La mort pour équipage, je quitte vos rivages...
La lune est basse, ce soir-là. Elle m’écrase, me juge, s’impose dans mon esprit comme un cauchemar. J’ai l’impression que sa pâle face blanche connaît tous mes secrets et, que par ses rayons nocturnes, elle crie à tous mes pensées. Mais peut-être est-elle faite pour ça ? Après tout la lune n’est qu’un sombre miroir du Soleil…
Je m’efforce de ne pas la regarder, de l’ignorer, et finis les derniers préparatifs. Oh, mon bateau n’est pas le plus élaboré ni le plus complexe qu’il existe, mais je vérifie tout de même l’essence, l’huile, le refroidissement… C’est amusant, de faire tout cela alors même que je connais ma destination. La seule qui s’offre à moi.
Tout est prêt, il ne me reste plus qu’à allumer le moteur. J’accroche le bracelet coupe-circuit à mon poignet gauche et tend l’autre main vers la clef. Je suspends mon geste, je me retourne une dernière fois et je fixe le gigantesque phare de pierre. Il s’élève seul parmi les montagnes et face à la mer, généreux, diffuse sa lumière aux marins. Je fixe son halo jaune, plissant les yeux chaque fois qu’il passe sur mon visage. Bientôt son éclat est flouté, et je sens une larme couler sur ma joue. Ou peut-être est-ce l’embrun marin…
Je m’apprête à partir pour mon dernier voyage maintenant que les amarres me reliant encore à ici sont coupées… Un voyage sans retour. Je tourne la clef, le moteur démarre dans un grondement résonnant entre les falaises comme un cri d’adieu… Tandis que le bateau s’éloigne peu à peu, je fixe le phare.
Sa douce lumière éclipse la lune, éclipse les étoiles, et éclipserait le Soleil s’il était là… Mais elle n’éclipse pas mes larmes, et je hurle, je hurle ma tristesse, mon désespoir, ma mélancolie, ma peur… Je hurle ma peine de quitter cet endroit, je hurle de quitter mon passé, je hurle d’abandonner mon futur.
Je hurle à ne plus entendre mes propres cris.
La lumière s’éloigne peu à peu, ne devenant plus qu’un éclat parmi les astres. Je ne pleure plus, mais mon cœur me pèse dans ma poitrine. Soudain, non, je refuse, je regrette, non, je ne veux plus partir ! Je veux vivre ! Mais non, c’est impossible. Je ne peux pas. Je ne dois pas.
Mon âme me quitte, rejoint le vent marin et je m’avachis sur le plancher du navire. Mes émotions m’ont quitté, je ne suis plus rien. Une froide chaleur apparaît soudain, me glaçant et me brûlant. Et je La vois. Elle. Elle est là. Devant moi. Je La vois sourire, unique fente dans les ténèbres. Je La fixe. Alors, Elle s’accroupit et me caresse les cheveux. Doucement, Elle me chuchote que tout ira bien, que c’est terminé. Je Lui souris à mon tour.
Lentement, Elle se lève et saisit la manette de vitesse. Elle la pousse au maximum, et soudain, le navire accélère. Je suis saisis d’un vertige, et je veux me lever pour voir vers quoi je me dirige. Mais la réponse s’impose soudain à moi. Je souris à nouveau, me détends, et ferme les yeux. Les dernières choses que j’aperçois sont la lune, et le phare. Puis le noir.
Mon bateau percute le rocher à pleine vitesse. Cette fois-ci, mon âme s’envole vraiment. C’est ce que je voulais. J’ai tant perdu. La dernière chose dont j’ai conscience avant de mourir, c’est ma main, ma propre main, posée sur le levier de vitesse.
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