Lorsque dehors
Il pleut si fort,
Que tous ces gens
Si importants
Sont bien au chaud,
Grands et marmots
Ne se doutent pas
De la grande fête
Qui se prépare.
C'est que, là-bas,
Loin des fenêtres,
C'est le départ.
La nuit tombée,
La pluie lancée,
Le Bal des Fées
Va commencer

L’événement promettait d’être haut en couleurs cette année-là. Grandiose, pouvait-on entendre dans les alentours. Mémorable, murmuraient d’autres, bien que personne n'ait su encore quel était le thème de la soirée. Mais c’est cette année-là que la princesse des fées passerait le test. Elle ne voulait point de sa vie de pacha. Elle avait exprimé le désir de faire comme leur peuple et aller veiller un enfant. C’est que, voyez-vous, contrairement à la croyance populaire, les fées marraines ne se contentent pas de souhaiter ceci ou cela pour le poupon, que non! Elles se vouent sa vie durant, jamais ne le lâchant, toujours sur son épaule, veillant bien à toujours être là, bienveillantes. Telle est la vie de ce peuple de fées, où jamais rien n’avait changé. Mais là jeune princesse allait les faire changer, elle se l’était juré!

Les préparatifs allaient bon train. Les invitations étaient lancées par tout le quartier. La fête aurait lieu dans le troisième viorne boule de neige sur la droite en partant de la boîte aux lettres de la maison verte, sur la rue aux magnolias. On attendrait la nuit la plus sombre et pluvieuse, celle ou les enfants et leurs parents ne se risquaient même pas à regarder dehors. C’était le moment idéal pour les déplacements ni vu ni connu. Auparavant, cela pouvait se faire à tout moment, mais avec l’avènement de là technologie qui permettait la vie nocturne, les habitudes des invités avaient dû être modifiées, et un accord s’était pris sur les jours de grosse pluie. Bah oui, mais comment agiraient les gens s’ils voyaient déambuler un tas de gnomes et de dryades devant eux, sacrebleu! Non, cela ne pouvait se produire, ça ne devait jamais arriver! Bref, on attendait de se faire mouiller...

Dans sa chambre, la petite princesse maintenant adolescente s’impatientait. Elle avait choisi déjà l’enfant qu’elle veillerait. Ses années d’apprentissage finies, elle attendait de mettre son talent à profit. Elle était confiante, tout se passerait bien. Elle avait trouvé un jeune garçon du voisinage, question de ne jamais rester loin du rivage si jamais il devait y avoir dérapage. Elle ne voulait pas finir comme celles des contes, loin de tout, seule au monde. Pas question! Elle se dirigea vers sa penderie afin de jeter encore un œil à la robe qu’elle avait confectionnée. Qu’est-ce qu’elle en était fière! Elle allait porter sa création, sans discussion! Bien qu’il n’y eût aucune opposition…

Les invités commencèrent à arriver, on interdit à la petite d’entrer. C’est qu’une arrivée trop hâtive gâcherait toute la surprise. Toujours la royauté la dernière attablée! Elle avait un talent fou pour apprendre toutes ces règles et les réciter à tout moment, elle avait même préparé quelques phrases toutes faites déjà à utiliser avec l’enfant. C’est que, voyez-voyez-vous, cette petite voix qui vous parle parfois, celle que vous appelez ange ou intuition, et bien c’est souvent plutôt votre gentille fée marraine qui murmure à votre oreille!

- Follets et dragonnets! Faux bourdons et papillons! Oyez, voyez, chers invités, la princesse et son Altesse!

Les voilà donc qui entrent enfin dans l’enclave. Par ici et par là fusent des Oh et des Ah. Pas le temps de s’attarder, il est plutôt temps de s’attabler. Arrivent les mets fumants concoctés par les dévoués cuisiniers. Tout ne purent être servi ensemble, il y a plus de convives que ce qui était attendu. Certains sont donc debout un peu plus loin, jusque dans les coins. La soirée battant son plein, personne n’a remarqué le petit lutin qui, caché derrière un pétale, a le cœur qui s’emballe, qui chavire et s’empresse de se voir avec, dans ses bras, la princesse.

Intimidé par sa grande beauté, ensorcelé par ses yeux savamment fardés, le pauvre petit lutin s’enfonce un peu dans son coin. Comment je l’approche, pense-t-il, alors que j’ai la délicatesse d’une roche? Comment l’attirer dans la danse, est-ce qu’elle suivra ma cadence? Tant de questions tournaient sans cesse dans la tête du bonhomme qui ne voulait qu’être avec sa princesse. Puis il finit par se décider, prit son courage à deux mains, prit trois minutes pour se lever puis vers elle fit son chemin.

La jeune fée le vit venir, bien évidemment, mais plus il approchait, plus il était surprenant. Elle ne s’attendait pas à voir débarquer un lutin aussi bien arrangé. Elle tomba direct sous le charme de ses doux yeux couleur parme. C’est que la couleur favorite de la petite est le violet, teinte sage, noble et déclinable à souhait. Elle se leva à son approche, captivée. Il s’arrêta au même moment, apeuré. Il se fixèrent, s’évaluèrent, encore un pas, un petit pas, il lève un bras, elle tend ses doigts, il l’entraîne, il l’emmène sur la piste pour un twist, les pieds légers, les mains soudées, la nuit avance avec leur danse.

Après avoir virevolté pendant deux heures, vint temps pour le lutin de quitter. La jeune altesse, refusant de se voir esseulée, le suivi sans cesse, ne voulant pas le lâcher! Elle le suivrait où il irait, sauf que les gardes royaux l’empêchèrent de sortir de l’enclos! Laissez-moi, leur dit-elle, alors que son élu s’éloigne. Alors qu’elle ouvre les ailes pour s’esquiver, un des vigiles l’empoigne. La cheville tel dans un étau, elle se débat à s’user la peau.

La reine, qui n’entendait jamais sa fille crier, arriva en un clin d’œil à ses côtés. Même le lutin s’était retourné! Oh, cher danseur, mon aimé! Ne me laisse pas derrière toi, ne me quitte pas! Je suis éprise, ne le vois-tu pas? Mère, je vous en conjure, mettez mon sort entre ses mains! Ne pouvons-nous être conjoints et veiller ensemble le jeune Arthur? Jeune fille, dit la reine, trêve d’insolence! Connais-tu seulement son indolence? Tu ne sais rien de lui, pas même son nom, et tu veux le suivre, as-tu perdu la raison?

Et d’arguments, elles redoublent, jusqu’à se mettre en colère. À la fin, la souveraine craque, lâchant non pas des mots mais un sort : Soit, suis-le dans sa baraque! Mais l’avenir d’Arthur n’est plus de ton ressort! Tu enfanteras en double et tu survivras, mais très jeunes tu les perdras, alors qu’ils devront eux-mêmes veiller un enfant. À eux deux, ils se compléteront, l’un bon et l’autre malveillant. Ainsi soit-il! Disparaît maintenant!

Le jeune couple quitta les lieux, main dans la main, ne s’occupant pas du sort malsain, visualisant des jours heureux. Ils se rendirent vite compte que la Reine des Fées avait dit vrai. Depuis ce temps-là, certains n’ont pas d’intuition, mais plutôt deux voix constamment en friction. Ceux d’entre vous qui y sont confrontés, bah voilà! Maintenant vous savez!