Fiat lux et facta est lux

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Notre navire continue d'avancer, toujours avec les grappins qui font du rafiot adverse un bagage encombrant. C'est d'ailleurs là que je remarque qu'ils n'ont aucun pilote, pas plus que de poste à cet effet. Juste un plancher troué de nos impacts et un mât planté au centre. Et sa voile sombre et carrée qui semble s'accomoder à notre remorquage comme si elle était aussi vivante qu'un tapis de conte des 1001 nuits. Aucune sorcellerie là-dedans, que de la magie. Cette barque n'a pas de moteur comme la nôtre parce que ce sont les entogés qui l'animent. Ils doivent avoir des cristaux incrustés sous la peau comme le vieux Second a dans son œil. C'est ce qui leur permet de canaliser la puissance manaki. Sans ça, bouloter des énergies qu'on sait pas d'où qu'elles viennent et qui se foutent des lois de la physique mène à la catastrophe.

— Bon, que je fais en m'appuyant sur la rampe pour que les zigs du bas me calibrent bien, c'était marrant, c'était divertissant, c'était même surprenant. Mais je vais vous résumer la situation.

Nos canons ne peuvent pas vous bousiller parce que vous employez des grigris manakis. Vous ne pouvez pas nous bousiller non plus, parce qu'on a une plus grande vitesse en mer et qu'à l'abordage, disons-le franchement, vous ne valez pas grand chose si vous n'attaquez par derrière. C'est comme, je sais pas moi...comme l'impasse merilaine ! Sauf qu'on n'est pas trois, et que personne n'est merilain ici. Puis y a pas d'impasse sur l'océan. Mais sinon, cest totalement ça.

Des solution, y en a pas dix. Je dirais même plus, il n'y a pas de dissolution. Ouais, ben je vois qu'il n'y a aucun alchimiste parmi vous, sinon vous seriez pliés. Mais revenons à notre affaire je vous prie, personne n'est là pour la galéjade, ou gallet de jade, comme disent les maître-runes...pas de maître rune non plus donc. Public difficile ce soir.

Voilà le deal: vous nous filez la moitié de votre bouffe et de votre éventuel butin et on ne vous butte pas tous. Je sais que votre petit bateau est immunisé aux attaques marines, mais croyez-moi, rien ne me résiste. Mieux vaut bouffer du riz le reste du mois que nourrir les poissons, j'ai pas raison ?

Un orateur né, le Heros. Je vais te dire, je regrette presque de ne pas être eux pour me voir proposer un accord aussi alléchant. Je vais te dire, je crois que c'est parce que nous possédons tous les arcs des lieux qu'is ne décochent aucun sourire. Mais en eux, je sens le soleil, la joie d'être épargné et mieux encore, d'être épargné par un mec aussi délicieux que moi. Parce que je ne sais pas si c'est le Zoo en mode sapin de noël, d'avoir eu ma dose de sang ou une propension naturelle à me payer la fiole des bouloteurs de mana, mais je suis gai comme un poisson qui a la pêche. Et je suis persuadé qu'un des quatre valets du mec central qui dévisse un bidule dans son chapelet est la promesse imminente d'un partenariat volontaire.

Lorsqu'il achève de séparer son pendentif en deux, la bouboule qui sert de poids émet une lumière blanche et homogène. Il tripote sa veilleuse et disparait en moins de temps qu'il ne t'en faut pour passer à la ligne suivante.

Un flash trop bref pour ressembler à un appel de phare découpe ma silhouette devant moi, sur la rambarde. Devant, le carré est devenu un triangle, parce que l'un d'eux à changé de côté. Mon instinct de survie s'éveille. Je l'entends me murmurer douçatrement derrière l'oreille, les lèvres tirées par un long sourire en croissant de lune.

— Tu as une langue bien pendue, Capitaine Shin.

Ok, sont pas à a page sur le taulier des lieux. Je suis sûr que c'est son moment préféré de la journée, à l'autre débile. Il doit se choper une gaule d'enfer et pas que parce qu'il se retrouve derrière un mec aux fessiers parfaits. Ils sont comme ça, les mages, ils palabrent, friment, tergiversent en se la jouant. Surtout les mages elfes, c'est pas raciste de le dire. C'est un stéréotype et comme tous les stéréotypes, il est fondé sur une logique sociétale. Les elfes pensent encore qu'ils sont éternels. Avec eux, une baston de toris coups prend trois plombes. T'as droit au discours bien ampoulé de tapette littéraire avant qu'ils balancent leur attaque magique. S'ils peuvent t'expliquer l'effet de leur merde amgique avant que tu crèves, t'en fais pas, ils le feront. Heureusement que je suis pas comme ça. J'aime bien aller direct au direct. La simplicité et la sobriété, y a que ça de vrai.

Avant que Frère Lumière ne me raconte comme il est trop fort d'avoir pu duper l'espace pour venir m'admirer la nuque - avec un K- je pivote de la hanche et lui enfonce mon coude dans une bonne moitié de visage. S'il y a une truc qui ne pourra plus être éclantant chez lui c'est le sourire. l'est plus éclaté, là. Et comme il fait moins de cent kilos, il chavire en détachant les semelles de mon navire, mais je le motive à rester avec nous d'une poigne amicale sous la mâchoire. Puis, je soulève. Ma voix à moi, elle est sinistre, avec même une pointe de dégoût.

— Tu te téléportes peut-être, mais moi je suis rapide.

L'instinct de survie pousse Lumière à me griffer l'avant-bras de ses petits ongles de freluquet. On ne les nourrit pas ou quoi ? Avec ses yeux cernés et ses joues creuses, je sais pas si je me fais pas arnaquer en acceptant leur proposition de me filer la moitié de leur bouffe. Vu le résultat du régime alimentaire local, ça doit être du tofu, du quinoa avec un petit verre d'aloe vera quand vraiment on fait un craquage sucre. Le genre de bectance que tu n'utiliserais même pas pour fourrage.

Lulu tente un sort. Je le sens à ses paumes, ça chauffe en faisant un genre d'halo de plus en plus intense. Ha! ha! ha! Ce gland préfère employer ses sortilèges plutôt que tenter un bon coup de talon à l'ancienne en plein plexus. Génération d'assistés, on ne leur a rien appris à résoudre par la force. Plus besoin, y a des moyens plus civilisés de résoudre les conflits. Font plus rien sans mana pour leur torcher le boule, du coup quand ils tombent sur souci qu'aucune appli magique ne résoud pour eux, on se sent comme le premier homme face au premier mammouth.

En bon gars à l'ancienne, j'administre une violence éducative de ma main libre contre la joue du petit effronté. Sort interrompu, plus de réseau. Et en plus ils dépendent de choses fragiles. Bon, ça avait beau être à main ouverte ce que je lui ai claqué de la joue à l'oreille, c'est de la main de manuel. De-la-qui-calme un chien de traineau en pleine course. Parce que pendant que Frère Lulu se branlait sous son banc d'école de magie, moi je fracassais du crâne de rat géant avec une pierre grosse comme sa témérité.

Histoire de lui laisser une chance de s'en sortir la tête haute, je prodigue un conseil paternel.

— Si tu dois te battre contre moi, fais-le à coup de poings. Je ne suis pas un homme qu'on griffe.

Promis, il me file un coup correct, je relâche. Hélas, je suis un idéaliste. Au lieu de se choper les couilles, il tripote sa boule blanche. En fait, ça s'allume quand on aligne les deux hémisphères, c'est tout con. Je ne peux pas lui en accrocher une paire, la main suspendue à son cou se resserre d'un coup alors qu'il s'évapore pour créer un nouveau petit flash au sein des siens. Je les regarde, impassibles, à l'exception de l'énergumène qui tousse comme un vieux fumeur en se frictionnant la gorge. Doivent considérer qu'on perd en charisme quand on aide un camarade, ou alors ils ne l'apprécient vraiment pas.

Un second encapuchonné se détache du groupe et concentre une énergie rouge autour de son briquet. Mage de feu, tandis que l'autre manipulait la lumière. à défaut d'en être une.

— Hey, Inferno, que je fais depuis mon balcon comme une Juliette, pas besoin de me cuire votre bouffe. Embarquez-les à bord et on est quittes.

Mais Fernie, au visage révélé rond et poupin par la lueur de sa flammèche, m'ignore totalement. Il s'adresse aux lueurs bleues qu'il décèle dans l'air, autour de la barre.

— Sinjeï ! Ton temps de réflexion est écoulé. Brûle avec ta nouv...

Et il ne finit pas sa phrase parce que la bombinette accrochée au falzar de Lulu le souffle lorsqu'elle explose. Les cinq zigotos disparaissent dans une bonne grosse déflagration qui transforme tout ce qu'elle touche en fumée et poussière. On sent l'onde faire frissonner tout le Zoo et je me brûle même un peu les bras la poitrine en sentant la vague de chaleur générée par la grenade. Heureusement que je n'en n'ai mis qu'une.

J'ordonne aux pirates de trancher les liens en faisant bien gaffe de ne pas dire "corde" pour ménager leur petit cœur. Le side-boat fumant se désolidarise de notre escorte et je doute qu'ils songent à nous emmerder plus longtemps en voyant aller cendres du mât. D'autant que, comme il n'y a pas de fumée sans feu, l'effet secondaire de la surprise répand son feu sur le pont où l'odeur de cochon brûlé sera difficile à ravoir.

En vociférant à l'équipage de retourner à son poste, je regagne le pont supérieur où Sinjeï me laisse la barre qu'il galère toujours à manœuvrer. Tout le monde pousse le Zoo vers l'île, où des réparations seront nécessaires. Nous nous éloignons à bonne allure de la carcasse fumante de nos infortunés assaillants. Le calme reprend, entre deux ordres de manoeurvres. Je souris à l'écoute du seul commentaire du vieux concernant ce qu'il vient de se passer. "Gagner du temps".

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