Chapitre 1 

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Qui l’aurait cru ? Sans doute pas moi. Mademoiselle Vanlisga, maitre de conférence en histoire contemporaine, experte sur la Révolution Française. Voilà le titre que j’arborais fièrement à la vue et au su de tous. J’étais devenue quelqu’un. Je ne me le devais en aucun cas et je le savais bien. Charles, Alice, Benjamin, Louis et tout ceux qui m’avaient fait comprendre que ma vie était unique et belle, qu’elle valait le coup d’être vécu, qu’il ne fallait pas que je survive mais qu’il fallait que je prenne chaque seconde comme un cadeau pour rechercher la vérité sur ce que mes amis avaient vécu.

Micro en main, peinture montrant médiocrement les massacres de septembre[1], je parlais à ces jeunes et moins jeunes étudiants des souvenirs que j’avais de ces affreux moments que j’avais vécu, loin de la capitale, chez Marie. Au fur et à mesure de mes lectures, c’était comme si j’y étais.

C’était si différent d’étudier que de vivre l’histoire. J’avais eu la chance de vivre tout ces grands évènements mais je ne m’en étais pas rendue réellement compte. Beaucoup de ce temps d’ailleurs, ne s’en étaient pas rendu compte.

Je revoyais ces gens si patriotes, acceptant d’offrir leur vie en sacrifice pour la jeune femme appelée Liberté, qui, sans scrupule, déchirait les hommes et les familles de son séduisant sourire. Il m’était difficile de canaliser mes souvenirs afin d’aider mon étude.

Je ne savais pas si j’étais une bonne historienne. J’avais marché dans les pas de mon professeur. Il m’avait tout appris de l’histoire que l’on apprenait. Je lui avais tout appris de l’histoire que l’on vivait.

J’avais été longtemps timide et mal dans ma peau. Peu sûre de ce que j’avançais, le temps s’écoulant, je pris confiance. Des gens faisaient de longues heures de route pour le plaisir de m’écouter. Je m’étonnais parfois de la vitalité que prenaient mes paroles lorsqu’elles sortaient de ma bouche. J’aimais ce que je disais. Mieux encore : je parvenais à faire aimer l’histoire telle que je la vivais, telle que je l’avais vécu. Au nom de ces gens, qu’ils soient bons ou mauvais : ils étaient des êtres humains et ils étaient parvenus à changer le monde. Il n’avait plus jamais été comme avant. Comment une telle chose avait-elle pu arriver ? Remontant les siècles bien avant celui où j’avais eu la chance de vivre d’incroyables aventures, les théories étaient nombreuses et allaient bon train. L’incertitude des causes me passionnait, me tenant en haleine chaque jour. Comme si, finalement, j’y étais encore.

Le retour au 21ème siècle n’était pas toujours aisé. J’avais tout ce qu’il me fallait pour m’y plaire. Le passé me manquait parfois. Il m’arrivait de désirer apercevoir la tête maléfique de la mère de Charles. Juste pour avoir le plaisir de tout revivre, n’oubliant pas au passage de ne plus faire les mêmes erreurs que j’avais faites autrefois. J’avais grandis.

Rangeant l’enfer des fils, je m’apprêtais à rentrer chez moi, le cœur léger, pour recouvrer mes autres ouvrages. Et les joies de ce siècle qui m’étaient offertes.

Les élèves se dirigèrent précipitamment vers la sortie, comme tout bon étudiant qui se respecte. Certains poussèrent presque les uns qui bloquaient la sortie. C’était toujours un spectacle amusant. Bien que j’adorais mon travail, retrouver mon logis me semblait également une idée plus qu’enviable. Bien que je sache qu’une fois rentrée, rien de passionnant ne m’attendait, je faisais partie de cette immense population impatiente de recouvrer son lit douillet.

Une fois que l’amphi fut entièrement vide, je sortis à mon tour, éteignant les dernières lumières en claquant des mains. On avait beau dire toutes sortes de choses peu agréables sur cette faculté, les bâtiments étaient dotés d’un matériel de pointe, rendant jaloux les amoureux des nouvelles technologies.

Les couloirs étaient vidés. La plupart des chanceux étaient déjà sur le chemin du retour depuis de nombreuses heures. Le soleil s’était évanoui. La fraicheur de la nuit battait déjà son plein malgré les simples 18heures. Je ne pris pas la peine d’aller dans mon bureau, j’allais prendre la porte directement.

-Elisa ! m’appela-t-on vivement

Peu de monde m’appelait ainsi. J’étais devenue « madame » ou « mademoiselle », l’ayant troqué à la place de mon simple prénom. Cela me rendait plus vieille, plus professionnelle.

Me retournant, je fus déçue de voir mon interlocuteur. Toujours la même personne dont j’étais impatiente de me débarrasser.

-Jacques. le saluai-je poliment

Sortant en même temps que moi, il en profita pour se revêtir décemment en avançant de son pas claudiquant qui manquait de lui faire embrasser le sol à chaque seconde.

-Quelle journée ! lança-t-il. La géographie n’intéresse plus personne !

Il déblatéra seul sur les littoraux, si passionnant à son goût. Alors que je ne l’écoutais que d’une oreille peu attentive, je songeais à ce que je devais faire après l’avoir quitté.

-Attention ! m’exclamai-je soudainement en le poussant maladroitement

Une lumanosphinx fonçait droit sur lui. Ces petites lumières volantes lorsqu’elle vous touchait, vous procurez des rougeurs et brûlures pendant quelques jours. Malgré ces quelques désagréments, seul le soleil éclairait plus fort et nous y voyons parfaitement malgré l’obscurité environnante.

-Ma sauveuse ! commenta-t-il en riant. Seul.

« Quel lourdaud celui-là ! »

Comment avais-je pu devenir ami avec un énergumène de la sorte ? Je me posais chaque jour la question. Chaque fin de journée, il semblait m’attendre pour partager quelques désagréables minutes en ma compagnie. Il m’aimait bien mais c’était bien loin d’être réciproque.

Il me semblait vieux. Des cheveux gris naissaient au dessus de ses oreilles. Des rides creusaient son front et le coin de ses yeux. Sa posture qui faisait penser à Winnie l’Ourson me répugnait bien plus qu’elle ne m’attirait.

Malgré les années écoulées, les gens n’avaient pas changé. Même dans les bureaux, on entendait jaser sur les personnes ridicules et tête en l’air dont Jacques faisait hélas partie.

-Tu ne voudrais pas ? me proposa-t-il encore, comme un rituel.

Souriante, je lui répondis à la négative :

-Sarah m’attend.

J’étais formelle. Je ne voulais pas passer plus de temps avec lui. Il comprendrait sans doute un jour mes envies, mes désirs. Il n’en était pourtant pas encore là. Je n’aimais pas faire du mal, surtout aux faibles dont on aimait se moquer inlassablement. Je n’y pouvais rien si je ne le supportais pas.

Une voiture s’arrêta à notre niveau. La fenêtre s’ouvrit. Je découvris l’un de mes amis. Sentant notre séparation approcher, l’homme en face de moi se crut obligé de me dire :

-Une autre fois alors.

Lui comme moi sachant pertinemment qu’elle n’existerait jamais. Sauf dans ses rêves les plus fous.

Je me dépêchais de grimper. Mon ami, tout sourire ne put s’empêcher de me faire remarquer que j’étais pourvu d’un grand courage de le supporter. Plaisantant également, je ne pus faire autrement que de lui déposer une gifle monumentale qui n’eut pas l’effet escompté. Il ria de plus belle, la voiture démarrant en trompe.

Il ne toucha pas une seule fois le volant mais nous n’avions rien à craindre. Afin de lutter contre les accidents, les inventeurs de notre temps avaient créé des machines faisant le travail désagréable à notre place. Le Progrès, naissant à la Révolution, ne s’était pas arrêté en 1799 ! Les hommes étaient toujours plus assoiffés de confort qu’il m’arrivait parfois de me demander s’il existait encore des choses désagréables à réparer.

-J’ai quelque chose pour toi !

Pour deux personnes qui n’avaient rien en commun à la base, notre amitié se portait vraiment bien. Telle une enfant, je sautillais sur mon siège, impatiente de découvrir le présent de mon Noël avant l’heure. Il se tortilla pour attraper quelque chose à l’arrière, puis il me le tendit comme un enfant le jour de la fête des mères.

- Vas-y ! Ouvre-le !

Un paquet rouge très mal emballé se tenait sur mes genoux. Quand je lui fis la remarque, il rétorqua :

-On peut pas être bon en tout. J’peux pas être historien et emballeur de surprises en même temps ! se défendit-il

Je n’avais en effet jamais connu meilleur historien. Autrefois, il avait été mon professeur et je le détestais tout autant que la matière qu’il m’enseignait pourtant avec passion. Il m’avait fallut bien des larmes et des aventures avant que l’on ne commence réellement à s’apprivoiser. Ce n’était pas gagné à la base.

Déchirant adroitement le papier, un livre d’au moins 500 pages apparu.

-Tu crois que ma bibliothèque n’est pas assez remplie comme ça ? me moquai-je

-Mais lis avant de dire des bêtises !

Sur la couverture se trouvait les quatre drapeaux qui formaient petit à petit celui de la France. J’y lisais :

« Elisa Vanlisga et Martin Frindozo »

-C’et le travail que l’on accomplit depuis des années !

Je caressais la couverture. C’était comme un bébé. Mon travail. La finalité de ce que j’avais étudié et appris. Fierté était le mot qui me vint naturellement. Comme quand une maman regarde son enfant. Je ne pouvais laisser taire ma joie. J’émis un cri de jouissance presque bestiale. Mon ami riait aux éclats.

Peut être que c’était cela le bonheur ? L’absence de toutes contraintes et la perspective de voir combien tout pouvait être possible.

Je pris Martin dans mes bras, l’embrassant de toute ma joie. Probablement comme jamais je ne le ferais avec Jacques qui se montrait comme étant un monstre de patience face à ma fuite quotidienne et répétitive. Martin avait en lui certaines choses que lui seul possédait. Un lien unique nous étrivait. Il savait au fond de lui comment je pouvais être heureuse. Il me comprenait parce qu’il était presque pareil que moi.

-Alors, que s’est-il passé aujourd’hui sur la planète Elisa ?

Des tas de choses comme chaque jour. Pourtant on aimait à se moquer des petits étudiants. C’était ce qu’il cherchait à me faire dire quand il me posait cette question.

-Pas grand-chose. Je me suis ennuyée mortellement à écouter des exposés. D’un côté c’est ce qu’il y a de plus drôle. Les élèves sont si angoissés à l’idée de parler devant leur classe qu’ils sont tout crispé et qu’ils n’osent pas appeler un chat un chat.

-Ca me rappelle quelqu’un ! se moqua-t-il encore une fois

-J’étais une étudiante comme une autre puis je me suis améliorée !

-Ca reste à voir ! Un jour je reviendrai t’écouter et on verra ce qu’on verra.

La voiture s’arrêta à destination, face à un grand ensemble coloré de mille couleurs. Quand bien même j’étais loin d’être pauvre, l’envie de découvrir des paysages et des contrées inconnus m’empêchait de m’offrir davantage.

Nous descendîmes en harmonie, les bras autant chargés l’un que l’autre. La conversation se tût lorsque nos chemins se séparèrent. Bien que ce fut la personne que je voyais le plus dans ma vie, nous trouvions sans cesse à nous dire.

-Au fait, tu as lu le nouvel article de … Commença-t-il

-Bonne nuit ! le coupais-je en déverrouillant la porte orangée portant le chiffre 7

J’entendais déjà les quatre pattes de mon chien accourant à l’entrée d’une intruse comme moi.

-C’est bon Robespierre ! Ca suffit, va dormir !

J’enjambais la boule de poil sautillante comme une gazelle pour retrouver la liberté de mes bras. Quand je pu enfin faire quelque chose, je me dirigeais vers le son de la télé.

Jusqu’à la fin de mes jours, son visage et ses traits délicats me suivraient. Alice était ma Sarah des siècles précédents. Le même caractère et le même visage, quoiqu’un peu plus féminins, et c’était elle que l’on avait assassiné de sang froid juste devant mes yeux. Comme chaque soir, je vins déposer un baiser sur ces lèvres, qui patiemment, m’attendaient. La routine s’était installée. Je le sus car elle ne réagit qu’à peine. Pourtant, je voulais qu’elle me voit. Je l’embrassais de nouveau :

-Qu’est-ce qui te prend ? demanda-t-elle innocemment

-Tu te rappelles le jour où on s’est rencontré ? commençai-je en m’asseyant auprès d’elle

-Bien sûr ! En face de la Conciergerie. Tu ne cessais de m’appeler Alice. Tu avais l’air d’avoir vu un fantôme ce jour là.

Les yeux plongés dans les souvenirs, elle reprit :

-D’ailleurs, tu ne m’as jamais dit qui était-elle pour toi ? Une ex ?

Bien plus que cela. Elle hypnotisait mes pensées depuis des siècles entiers. J’étais frustrée de ne pas avoir été au fond des choses. J’y pensais encore tous le temps.

-Un jour, je te raconterai. lui promis-je en me levant. Je vais travailler.

-Attend ! me tira-t-elle. Regarde, il y a encore eu un attentat !

Je n’avais en effet pas remarqué le ton pathétique qu’avaient adopté les journalistes qui essayaient de rétablir la vérité sur les actions qui venaient de se dérouler.

-J’ai quand même du travail qui m’attend.

Contrairement à la plupart des professeurs, j’avais d’autres loisirs le soir que de corriger des copies. Je m’improvisais inventrice des temps modernes. Ma machine en construction trônait au centre de la pièce. Elle était assez petite et je n’avais pas réellement d’idées sur la finalité de mon travail. Je me laissais inspirer au fil de mes souvenirs, avec un espoir infini qu’un jour l’impossible puisse se produire.

Enfilant mes lunettes, apeurée par les petites flammes désagréables, je m’installais pour plusieurs heures de constructions intensives qui feraient avancer ou régresser mon projet. Seuls les êtres supérieurs pouvaient le savoir.

Après un certain temps, ma jeune amie fit son apparition.

-Tu n’es pas heureuse avec moi, n’est-ce pas ?

Levant les yeux vers les siens, j’y lu toute la détresse d’un mardi noir empli de larmes et de désespoir.

-C’est faux ! rétorquai-je sur la défensive

-Alors pourquoi cherches-tu à retourner dans ce passé en passant des heures sur ta machine plutôt qu’avec moi ?

-Je dois y retourner Sarah. Revoir Benjamin mais également tout ces personnages que l’histoire a connu pour leur poser des questions.

Je m’imaginais alors tenir à nouveau le petit bébé rouge à la peau rugueuse et aux cheveux noirs de jais entre mes bras. Son visage ne cessait de me hanter.

-Foutaise ! se mit-elle à crier avec colère

-Tu me crois quand je te dis que …

-Bien sûr que non ! me coupa-t-elle

Et elle partit sans prononcer un mot de plus à mon égard.

Ce soir là, je sortis plus tard de mon atelier improvisé. Sarah m’avait profondément blessé. Si même la personne qui était censée avoir le plus confiance en moi ne me croyait pas, alors qui avait la capacité de me croire ?

Je regagnais silencieusement la couche conjugale. Il me fallut quelques heures avant de gagner le sommeil. Je me réprimandais sèchement après quelques temps passés. Quelle tête et quelles dispositions seraient miennes pour accomplir mon ouvrage le lendemain ? L’idée de rester au lit toute la journée me séduisit bien que ma raison me quémandait le contraire.

Mon sommeil fut court et léger. Si léger que j’aperçus même la faible lueur émanant de ma pièce. D’un bond, je fus debout, abandonnant les dernières chaleurs nocturnes si agréables.

Je découvris ma machine bondissant dans tous les sens. Robespierre était lui aussi là et se cachait en regardant la scène surnaturelle.

« Tu parles d’un chien de garde ! »

Je m’avançais de plus près. Une lumière bleue ciel émanait de mon travail bien aimé, chassant l’obscurité de toute la pièce. Je ne compris pas encore le sens de cette mascarade.

Je vis Sarah apparaitre derrière. Je lui adressais un dernier je t’aime pour la route. Je m’évanouis dans l’obscurité que j’accueillais cette fois à bras ouverts. J’avais réussis. Je retournais dans mon siècle chéri. Sans crainte, je me laissai guider. Cette fois-ci je vivrai mieux que la fois précédente. Je ne laisserai pas la mort me voler ma joie. Je m’en fis la promesse.

[1] Ces massacres ont eu lieu durant la semaine du 2 au 7 septembre 1792 dans plusieurs grandes villes de France. C’était une répression contre les royalistes. Il y a eu environ 1 300 morts durant cette semaine. C’est l’un des épisodes les plus sanglants de la Révolution.

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