L'amour, c'est comme la levrette : c'est regarder dans la même direction
Jusqu’en haut des cuisses
Elle est bottée
Et c'est comme un calice
À sa beauté
Elle ne porte rien
D'autre qu'un peu
D'essence de Guerlain
Dans les cheveux
Serge Gainsbourg
(Initials B.B.)
L’adjudant Le Garrec avait redéposé Bellocq à 20 heures devant son camping-car. Jessica était déjà là, pimpante et sexy en diable, portant un tee-shirt moulant jaune de Damas, le cameltoe emballée sous vide dans un mini-short en jean on ne peut plus échancré et des bottes à talon en cuir noir. Elle taillait la bavette avec un vieux touriste hollandais qui avait jeté l’ancre de son palace roulant sur l’emplacement d’à côté. Le Batave, qu'on reconnaissait à cette fâcheuse habitude d’accommoder chaussettes noires et sandalettes en cuir, devait certainement parler french car Jessica semblait totalement absorbée par la conversation. En s'approchant, le commandant surpris constata qu'il blablatait en version originale non sous-titrée tandis qu'elle lui souriait et opinait du chef.
- Bonsoir ma belle, salua-t-il.
- Solut Gitan ! minauda la pin-up en roulant une langue à son amour de flic.
Le vieil Hollandais stoppa sa logorrhée pendant la fricassée de museaux.
- Tu ne me présentes pas ? demanda Bellocq en désignant l'asticot.
- C'est Lodewijk, il vient d'Moostricht, résuma Jessica. Lui et sa femme Urséltje déscendent dans l’Sud, jusqu'à Argeulés. C'est c'que j'ai compris.
- Hallo ! lança l’intéressé.
- Urseltje ?! Tu parles d'un blase, on dirait un code WI-FI ! blagua Bellocq. Tu causes le néerlandais, toi ?
- Bin j'le porle pas mais j'le comprends, répondit-elle. On a beaucoup d'Hollandés pendant la saison.
Le susnommé Lodewijk éructa et cracha encore quelques mots dans son abominable langue, salua les tourtereaux et retourna dans son trois étoiles.
- Tot ziens en ik zie je snel wéér, l'accompagna Jessica d’un geste de la main.
Puis se tournant vers son Bibi chéri, la bouche en cœur :
- T’as prévu yauque ce soir, Gitan ?
- On sort ! Mais si ça ne te dérange pas, on va baiser d'abord. Sinon je n’vais penser qu'à ça toute la soirée et je n'aurai pas la tête à la conversation, l’avertit-il, une balle chargée dans le canon.
***
Prévenant, Bellocq alluma quelques bougies parfumées et déposa Cheap Thrills de Big Brother & The Holding Company sur la platine vinyle. Puis, ayant quelques notions de latin, il démarra Jessica au cunnilingus. Sa langue était loin d’être morte et la belle avait la touffe taillée comme du gazon anglais. Son vagin crachait des petits jets de cyprine qui lui éclaboussèrent le visage.
- Démonte-moi, la ket ! ordonna-t-elle en étranglant d’une main la gorge du commandant et plongeant l’autre dans son barslow pour en sortir ses vingt-deux centimètres de chibre.
Autant la demoiselle pouvait se montrer prévenante et fleur bleue, autant elle ne s’encombrait pas de manières quand il s’agissait de gratter son lard. Elle lui joua, tête-bêche, un air de flûte à bec en accord majeur et doigté baroque. La notion de lâcher prise prenait tout son sens quand elle s’envoyait en l’air, ne s’encombrant pas de fausses pudeurs et ne jouissant jamais avec le frein à main. Bellocq n’était pas en reste car si l’Homme descendait du singe, lui, assurément, descendait du bonobo.
Le Kamasutra à lui seul ne suffit plus pour élargir le champ des possibles de leur excessive libido. Il leur fallut improviser des positions qui n’existaient pas : le sandwich monégasque, la girafe à neufs trous, le roulé tibétain, le Cyclope de Vesoul, la trompette à l’huile, le hussard sur le doigt ou la turbine à Ringo. Ce qui n’était pas aisé et relevait de l’exploit vue la hauteur réduite du plafond au-dessus du lit capucine
Dans un mouvement parfaitement synchronisé qui n'aurait pas déplu à un juge de patinage artistique, les deux amants enchaînèrent avec l'union du lotus. Jessica avait des roberts à caler les roues d'un camion ; Bellocq s’en saisit à pleine bouche, tandis qu'elle allait et venait sur son chibre à ressort, débitant des insanités à la pelle, giflant son amant et hurlant de plaisir à chaque coup de boutoir. Même la grande Janis Joplin avec Magic of Love eut bien du mal à couvrir le son de sa voix.
Le Gitan et sa belle terminèrent en levrette avant d’accoster enfin au port de grâce après trente minutes de bouillave. Il se retira et en bon marmiton, arrosa son cresson de béchamel puis se laissa retomber sur la couche, terrassé par la petite mort.
Jessica avait déjà remis sa culotte et remballé ses melons dans le lance-pierres.
- J'adore tes cheveux ! s'extasia le moustachu sous endorphine, passant délicatement sa main entre les boucles blondes et dorées de sa belle.
- J’espére bin, ma gros ! répondit-t-elle en y remettant de l’ordre. Avé tout l’mal que j’me donne. J’vais au coiffeur tous les mois, quand la Lune est pléine.
- Qu'est-ce que la Lune et le merlan viennent faire dans cette histoire ? relança-t-il, intrigué.
- C'est bin connu, les ch'veux sont plus beaux et résistants si on les coupe à c’moment-lò.
- Et c’était quand la dernière fois ?
- Lundi. Pourquoi ?
- Tu sais que t'es un génie, toi ? s'enthousiasma-t-il en lui claquant la fesse. J’ai un coup de fil à passer. Ensuite, on va grailler ! J’ai le gésier dans les talons.
- Enfile un slip, ma gros ! lui conseilla-t-elle tandis qu’il redescendait la petite échelle. T’as l’bout qui pérle et tu vas tacher la moquette.
***
C'était plus calme chez les Dax, le soir-même à la brigade ; deux salles, deux ambiances ! Le capitaine était rentré à 19h30 dans ses quartiers et avait enfilé ses chaussons pendant que madame lui concoctait son fameux bœuf mode. Bien qu'il se doutât qu'elle ait eu vent de l'enquête en cours, le dispositif policier et la présence de la presse n'étant pas passés inaperçus en ville, aucun des deux n'y avait fait allusion pendant le repas. Dax avait toujours mis un point d'honneur à ne jamais ramener son travail à la maison. Le foyer était un territoire sacré qu'il ne fallait pas profaner. Les affaires courantes restaient accrochées à la patère avec le képi et ne passaient jamais le vestibule. D'autant que madame aimait pousser la glaire chez les commerçants et le concept de secret d'instruction lui passait par-dessus la tête.
Le couple s'était couché à 21 heures. Dax, dans un état de semi-conscience, sursauta quand la sonnerie du téléphone retentit. Madame décrocha.
- Allô ? soupira-t-elle.
- Bonjour Madame Dax, ici le commandant Bellocq. Pourrais-je parler à votre mari ?
- Il est ici, ne quittez pas !
Elle tendit alors le combiné au capitaine qui lui jeta un regard sombre et embué.
- C'est le commandant Belleck, ou Ballock, lui souffla-t-elle en aparté.
- Oui allô, grommela entre deux bâillements l'ours mal léché.
- Bonsoir Capitaine. Excusez-moi de vous déranger mais il fallait que je vous parle au plus vite. Je crois savoir ce qui a tué Freddy Van Buick.
- Attendez ! Je vous reprends dans une minute, marmonna le gendarme.
Il se leva, enfila sa pyjaveste et, combiné en main, s’éloigna de la chambre en direction de la cuisine. Il prit au passage un paquet de cigarettes planqué au-dessus du frigo et, profitant de l’aubaine, sortit sur le balcon pour s’en griller une en douce.
- Je vous écoute, dit-il enfin au commandant qui patientait à l’autre bout du fil.
- Vous avez vu ce quartier de Lune, ce soir ?
- Je suis juste en dessous, leva les yeux le capitaine. Pourquoi ?
- On appelle cela la Lune gibbeuse décroissante.
- Et ?...
- Cela signifie qu’il y a deux jours : c'était la pleine Lune. Et je pense que le jour du meurtre n'a pas été choisi par hasard. Il ne serait pas impossible que nous ayons affaire à un lycanthrope.
- Un lycan… quoi ?
- Un loup-garou, si vous préférez.
Un long silence passa avant que le capitaine ne poursuive :
- Et pourquoi pas la Bête du Gévaudan ?! Vous avez bu, Mulder ?
- Je ne vous parle pas d'un monstre à proprement parlé. Je vous parle de lycanthropie clinique, une maladie psychiatrique qui affecte le raisonnement d'un individu qui croit se transformer en loup. Je n'invente rien. Cela peut être dû à une prise de drogues hallucinogènes.
- Le sang AB- retrouvé sur le lieu du crime n'a révélé aucune trace de stupéfiant, coupa Dax.
- C'est exact. Les patients observés peuvent aussi souffrir de schizophrénie ou de troubles bipolaires.
- Cela expliquerait effectivement la nature du meurtre, admit le gendarme. Mais comment expliquez-vous la présence des empreintes de crocs ?
- Le meurtrier a peut-être dressé un chien d'attaque pour maitriser sa proie. Qui sait ?
- Nous n’avons pas d’autre piste pour le moment, se résolut le capitaine. Je demanderai à Le Garrec de contacter l’hôpital de Bélair, demain à la première heure. Peut-être ont-ils déjà eu à traiter des patients souffrant de ces symptômes.
- Bélair ? s'étonna le commandant.
- C’est un établissement psychiatrique à Charleville. Rassurez-vous ! Je ne comptais pas mettre le FBI sur le coup.
- Ni le procureur, si vous voulez mon avis. Il serait plus prudent de garder tout cela pour nous tant que nous n’avons pas plus d’éléments. Une dernière chose : Jimmy Van Buick a laissé entendre que le soir du meurtre, Freddy devait aller chercher sa fiancée. J'ignore de qui il parlait. C'est peut-être sans importance mais la mère Van Buick semblait particulièrement énervée qu'il me fasse cette confidence.
- Quand aura lieu la prochaine Lune ? demanda le crapoteur entre deux bouffées de nicotine.
- Le 2 septembre.
- Eh bien, espérons que vous vous trompez, Bellocq ! Sinon nous risquons d’avoir un nouveau meurtre sur le dos.
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