Réputations

4 minutes de lecture

— Rien de mieux que de boire un bon coup, qu’en penses-tu petit frère ?!

Je le revois encore, me regarder de haut avec son sourire pire que sournois me dire oui. À ce moment, je débarquais dans une auberge du regard. En même temps, dans la ruelle où nous étions ce ne fut pas trop compliqué, car elles se suivaient et se succédaient les unes après les autres. La rue tout entière était un bar, autant dire qu’ici c’est le pays des pochards. D’ailleurs, cette ville est renommée pour ses cinq bars, mais aussi pour ses nombreuses bagarres générales, car oui, l’alcool monte vite à la tête des plus gaillards. Mon petit frère et moi entrâmes dans l’un d’entre eux dont l’enseigne se nommait la taverne du grand Brun. Je compris en rentrant ce pourquoi elle s’appelait ainsi. Le patron devait mesurer la taille d’un grizzly dressé sur ses pattes arrière et était vêtu avec la même fourrure. À ce moment, j’ai souri et ne me demandez pas pourquoi. Je regardai la salle qui était proportionnelle à ce géant, mais contrairement à d’autres bars que j’ai fréquentés, dans celui-ci régnait un grand silence qui aurait mis mal à l’aise un sourd. Quand j’ai balayé du regard les lieux, je compris pourquoi, la décoration était sinistre comme si la faucheuse était passée par-là. Quand je vis que nous étions tombés avec des montagnes de muscles et de graisses et je me suis soudain mis à jubiler intérieurement, mais mon petit frère m’a soudain coupé l’envie d’en jouir davantage en me soufflant ceci :

— Attention Cléfer, tu risques gros, sois plus patient, je te prie.

À ce moment, je ne sais pas pourquoi, mais j’ai été projeté dans un autre monde. Ainsi au bar, j’ai bu ma première pinte en dévisageant le grand brun dont la taille m’impressionnait de plus en plus au fur et à mesure que j’en descendais les verres. Étrangement mon petit frère ne buvait pas, autant dire qu’il connaissait déjà l’issue de cette fin de matinée. Enfin et quand je fus bien éméché, je me retournai en dévisageant les clients, tirais la langue et sifflais comme une vipère, mais la main de Craven se posa sur mon épaule me stoppa. Mais comment vous dire, je voulais me confronter moi à ces colosses et peu importe ses prédictions à la noix. Et je me suis mis à dire ceci aux quatre brutes silencieuses comme des carpes dont les cheveux blonds étaient coiffés comme l’étaient des femmes.

– Bah quoi, les donzelles ?! Vous avez perdu vos langues ? dis-je en bougeant la mienne comme pour lécher le sexe d’une femme.

Les instants qui suivirent, je crois que j’aurai dû écouter la sage parole de mon petit frère et me taire.

Quand je vis le premier se lever comme un forcené, je me suis mis à sourire, mais aussitôt l’un d’eux qui m’avait semblé être le leadeur l’a retenu d’une poigne ferme accompagné d’un grognement digne d’un monstre des marais. Je n’ai pas compris immédiatement, mais j’ai vu le grand gaillard avoir les yeux imbibés par l’émotion et je n’ai pas mis longtemps à comprendre qu’ils étaient en deuil. J’ai donc descendu ma garde en fuyant leur regard et j’ai dit au grand Brun :

– Tournée générale et c’est pour moi !

Mon petit frère s’était mis en glousser comme un sadique, je m’en rappelle encore de celui-là. Puis quand nous avons terminé nos verres, j’entendis des pas lourds, lents et sourds se rapprocher de moi, mais j’ai ne rien dit, rien fait, simplement fermer les yeux. Et j’ai entendu ceci :

– Petit homme ! Cela aurait été une joie de me battre avec toi, car c’est très rare de voir un homme de ta taille, aussi trapue soit-elle, nous provoquer nous autres membres du clan des Rohandes.

À cela, je me retournai et levai la tête et pour la première fois de ma vie, j’ai vu un homme, un vrai verser des larmes de crocodile. Je n’ai dit rien à cela, simplement tendu le poing vers lui et quand le sien a cogné le mien, j’ai été bien content même si je reconnais que je m’en serais fait un plaisir d’en tester la force.

– Je m’appelle Rondine dernier fils de Dyrone, chef du clan des Rohandes ! Merci d’avoir payé ta tournée.

Mon petit frère s’est aussitôt mis à parler sans quitter son air sournois et lui a dit.

– Toutes mes condoléances pour votre mère.

L’homme dont le corps me dépassait de trois têtes regarda mon petit frère, fronça un sourcil d’étonnement. Il était grand, mais loin d’être stupide.

– Bon voyant. Très-très bon voyant !

Ce que j’ignorai à ce moment-là et que j’ai appris bien plus tard par ce même guerrier, Rondine, est que leur entraînement consistait à bloquer les pensées intrusives, mais aussi que personne en ce monde n’avait pu lire leur pensée ou autre intrusion sur leur vie passée ou future sauf mon petit frère, Craven. Ainsi grâce à lui, nous nous sommes faits ce jour-là, une amitié indéfectible tellement que nous avons combattu côte à côte durant une bagarre magistrale après avoir passé quelques lunes à boire ensemble, à partager leur peine, leur histoire, mais aussi la nôtre. Je me demande, ce jour-là, si mon petit frère avait vraiment lu l’avenir, car nous avions trouvé autre chose qu’une bagarre ou des amis, une famille. Famille qui nous avait adopté, accepté en dépit de nos réputations sanguinaires sans nous vendre au premier consul venu.

Annotations

Vous aimez lire C. S. del Rosario ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0