Chapitre 1

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Fourrure au vent et langue à terre, le jeune loup ne cessait de courir. Devant lui, le char doré et resplendissant du dieu lui semblait presque à portée de crocs, ou du moins, il le serait bientôt. Pourvu qu’il n’abandonne pas, pourvu qu’il continue de cavaler, il arriverait à l’atteindre. Le repas qui lui avait été promis par Odin brillait intensément à travers les ténèbres du cosmos, ne le rendant que plus alléchant à ses yeux. Il lui semblait presque déjà goûter la chair exquise de Sol et il en était certain, le sang du soleil devait également avoir un goût divin.

Loin sous ses pattes, il pouvait apercevoir à l’occasion son oncle Jörmungand enserrer le royaume de Midgard. À chaque fois qu’il le voyait, le coeur de Sköll se gonflait d’admiration, car même soumis aux épreuves, même blessé par la lance du roi des dieux, son oncle avait su devenir un véritable titan. Il adorait plus que tout observer tout en courant, l'immense reptile faire trembler la terre et secouer les océans. La puissance extraordinaire du grand serpent lui faisait envie. Le jeune loup était certain que s’il parvenait à dévorer le dieu Sol, la même puissance lui serait accordée et il pourrait retourner auprès de son père, triomphant. Cette perspective lui redonnait toujours de la force lorsque ses muscles semblaient vouloir l’abandonner et que ses tendons menaçaient d’exploser sous l’effort.

Un grognement guttural le sortit de sa rêverie.

— Sköll !

L’appel le fit sursauter à tel point qu’il s’emmêla dans une de ses pattes et s’affala de tout son long sur le pavé céleste. Il se releva aussitôt, pris de panique, car sa proie s’échappait. « Sköll ! » répéta la voix, celui-ci se retourna malgré lui et reconnut sa soeur.

— Qu'est-ce que tu fais ici ? Sais-tu à quel point j’étais proche d’attraper ma proie ? grogna-t-il tout en faisant claquer sa mâchoire dans le vide.

— Écoute, il faut que tu m’accompagnes, lui enjoignit la louve.

— Je ne viendrai nulle part avec toi, gronda son frère, pas tant que je n’aurai pas dévoré le soleil ! Maintenant écarte-toi de mon chemin, Hati !

Sur ce, le loup irrité se retourna et s’apprêta à reprendre sa course, mais Hati bondit sur lui, déterminée à se faire entendre. Sköll explosa de colère. S’ensuivit un tonnerre de grognements, de glapissements et autres hurlements. Le frère et la soeur s’engageaient dans un combat féroce comme ils n’en avaient pas eu depuis fort longtemps. Les touffes de poil volaient en tout sens, de la bave coulait de leurs gueules et leur yeux couleur de braise semblaient véritablement prendre feu alors qu’ils se jaugeaient de temps à autre. Tous deux n’avaient plus rien à voir avec les louveteaux qu’ils étaient autrefois, ils étaient devenus plus grands et plus forts. Leur pelage avait aussi pris une teinte plus déterminante. Celui de Hati était noir comme un ciel sans étoile, à l’image de leur père, et celui de son frère, blanc comme la mort. Ils ne purent s’empêcher de sourire en eux-mêmes au constat de leur propre force. Hati choisit cet instant pour bondir à nouveau. Elle écrasa son frère sur le pavé céleste, mais celui-ci, couché sur le le dos, la repoussa de ses pattes arrières. Tous deux se mirent à rouler l’un sur l’autre et bientôt, à travers un phénomène inexplicable, à dégringoler. Les deux loups tombaient à travers l’espace alors que chacun continuait d’essayer d’avoir le dessus sur l’autre.

Au bout d’un certain temps, ils percèrent le sommet d’une forêt de conifères, tout en arrachant branches et épines au passage. Ils terminèrent finalement leur chute en s’abattant au milieu des fougères et de la terre humide. Sonnés, chacun se releva tant bien que mal de son côté, haletant comme un chien.

— Où sommes-nous ? grommela Sköll une fois qu’il eut repris ses esprits.

— Au Midgard, qu’est-ce que tu crois ? lâcha sa soeur.

— Te rends-tu compte de ce que tu as fait ? Comment vas-t-on attraper les astres maintenant ? hurla son frère, la fatigue le retenant tout juste de sauter à la gorge d’Hati.

Elle eut un rire sans joie.

— Tu croyais réellement qu'on avais une chance ? Après tout ce temps ? Sköll, enfin, ça fait des années que l’on se tue à leur courir après sans jamais les avoir même frôlés.

La louve s’efforçait tant bien que mal de garder son calme devant l’obstination de son frère. Il ne répondait pas, mais laissait échapper un grondement sourd. Au bout d’un moment, il détourna le regard. Il avait le dos rond et son poil hérissé témoignait toujours de sa colère.

— Tout ça, finit-il par répondre, tu l’avais prévu, pas vrai ? Tu as quelque chose derrière la tête.

— Oui.

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Les dieux d’Asgard étaient tous réunis dans une petite salle cachée du palais principal ; leurs expressions inquiètes rehaussées par la lumière vacillante des torches accrochées aux murs.

— Comment avez-vous pu vous rendre compte si tard qu’ils avaient disparus ? s’écria Tyr, le dieu de la guerre juste, en tapant du poing sur la table.

— C’est facile à dire pour vous, s’écria Mani, en plus de les surveiller nous avons une mission à accomplir de la plus haute importance !

— Et chaque minute que vous passez ici, les humains sont plongés dans la noirceur éternelle, compléta Thor en fixant la déesse aux cheveux de blés d’un regard sévère.

—Il fallait bien vous prévenir, rétorqua Sol, nous avons convoqué tout le monde aussitôt que nous avons su et aussi vite que nous avons pu. Il était impensable de laisser les deux astres sans surveillance. Nous avons fait ce qu’il fallait. Sa soeur lui jeta un regard reconnaissant lorsqu’il prononça ces paroles.

— Alors il faut prévenir Odin sans plus tarder ! s’exclama Njord, dieu des Océans. Moi aussi, lorsque je ne suis pas à mon poste, des malheurs peuvent arriver. Jörmungand ne tardera pas à se rendre compte de mon absence et il déchaînera la mer sans rien pour l’arrêter, il dévorera un plus grand nombre encore de mes fidèles…

— Vous ne pouvez pas informer Odin de cette affaire, résonna une voix au fond de la salle. Tous les Ases se tournèrent d’un coup vers sa provenance. Loki venait d’apparaître au milieu d’eux.

— Comment nous as-tu trouvé ? Depuis combien de temps est-tu là ? Cette réunion ne te concerne pas, tonna Thor.

— Vous savez que j’ai toujours été très observateur, répondit calmement l’intrus en s’adressant à l’assemblée, un bref sourire en coin, puis, en reprenant un sérieux peu habituel, il fixa Thor en répondant : « Et j’ai tout à fait le droit de participer à cette réunion, puisqu’elle concerne mes petits enfants. »

— Ton jugement en est d’ailleurs particulièrement affecté, s’introduisit Tyr, depuis l’autre bout de la pièce. Tu sais pourtant à quel point ils sont dangereux, peut-être même encore plus que ton fils.

À ces mots, Tyr leva le moignon de sa main droite, témoin silencieux de la férocité de Fenrir et du sang qui coulait dans les veines de Sköll et Hati. Un frisson parcouru la pièce.

— Ne parle pas ainsi de mon fils, il était grand et puissant, peut-être imprévisible, certes, mais il n’avait encore rien fait au moment de son emprisonnement. Pourtant, je demeure loyal à la tribu des Ases et je me plie aux décisions d’Odin, mais Sköll et Hati ne sont que des adolescents ! Ils ne méritent pas le même sort que mes trois enfants… Qui plus est, vous ignorez quelle pourrait être la réaction du roi. S’attirer sa colère n’est bon pour personne, que vous soyez Ase ou non, cela n’y changera rien. Le déranger dans ses divines occupations pour deux gamins turbulents dont vous aviez la garde ne me semble pas un choix très judicieux.

Loki prononça cette dernière phrase en dévisageant longuement les jumeaux Sol et Mani. Cette dernière fixait la table au centre de l’assemblée, inquiète, et morte de honte.

— Laisse-moi deviner, avança Thor, tu proposes de les ramener toi-même ? Comme si nous pouvions te faire confiance...( il eut un rire amer ) C'est hors de question.

— Et je suppose que tu as une meilleure solution ?, rétorqua Loki. Je les connais, je saurai les retrouver, je…

— Moi j’irai, interrompit Skadi. La déesse de la chasse et de l’hiver s’était levée de son siège et se tenait dans toute sa grandeur. Elle dépassait de deux têtes le reste des dieux et touchait presque le plafond. Sa forte stature n’avait rien à envier au plus valeureux des guerriers, pourtant elle dégageait autant de grâce que Mani. Elle était vêtue d’une solide tunique bleue foncée, d’épaisses bottes en poils d’ours et d’un manteau en fourrure de loup. Dans son dos reposait un arc orné de somptueuses gravures faites à la main et un carquois rempli de flèches. À sa ceinture, pendait également un poignard et une hache. Ses longs cheveux noirs et ondulés tombaient majestueusement sur ses épaules.

Constatant que le silence s’était fait dans la salle, elle appuya ses deux mains sur la table et reprit la parole : « Mon époux gardera notre royaume dans les montagnes, je chassais déjà bien avant de l’avoir rencontré, mais ce qu’il manquait pour parfaire mon art, Ullr me l’a appris. Je maîtrise toutes les techniques de chasse et de trappage qui soit pour tous les types de gibier. Je suis certaine que ces deux loups sont allé se cacher en Midgard. Soyez assuré que je suis la personne qu’il vous faut pour cette mission. » Puis elle se tourna vers Loki qui ouvrait déjà la bouche pour répliquer : « Je puis t’assurer qu’il n’arrivera aucun mal à tes petits enfants, je le jure. »

Les dieux se mirent à murmurer entre eux et la pièce fut remplie de bourdonnements, tandis que Loki s’obstinait toujours à tenter de convaincre les autres de le laisser récupérer les jeunes loups. Au bout d’un moment, Tyr appela à l’ordre et tous se turent immédiatement.

— Je crois que nous devrions passer à un vote. Que ceux qui sont en faveur de la proposition de Skadi, lèvent la main.

Dix des seize dieux présents levèrent peu à peu leurs mains. Loki vota lui aussi en faveur, quoi qu’à contrecoeur. Mais il savait que cela représentait la meilleure garantie que ses petits enfants seraient bien traités. Tyr fit alors une pause et observa l’assemblée, puis il interrogea Thor qui avait voté contre : « Thor, qu’en penses-tu ? » Le dieu du Tonnerre croisa les bras et soupira : « Je ne suis pas d’accord, mais je sais tout de même que si un seul d’entre nous peut venir à bout de ces garnements, c’est bien Skadi. Tu es le dieu de la guerre juste et de la sagesse, c’est tout de même à toi que devrait revenir la décision finale. » Tyr prit alors une grande inspiration : « Bien, c’est décidé. Skadi, part aussitôt que tu le pourras et ramène-nous ces fugitifs au bercail. »

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