Les archives
À l’époque, Helaria était un État avec peu de religion, voire pas du tout. Nous croyions en des forces qui nous dépassaient, mais nous ne les appelions pas dieux et nous ne les honorions pas. Tout au plus, nous respections leur puissance, comme nous respections tout ce qui pouvait nous détruire. Au moment où j’écris ces lignes, quelques siècles plus tard, les choses ont un peu changé. Beaucoup d’immigrés sont arrivés dans le pays avec leurs croyances et leurs rites. Mais en ce temps là, pour Muy c’était quelque chose de neuf. Aussi, elle se montra extrêmement curieuse en s’approchant du temple. Ayant souvent été confronté à ce phénomène pendant mes voyages, je lui fournis un maximum d’informations, Jared complétant ce que je ne connaissais pas.
Le panthéon de la Diacara était constitué d’un couple de dieux majeurs, entourés d’une douzaine de dieux importants, d’une centaine de dieux mineurs et d’un multitudes de divinités locales. À cela s’ajoutaient un certains nombre de créatures surnaturelles mais sans avoir de statut divin.
Comme tous les villages, le temple était consacré à un dieu local, dont même le village voisin ignorait l’existence. Étant donné la petite taille de la communauté, le temple n’était pas très grand, mais il en constituait quand même le plus bel édifice. Il était de plus placé idéalement au nord de la place centrale. C’était une bâtisse carrée en pierre de taille, précédée sur le devant d’une galerie limitée par deux colonnade. Dans des niches, le couple dominant encadrait la porte, le Seigneur à droite, la Dame à gauche. La porte en bois massif donnait sur une pièce unique. Au fond, la statue représentait Mar, maître des moissons, ce qui dans un village agricole n’avait rien de surprenant. Au centre, une dépression menait au foyer qui représentait le lien avec la déité locale. Il était représenté par une petite idole en argile peinte et vernie. Elle était aussi face à la porte, ce qui donnait l’impression qu’elle se mettait sous la protection de son aînée. Sur les côtés, des tables portaient les offrandes des villageois ; de la nourriture principalement.
Muy regardait tout cela, l’air ébahie. On aurait dit une paysanne débarquant à la ville pour la première fois. Mais finalement, ce n’était pas loin de la vérité. L’Helaria était si petit, chacune de nos ville était à peine plus grosse que ce village.
À l’intérieur, il n’y avait personne. Mais le prêtre ne tarda pas à arriver par une petite porte cachée derrière une tenture. Il nous salua. « Bienvenue mes seigneurs, les salua-t-il. Vous venez honorer Silanca, protecteur de notre humble communauté. » Le paysan avait pris une attitude respectueuse en entrant dans le temple. Il le devint encore davantage en répondant. « keleadmedae le, noble Silancasev, ces visiteurs désirent te parler.
— Ce serait un honneur pour moi, répondit le prêtre, votre âme à besoin de mes services ?
— Noble Silancasev, répondis-je, nos âmes ne sont pas en danger. Nos dieux veillent sur elles.
— Dans ce cas, pourquoi avez-vous besoin de moi.
— J’enquête sur la mort de Tranar …
— Tranisanar est morte ? s’écria-t-il. C’est une grande tragédie. Elle était si belle dans sa jeunesse. Et si douce. » Un instant, je me demandais quel sens il donnait au mot douce, s’il faisait référence à son caractère ou au contact de sa peau. Mais il avait l’air vraiment attristé de sa mort. « Autrefois le village se chargeait de la nourrir et de l’entretenir. Mais les choses ont changé il y a quelques années. Pour la nourrir, les habitants sont suffisamment généreux avec Silanca pour qu’elle ait pu manger à sa faim. Mais pour les autres biens matériels de l’existence, je ne pouvais rien faire. Je ne sais pas réparer un toit ou une fenêtre. Mais ce qui lui manquait le plus était le contact avec ses semblables. Quand elle était belle, elle avait souvent des visiteurs, mais depuis une douzaine d’année ils ne venaient plus. Aussi, je restais souvent avec elle juste pour discuter.» Voilà qui confirmait la médiocre opinion que j’avais de ce village. Et au cas ou je n’aurai pas compris, la gène de Jared, encore plus visible que le nez au milieu de la figure, m’aurait éclairée sur le sujet. « J’ai visité la maison de Tranar, repris-je, et je n’ai pas remarqué de taches d’humidité sur le sol, ce qui n’aurait pas manqué d’arriver en cas de fuites.
— Elle avait les moyens de payer les réparations les plus essentielles. Comme je me chargeai de la nourrir, elle pouvait consacrer ses maigres ressources a entretenir son bien. Elle n’avait pas grand-chose mais cela était suffisant pour changer de la paille du toit de temps en temps, quoique tout juste. »
Finalement ce prêtre n’était pas comme je l’avais cru. D’accord, il s’enrichissait sur le dos des villageois. Mais il partageait ces richesses avec les plus démunis. Il participait à la redistribution des biens permettant même au plus humble de ses concitoyens de manger à sa faim.
J’en étais arrivé à ce point de mes réflexions quand le prêtre tendit la main. « Si vous voulez bien me suivre, dit-il.
— Bien volontiers, répondis-je, mais pour aller où.
— Je suppose que si vous enquêtez sur la mort de Tranisanar, c’est qu’elle n’est pas naturelle. Et si vous êtes venues vers moi, c’est pour consulter les archives.
— Ce n’est pas utile, vous avez peut-être la réponse à mes questions.
— Je ne crois pas. Je ne sais pas lire. J’ignore ce qu’il y a dans tous ces parchemins. »
Un prêtre ne sachant pas lire. Je fus un instant surprise. Mais ce village était vraiment isolé de tout. Son révérend avait dû n’effectuer qu’une courte visite au séminaire avant d’être nommé ici.
« Suivez-moi, nous invita-t-il. »
Nous le suivîmes à travers la petite porte par laquelle il était entré. Elle donnait sur un jardin. Au fond, un bâtiment bas servait de logement. Il les fit entrer par une porte secondaire, une salle qui servait de rangement pour les objets du culte.
« Que désirez-vous consulter, demanda le prêtre.
— Je cherche à connaître l'étendue des biens de Tranar.
— Alors je pense qu'il vous faudra les titres de propriété.
— Dans un premier temps, répondis-je. »
D'une étagère, il tira un coffret en bois.
« Nous serons mieux chez moi pour lire, dit-il. »
Il nous fit passer dans ses appartements. Nous arrivâmes dans une petite salle de séjour. Il disposait de deux autres pièces, si j'en jugeait par le nombre de portes. Il posa son chargement sur la table et l'ouvrit. La Diacara utilisait le même système d'écriture que nous, où chaque son était représenté par une perle de forme, de couleur et de texture spécifique. Mais alors que la pénurie de pierre nous avait obligé à nous adapter, l'empire était assez riche pour avoir conservé la forme pure héritée du Vornix.
Le contenu du coffret était divisé en claie puis en petites case, le tout soigneusement ordonné. Il allait être facile de fouiller là-dedans. Je ne tardais pas à trouver la case réservée à Tranar. Il y avait beaucoup de documents, j’étais surprise. Sous l’œil attentif du prêtre, je déroulais les chapelets miniatures sur la table devant moi. Muy et moi entreprîmes de les lire.
« C’est bizarre, dit-elle au bout d’un moment, ces textes ressemblent plus à de l’helariamen qu’à du diacaramen.
— Je suis surprise que tu ne reconnaisses pas la langue, répondis-je, c’est du vornixmen, toi qui es né dans ce pays.
— J’y suis né, c’est vite dit. Mes parents tenaient à ce que mes sœurs et moi y naissions pour pouvoir revendiquer ces terres un jour. Mais moins d’un monsihon après ma naissance nous avons quitté le pays.
— La Diacara et l’Helaria ont tous les deux été fondé par des habitants du Vornix, dispersés après la Grande Catastrophe. Mais la Diacara a fondé un empire central, sa langue a subi l’influence de ses voisins, alors que l’Helaria, isolé sur son île à peu évolué. Nous parlons presque comme nos ancêtre.
— Et pourquoi ces textes sont-il en vornixmen ?
— Peut-être pour compenser le fait que la langue de la Diacara s’est scindée en de nombreux patois. Peut-être aussi pour revendiquer l’héritage du Vornix. »
Après cette digression linguistique, nous reprîmes notre étude. Les documents se divisaient en deux catégories, les titres de propriétés et les actes de vente. Nous découvrîmes ainsi que la victime possédait des terrains un peu partout autour du village : plusieurs paturages au bord de la rivière ainsi un petit bois. Je remarquais aussi qu’il n’y avait aucun champ ou aucun endroit ou la terre aurait permit d’établir un maraicher. Elle possédait donc des terres parfaites pour faire de l’élevage mais aucun animal et des bois regorgeant de gibiers qu’elle était incapable de chasser en raison de son handicap. Et tous les champs de céréales sur les bords de la rivière que nous avions longé pour nous rendre chez elle Si elle avait eu un lopin de terre à céréales, elle aurait pu engager un metayer, mais elle ne n’avait pas eu cette chance.
La lecture des actes de vente se révéla encore plus fructueuse. Nous apprîmes qu’au cours des quinze dernière années, elle avait vendu de nombreuses parcelles de terrain pour des sommes dérisoires. Elle avait survécu en bradant son bien. La plus grosse vente constituait en une zone d’une demi-longe carrée de friches stériles vendue pour une bouchée de pain.
« Où se situe le Val Riant, demandais-je au prêtre.
— C’est la rivière qui longe la maison de Tranar, répondit-il.
— Et la maison, elle se situe bien sur la rive gauche ?
— En effet.
— Donc ce bout de terrain est situé sur la rive opposée à la maison.
— La rive droite de la rivière lui appartient aussi, en effet.
— Lui appartenait. Ce terrain, si j’en juge par cet acte mesurait un quart de longe de large pour quatre longes de long. Par rapport à la maison, il s’étend vers le village ou de l’autre coté.
— Les deux, il va de la source à son débouché dans l’ Ycar.
— Donc, quand en retournant au village on passe le petit col, on est toujours sur le terrain.
— Sur l’autre rive, mais c’est exact.
— Mais ou veux tu en venir ? me demanda Muy.
— Tu te souviens du paysage quand on est rentré de la maison de Tranar.
— Oui. Pourquoi ?
— Nous longions des friches stériles. »
Elle ne dit rien, mais je compris à son expression qu’elle avait aboutit au même raisonnement que moi.
Je regardais une dernière fois les documents pour bien m’imprégner de leur contenu. Je n’avais pas de perles sur moi. Je ne pouvais donc pas me faire un bref résumé de tout ce que je venais d’apprendre. Il manquait à notre monde un moyen rapide de prendre des notes.
« Savez vous qui va hériter des biens de la victime, demandais-je soudain.
— Je l’ignore, mais cela doit être marqué dans son testament, répondit le prêtre
— Il y a un testament ? Où est-il.
— En ma possession. Mais il est scellé et briser le sceau l’invaliderait.
— Et si on remet le scellé après ?
— Seul le prévôt dispose d’un sceau officiel.
— Quelque chose de ce genre là n’irait pas ? demanda Muy. »
Tout en posant sa question, elle montra la bague. Silancasev prit la main délicate dans sa grosse poigne et examina le bijou. La pierre qui servait de chaton était taillée dans un bloc d’albatre. Sa surface était plate, gravée d’un dessin en creux.
« Mais c’est un sceau authentique, s’écria le prêtre, d’où le tenez-vous ?
— C’est l’un des symbole de ma charge, répondit-elle.
— Avec un tel sceau, oui, je pense qu’on pourrai refermer ce testament sans l’invalider. Je … je vais le chercher. »
Le prêtre quitta la pièce presque en trébuchant. Il venait de comprendre que Muy n’était pas une simple apprentie. Peut-être était-elle d’un rang plus élevé que tous les prévôts du pays.
« Etait-ce une bonne idée de te dévoiler, lui reprochais-je.
— N’aie pas peur, il ne dira rien. »
Peut-être s’engageait-elle un peu trop. Mais je décidais de faire confiance en son jugement. Après, en tant que chef de notre armée – même si nous n’avions pas assez d’homme pour constituer une phalange – elle savait juger les hommes.
Silancasev revint un instant après avec un autre coffret. Il était rempli de cylindres en cuir de la taille du pouce, dont le couvercle était scellé par un cachet de cire. Malheureusement aucun d’entr eux n’était au nom de Tranisanar.
« Il n’y a rien, dis-je, elle n’a pas fait de testament.
— IL est aussi possible qu’elle ne l’ai pas confié aux archives, répondit Silancasev.
— En son absence, qui hérite de ses biens. Qui sont ses plus proches parents.
— Elle a un neveu. Vilogaster, dis le prêtre.
— Unn neveu, pas d’enfants ? interrogea Muy.
— Elle n’a pas d’enfant en effet, confirma le prêtre.
— Donc voila une personne qui aurait toutes les raisons de l’éliminer, remarquais-je. Il doit hériter d’une terre immense et de qualité et il voit celle-ci disparaître. Voilà qui fait un bon mobile.
— Vilogaster ? Aucune chance ! répondit le prêtre.
— Tu m’as dit qu’il fallait un mobile mais aussi une opportunité, me signala Muy, l’avait il ?
— Ca ne peut pas être lui, c’est un soldat. Il est toujours en campagne à patrouiller le long de la frontière. On ne peut pas dire qu’il adorait sa tante, mais il ne passait pas sans lui laisser un peu d’argent. Pas grand-chose, mais il n’avait que de petits moyens. Allez lui demander, vous verrez c’est un homme charmant.
— Comment le trouver s’il est toujours en déplacement. Si ça se trouve, il est à une cinquantaine de longes d’ici.
— Oh, non. Il est ici, je l’ai croisé pas plus tard que ce matin.
Je lançais un regard entendu à ma pentarque. Le seul héritier de la victime présent sur les lieux du crime au moment où celui-ci était commis ! Bizarre, vous avez dit bizarre ?
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