant qu’elle ne cède enfin. Hors de lui, il se releva, la bouche en sang, et lui asséna deux violents coups de tartine dans les côtes. La jeune fille, en pleurs et le souffle coupé, recracha ses poumons.
- T’es complétement finglée. Z’vais t’crever, falope ! la choppa-t-il par les cheveux et la trainant violemment à terre jusqu’à l’entrée du gouffre.
- Tue-la, tue-la ! scanda Jimmy, excité comme un gone au spectacle de Guignol.
- C’est moi qui vais t'crever, fils de pute ! se mit-elle à proférer entre deux quintes de toux. Tout comme j’ai crevé ton frère.
Le temps de faire chauffer leur radiateur à méninges, les deux Van Buick restèrent bouche bée avant que Sergio ne réagisse enfin :
- T'as du cran, gamine mais z'vais t'fermer ton claque-merde, la menaça-t-il en dégainant à nouveau son Broomhandle semi-automatique.
Il l'agrippa par le col et lui appuya le canon sur la tempe.
- Ta langue a le même goût qu'ton frère : de la viande avariée, ne se laissa-t-elle pas démonter et le regardant droit dans les yeux.
Berry partit alors dans un fou-rire nerveux qui désarçonna le gaillard.
- Le warou... c'est le warou ! commença à paniquer Jimmy, se remémorant les paroles du père Jean-Jean à l'abbaye.
- Tais-toi, imbéfile ! le sermonna Sergio.
À bout de nerf, il arma la chambre de son calibre, le doigt crispé sur la détente.
- Warou ou pas, tu vas mordre la pouffière, fale pute !
- C’est celui qui l’dit qui est ! le toisa-t-elle dans un ultime baroud d’honneur, avant qu’il ne presse la gâchette.
BANG ! BANG ! BANG !
Dérangées dans leur sommeil par les détonations, des corneilles décollèrent de leur branche en graillant leur mécontentement. Le vent se mit à tourner et dans le ciel chargé, la Lune gibbeuse et croissante fit une apparition furtive avant de disparaître à nouveau derrière les rouleaux de nuages cotonneux.
Berry, touchée par la rafale du Mauser, gisait à présent au bord du précipice. Sans l’once d’un remord, Sergio lui cracha au visage en guise de coup de grâce et, du plat du pied, poussa le cadavre encore chaud qui exécuta un roulé-boulé avant de disparaitre au fond du trou.
FIN DE LA DEUXIEME PARTIE
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