V
Il fallut à Ai-ran un certain temps pour se remettre de ses émotions. Après être resté prostré sur le sol de son nouvel atelier, il se releva ressentant enfin son vide habituel.
Il retourna au rez-de-chaussée pour explorer l'endroit qui allait être son nouvel habitat. Il n'avait jamais vécu avec un tel confort. Et il n'avait jamais ressenti le besoin d'y vivre. Cependant, il savait maintenant que ce luxe avait un lourd prix. Son regard se porta sur la gemme qui servait à allumer un orbe magique qui éclairait parfaitement la pièce de vie malgré la noirceur de la nuit. Un frisson de dégout le parcouru à nouveau. Cette technologie lui était pourtant familière. À Féänor, elle restait rare mais parfaitement connue. Les nains vivaient dans des maisons avec des technologies bien plus avancée. Toutefois, maintenant, qu'il connaissait l'origine de toutes ces gemmes, maintenant qu'il savait que c'étaient des objets de torture, il ne pouvait s'empêcher de vouloir éteindre toutes ces technologies. Il s'étonnait lui-même d'être dégouté par des artefacts.
Ce concentrant sur sa faim pour ne plus ressentir ce malaise étrange, il se mit en quête de nourriture. Il n'eut aucun mal à trouver le cellier qui était doté d'un système permettant de conserver une température idéale de conservation. Ce concentrant sur sa tâche pour se protéger de cette douleur qui revenait, il fit un rapide inventaire qui lui fit comprendre rapidement deux choses. Tout d'abord, la plupart des aliments lui étaient inconnus. Rien d'étonnant à cela. Il était bien loin de chez lui et sous un climat bien différent, les légumes, fruits et céréales n'étaient pas les mêmes. Et le deuxième problème était que même avec des aliments familiers, il ne savait pas comment le cuisiner. Lors de ses études, les cours de cuisine étaient une option qu'il n'avait pas prise et dans sa famille, sa mère et son frère Flint s'occuper toujours des repas. Il n'y avait jamais vu un problème jusqu'à aujourd'hui. Il prit alors conscience qu'il n'avait jamais eue à prendre soin de lui.
Il finit par prendre du pain frais et ce qui lui semblait être un fruit. Il goûta le fruit qui était juteux et très sucré. Il en prit deux autres et revient dans la cuisine. Il lava les fruits tout en admirant la sophistication du système d'eau courante. Le système semblait jouer plus sur la gravité que sur la magie. C'était intéressant de voir que même sans magie, les zhikerhotes avaient su développer des technologies intéressantes. Sur son île, les personnes n'ayant pas la fortune et la magie suffisante, devaient encore aller aux puits.
Il plaça la miche de pain et les fruits dans une assiette en bois de piètre qualité comparé au reste de la maison qu'il posa sur la table. Puis il se rendit dans la salle d'eau, il n'en revenait toujours pas d'avoir une pièce destinée juste à la toilette. Il fit couler un bain chaud dans lequel il fit couler un liquide étrange, mais qui sentait agréablement bon. Il revint dans la pièce principale. Il ne savait pas vraiment quoi faire de plus.
Il s'apprêtait à remonter vers l'atelier quand la porte s'ouvrit violemment et qu'un enfant fut propulsé dans l'entrée. La porte se referma aussitôt laissant Ai-ran embêter face au garçon. Ce qu'il remarqua en premier, ce fut son regard. Un regard d'autant plus étonnant qu'il était renforcé par la maigreur du visage décharné de l'enfant. Ses yeux noirs laissaient transparaître sa colère, sa haine, son mépris, mais également sa méfiance, sa peur et sa détresse.
Ai-ran resta loin du garçon et mit un genou à terre. Même ainsi, il était un petit peu plus grand que le garçon.
– Bonjour, je suis Ai-ran. Je serais le nouveau chef d'atelier. Je souhaiterais te proposer d'être mon assistant.
L'enfant ne put qu'être interloqué par le comportement de l'étranger. Cela ne viendrait à l'idée à aucun homme libre de s'agenouiller devant un prisonnier, même si c'est un enfant. Et jamais un adulte ne lui avait parlé avec autant de douceur. Même l'étrange accent de l'homme avait quelque chose de réconfortant. Le gamin se reprit rapidement, il devait rester méfiant. On ne pouvait faire confiance à personne à Taetnire, nul ne le savait mieux que lui. Rester sur ses gardes, lui avait permis de survivre jusqu'ici. Il se redressa et afficha encore plus clairement son mépris :
– Jamais je ne vous vendrez mon corps ! Laissez-moi !
Les paroles de l'enfant choquèrent le jeune homme autant que son comportement. Il n'était pas suffisamment innocent pour ne pas comprendre ces mots sous-entendaient. Il venait de comprendre que gagner la confiance de cet enfant serait bien plus compliqué que ce qu'il s'était imaginé. Il ne laissa cependant rien paraître, et déclara d'une voix qui se voulait rassurante :
– Ce n'est pas ton corps que je souhaite, mais ton assistance dans mes tâches. Cependant, je comprends que tu ne me fasse pas confiance. Alors je vais remonter dans mon atelier. Tu pourras manger ce qu'il y a sur la table.
Le jeune féänorien monta pour s'enfermer dans son nouvel atelier. Il commençait à se sentir très mal. Il ne savait plus quoi faire ni comment réagir face à l'enfant qu'il avait lui-même fait demander. Toutes ses nouveautés, toute cette horreur. Lui, qui n'avait jamais ressenti d'émotion, ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Il ne comprenait pas son envie soudaine d'aider le garçon, lui qui avait toujours préféré la solitude. Il ne comprenait pas pourquoi il voulait revenir sur sa décision de ne pas s'impliquer, d'attendre que le conseil se rendre compte de son erreur.
Il n'était pas fait pour cette mission !
Alors pourquoi ? Pourquoi en voyant cet enfant, il avait fait le choix d'essayer ?
Pourquoi ? Pourquoi, alors qu'il savait qu'il ne pouvait qu'échouer, il avait envie d'essayer ?
Pourquoi ? Pourquoi, alors que son monde n'avait jamais tourné qu'autour de sa famille et de lui, sa poitrine se serait à la vue d'un enfant inconnu ?
Pourquoi faisait-il si froid ?
Ou alors il faisait trop chaud ...
D'où lui venait toutes ses sensations désagréables ? Pourquoi elles ne voulaient pas disparaître ?!
Il fallait qu'elles s'en aillent ! Il voulait qu'elle disparaisse !
Il fallait que tout cela cesse...
Une petite main secoua l'épaule d'Ai-ran sans ménagement.
– M'sieur ! J'veux me casser !
Ai-ran releva la tête vers le gamin. Ce dernier semblait avoir profité du repas qu'il avait laissé à sa disposition. Ce détail allégea la douleur de l'artisan. Il remarqua par la fenêtre les lumières du jour poindre. Son malaise avait duré plus de temps qu'il ne l'avait imaginé.
Sa vision brouillée croisa le regard interloqué du gamin. Les deux se fixèrent un moment. Puis alors que le jeune féänorien allait dire au gamin qu'il pouvait partir, ce dernier demanda brusquement :
– Pourquoi vous pleurez ?
La voix abrupte du garçon lui fit prendre conscience que son visage était humide. Il essuya ses yeux avec des mains tremblantes. Son regard se posa sur les perles humides récoltées sur ce doigt. Il les fixait avec étonnement. Il n'avait jamais pleuré. Sa mère le taquinait beaucoup sur le fait que même bébé les larmes se faisait rares.
Il finit de détacher son regard de ses doigts pour le porter sur le garçon. Il ressentit un léger soulagement de voir qu'il avait disparu. N'aillant jamais pleuré, il venait de se rendre compte qu'il préférait le faire seul. Son regard dériva alors vers la fenêtre, il resta comme hypnotisé par les lourdes volutes de fumée, laissant l'eau coulé de ses yeux. La silhouette famélique du garçon revint soudainement dans son champ de vision, mais il ne sortit vraiment de ses pensées que lorsqu'il sentit la froideur d'un chiffon humide lui nettoyer le visage. Surpris par se contacter soudain, il repoussa violemment la main du gamin.
– Pas la peine, dit-il d'une voix sèche en détournant le regard. Tu n'as pas besoin de faire ça. Fais donc ce que tu veux. Ressers-toi à manger, lave toi, ou part.
À son tour, le gamin repoussa la main qui l'empêchait de nettoyer le visage d'Ai-ran. Il poursuivit son œuvre avec un air déterminé :
– J'rembourse juste ma pitance. J'sais qu'ici rien n'est gratuit.
Ne sachant pas s'il devait être soulagé ou blessait par ces paroles, Ai-ran le laissa faire sans plus protester. Il observa les mouvements plein d'adresse et de force du garçon. Ce dernier contrairement à ce que son état laisserait penser, semblait plein de vie et d'une détermination à toute épreuve.
– Comment t'appelles-tu, demanda-t-il dans un murmure ?
Le garçon lui répondit par un regard surpris. Il n'avait pas pour habitude qu'un de ses tortionnaires lui prête attention si ce n'est pour lui faire du mal ou le punir. D'un autre côté, il n'avait pas non plus l'habitude à ce que l'un d'eux pleure devant lui. Cet homme à l'accent étrange était bizarre. Il finit par répondre sèchement :
– Chien fou...
– Pardon ?
Le garçon soupira et répéta plus fortement :
– Mon nom, c'est Chien fou ...
Ai-ran n'était pas sûr d'avoir compris. Il avait une bonne maitrise des langues. Mais le zhikerhote n'était pas sa langue natale. Il en ignorait sûrement quelques subtilités, pourtant :
– Cela ne ressemble pas à un nom.
Le garçon avait fini de nettoyer son visage, mais au lieu de partir, il s'assit en face de lui. IL était légèrement interloqué par la tournure de la dernière phrase. Cela ressemblait plus à une question qu'à une affirmation.
– Z'êtes vraiment étrange, m'sieur. On m'a toujours appelé ainsi, donc c'est mon nom.
– Mais tu n'aimes pas ça ?
– Vous en avez quoi foutre ?
– Comment voudrais-tu que je t'appelle ?
– Encore une fois m'sieur, qu'est-ce que ça peut vous foutre ?
– Je ne voudrais pas t'appeler avec un nom qui ne te convient pas. Au fait, moi, c'est Ai-ran. Appelle-moi comme si tu veux. C'est mieux que monsieur.
Les convictions du garçon commencèrent à vaciller. Il s'était promis de ne jamais faire confiance à un adulte, prisonnier comme gardien. Ils étaient tous les mêmes, ils ne cherchaient que ce qu'il leur était profitable. Si un adulte s'intéresse à toi, c'est qu'il attend quelque chose de toi en échange. En aillant grandit dans cet enfer, il le savait parfaitement. Pourtant, devant lui se trouvait une personne qui ne cadrait avec aucun des modèles qu'il connaissait. Et puis ce nom :
– Vous vous foutez de mon nom, mais le vôtre est pas mieux. Il est grave zarbi...
– C'est sûrement parce que je viens de très loin d'ici, répondit aussitôt Ai-ran.
– D'où ?
– De Féänor.
Le garçon fronça les sourcils. Il n'était plus con qu'un autre, il était même sûr d'être le plus intelligent des enfants du fort. Sa curiosité autant que son instinct de survie le pousser à écouter toutes les conversations qu'il percevait. Pourtant, ce mot ne lui disait rien.
– Fanor ? Répéta-t-il difficilement.
Devant la curiosité du garçon, Ai-ran repris du poil de la bête. Parler de connaissance rentré bien plus dans ses compétences, bien qu'il ne soit pas l'un des pédagogues les plus brillant. IL se leva attrapa un ciseau à bois et une petite planche et il commença une gravure avec habilité.
Le gamin resta un temps admiratif de la dance des mains de l'artisan avant que la voix de ce dernier n'attire son attention.
– Je viens de dessiner le monde connu. Tu vois, ton empire se trouve sur ce gros continent.
En observant les frontières apparaître sur la carte de bois, le gamin trouva que l'empire prenait une trop grande partie du continent, trônant aux milieux de celui-ci et s'étendant comme une pieuvre. S'il on comparait sa taille au petit pays et royaume que dessina ensuite Ai-ran, il pouvait comprendre plus ou moins l'influence de son pays, ce pays qu'il haïssait autant que tous ces gardes et soldats, sur le continent. Il vit alors la petite croix dessinée au sud de l'empire.
– Là, c'est où l'on se trouve, expliqua le féänorien sans regarder le garçon. Moi, je viens de là.
Il montra le grand archipel tout au sud de la carte, séparer par une grande étendu sur laquelle il dessina de petite vaguelette. Le garçon fronça les sourcils ne sachant comment décrypter ces nouveaux symboles qu'il pointa :
– C'est quoi, ça ?
– C'est l'océan. C'est une grande étendue d'eau salée, elle entoure tout le continent et sépare L'archipel de Féänor du continent. La partie de l'océan les sépare ce fait nommé la mer tourmentée par votre peuple.
– Tourmentée ? Demanda le garçon en forçant les sourcils honteux d'avoir un manque de vocabulaire.
– Cela veut dire torturé, mais pas physiquement dans ta tête. On l'utilise plutôt sur des personnes. Lorsqu'une personne est tourmentée, cela signifie qu'elle se sent très triste ou préoccupée à propos de quelque chose qui la dérange beaucoup. Cela peut rendre une personne très agitée.
– Je crois comprendre.
Un long silence suivit cette réflexion. Ai-ran compris que si le garçon comprenait si bien ce terme, c'était parce qu'il était lui-même très tourmenté. Soudain, la curiosité du garçon reprit le dessus :
– Si c'est pour des personnes, c'est idiot de s'en servir sur la mer.
– Non, c'est une image. Elle est tourmentée parce qu'elle est agitée au point d'en être dangereuse. Et elle est le tourment de bien des marins.
Le garçon hocha la tête peu convaincue son regard se portant de nouveau sur la carte. Il caressa l'océan vers le bord ouest de la carte.
– Et derrière l'océan, c'est le vide ? Demanda-t-il innocemment.
– C'est une bonne question. Nul ne le sait. Certains en sont persuadés en effet. Pourtant, la plupart des savants pensent que la Terre est ronde. Donc il y a de grandes chances que si quelqu'un parvient à traverser tout l'océan, il arrive de l'autre côté du continent. Cependant, même les nains ne le savent pas.
– Les nains ?
– Ce sont des êtres de ta taille, d'une grande intelligence, d'un grand savoir et savoir-faire. Ils fabriquent la plus belle de toutes les technologies. Aucun être ne peut se comparer à eux sur la fabrication d'artefacts.
Le garçon resta perplexe, il était sûr d'avoir entendu parler des nains, mais dans un autre contexte. Soudain, il regarda le jeune homme avec crainte :
– Tu parles des suppôts d'Attesus, les créatures corrompues qui mèneront le monde à sa perte en diffusant une magie corrompue.
Ai-ran ne put s'empêcher de grimacer sachant toutefois qu'il n'était guère étonnant que l'on a enseigné ces croyances au petit. La religion était un élément de centrale pour l'empire. Cependant, ce n'était pas plus agréable à entendre.
– C'est en effet vos croyances. Comment sais-tu donc tout ça ?
– Ils refusent d'enseigner quoi que ce soit au prisonnier cependant, une fois par semaine une matinée et consacrée aux prières. Nous faisons également des prières avant chaque repas. Ils nous disent que même nous, si nous prions bien l'on pourra retrouver un peu de grâce devant Dieu. Moi, j'aime bien. C'est les seuls moments où l'on est pas torturé et où l'on nous enseigne des choses.
Ai-ran ne dit plus rien. Très mal à l'aise, sachant que dans ces croyances, il était un suppôt des nains. Il eut soudain peur que l'enfant qui lui avait donné un peu de confiance la retire quand il se rendrait compte à quel peuple, il appartenait.
Cependant, dans ce silence, la tête du garçon commença à dodeliner de la tête tombant de sommeil. Il s'endormit s'en prévenir devant Ai-ran qui le prit maladroitement dans les bras pour descendre le coucher dans sa couche, le bordant avec une douceur hésitante. Lui-même prit une couverture remontant dans son bureau, se couchant à même le sol. Il avait pour habitude de dormir ainsi dans son atelier quand quelque chose le perturbait. Fermant les yeux, les horribles images de la journée lui revinrent le plongeant dans un sommeil agité.
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