Chapitre 6

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En le regardant, elle peinait à le croire. Le sang du dieu défunt s’écoulait en cascades depuis la gueule de Fenrir qui tenait à peine debout dans la grotte. Sa silhouette ombrageuse se soulevait et s’abaissait, nombre de ses blessures s’étaient rouvertes, mais cela ne l’empêchait pas de se jeter contre les murs en poussant des grognements furieux. De l’écume s’échappait de sa gueule tandis qu’il tentait de détruire les fondations de la grotte pour s’enfuir. Le sol tremblait sous sa furie et des rochers commençaient à tomber du plafond rocheux. Les enfants avaient donc réussi à le libérer. Hel, tentait difficilement de se relever avec l’aide d’Hati qui poussait dans son dos. « Il faut sortir ! Il ne voit pas la sortie ! » Cria-t-elle.

Sköll n’écoutait pas, il ne pouvait détacher les yeux de son père. Il avait attendu ce moment toute sa vie. Il s’était de nombreuses fois imaginé lui raconter comment il aurait finit par rattraper le dieu du soleil, ainsi que toutes ses aventures. Plus que tout il désirait le rendre fier, comme cela l’était autrefois, avant que sa famille ne soit déchirée. Sköll s’en voulait terriblement de n’avoir jamais entrepris lui-même de porter secours à son père, mais il était autrefois si jeune, si impuissant. La simple pensée de sa faiblesse d’alors lui donnait la nausée. Même si cela lui coûtait de l’admettre, il n’aurait rien pu faire à lui seul. Pendant longtemps, il avait cru pouvoir s’emparer de la puissance de Sol, mais il réalisait maintenant que sa soeur avait raison. Jamais ni lui ni elle n’aurait pu parvenir à atteindre les gardiens des astres. Odin leur avait confié cette tâche tel un leurre à des poissons. Le roi des dieux s’était non seulement joué d’eux, mais s’était ainsi assuré de les mettre hors d’état de nuire. Le jeune loup enrageait, voilà quel avait été le prix de sa stupidité, Fenrir était maintenant fou et ils allaient tous mourir ici.

Non. Sköll ne pouvait l’accepter, pas après tous ce qu’ils avaient fait, pas après tout ce qu’ils avaient risqué pour en arriver là. S’il s’enfuyait maintenant, jamais il ne se le pardonnerait. Il serait définitivement faible et vivrait sans honneur, et sans but. Il devait jouer le tout pour le tout. Sourd aux appels d’Hati dans son dos, le jeune loup couru vers son père. Il hurlait à plein poumon, l’appelait désespérément, pour tenter d’attirer son attention, mais la bête ne réagissait pas. Fenrir continuait de s’agiter sans relâche. Plus loin, Hati avait quitté la grotte à contrecoeur afin de sauver Hel. Sköll était laissé à lui-même. Il n’avait pas beaucoup de temps pour réfléchir, ni pour agir. Ses options étaient minces, alors il fit ce qu’aucun Ase n’aurait osé faire et bondit le plus haut possible. Il saisi dans sa gueule une touffe de fourrure sur son père et s’y cramponna de toutes ses forces pendant que Fenrir continuait de ruer à la manière d’un cheval sauvage. Sköll teint bon et entreprit d’escalader la fourrure de la bête.

La progression était laborieuse et les secousses violentes. Plusieurs fois il manqua lâcher prise et s’écraser sur le sol de la grotte, mais il parvint à se rendre jusqu’au cou de son père, puis à se hisser sur sa nuque. Ne lui restait plus qu’à atteindre son oreille. Peut-être l’entendrait-il s’il lui parlait de si près ? Usant de ses dernières réserves d’énergie le jeune loup entama son lent chemin vers l’immense oreille pointue. Il y était presque, plus que quelques mètres. « Père ! » Hurla-t-il d’une voix éraillée, même ses cordes vocales semblaient vouloir le lâcher. Il tenta de l’appeler une nouvelle fois, mais un rocher le heurta soudain à l’épaule, lui arrachant une plainte aigu. Sköll tenta de s’accrocher, mais la prochaine secousse lui fit perdre l’équilibre et il tomba dans le vide. Alors qu’il allait rejoindre la pile d’os sur le plancher de la grotte, le jeune loup ferma les yeux. Il accepta doucement son sort, il avait tout essayé.

Un choc au ventre lui coupa le souffle. Il leva la tête, sonné, et surpris de ne pas avoir les os en miettes. Les immenses yeux incandescents de Fenrir observaient son fils, aplati sur le dessus de son museau. Enfin, l’immense bête avait cessé de bouger et simultanément, les rocher commencèrent à cesser de tomber aussi. Son regard profond semblait fouiller l’âme de Sköll, son père le reconnaissait-il enfin ? Le jeune loup tremblait de peur au milieu du silence. Doucement, Fenrir entreprit de se baisser jusqu’au sol afin de permettre à Sköll de reprendre pied à terre, puis il se releva de toute sa hauteur. Ce n’est qu’à ce moment précis que le jeune loup prit conscience de la taille gigantesque de son père par rapport à lui et sa soeur. Eux-même étaient beaucoup plus massifs que n’importe quel loup ordinaire, mais Fenrir était autre chose. Il ressemblait à une véritable montagne ténébreuse jetant son ombre sur tout ce qui se trouve à ses pieds. Sköll en avait le souffle coupé et les mots ne semblaient pas vouloir quitter sa bouche. Il ignorait s’il pouvait encore se dire hors de danger. Son père pourrait peut-être retomber dans la folie à tout moment, se dit-il, indécis. Malgré tout il avait l’impression que quelque chose de définitif venait de changer.

  • Sköll… Comment…Comment es-tu arrivé ici ?

La voix caverneuse de Fenrir semblait faire vibrer l’air autour de lui. Il avait pourtant parlé d’une voix si douce. Sköll ne pouvait que s’imaginer comme sa voix devait être tonitruante en temps normal. Malheureusement, il n’en avait que peu de souvenirs. Sköll peina à formuler sa réponse tant il était submergé par l’émotion. Il se maudissait en cet instant, car il aurait aimé se montrer autrement lors de ces retrouvailles tant attendues.

  • C’est… tante Hel qui nous a aidé, enfin, c’était un plan de Loki. (Il avala sa salive) Père, si vous saviez comme j’ai souhaité vous retrouver… Je suis…

  • Tout vas bien, Sköll, tu n’as pas à t’en faire, mais par pitié, fais-moi sortir d’ici.

La fin de sa phrase était empreinte de fatigue et de douleur. Chacune de ses tonalités semblaient faire écho dans l’esprit du jeune loup et il s’empressa de lui montrer le chemin de la sortie. Il remarqua, non sans un pincement au coeur, que son père semblait toujours hésitant et surtout désorienté. Il rampa à travers le trou qui menait à la surface à la suite de son fils qui menait la marche. Lors de certains passages, Sköll eut peur que son père n’arrive pas à passer, tant sa taille le mettait à l’étroit, mais à force de contorsions et autres précautions, il y parvint de justesse. Le jeune loup se demanda tout de même comment les dieux avaient fait pour l’emmener jusqu’au fond de cette grotte. Cela demeurera un mystère.

Lorsqu’ils atteignirent la surface, la lumière, bien qu’il fasse tout de même sombre comparé au Midgard, ne manqua pas d’aveugler Sköll, mais surtout Fenrir qui passa plusieurs minutes à tenter d’ouvrir les yeux ; lui qui avait passé tant d’années sous-terre sans jamais côtoyer la lumière du jour. À l’entrée de la grotte, ils retrouvèrent Hel et Hati qui les attendaient, toutes deux mortes d’inquiétudes. Hel, commençait à croire qu’elle avait perdu son frère et son neveu dans cette folle entreprise, mais contre toute attente, il s’agissait d’un succès. Hati échangea quelques mots avec son père, heureuse et touchée d’enfin le revoir, puis lui expliqua, ainsi qu’à son frère, qu’ils avaient aperçu Thor s'enfuir après la mort de Tyr. Il ne s’agissait donc plus que d’une question de temps avant qu’il prévienne les autres dieux de ce qui venait de se passer. Hel prit la parole : « Fenrir, peux-tu nous suivre, le seul endroit qui nous soit sûr est mon royaume. J’ai souveraineté là-bas par Odin, et les autres dieux n’oseront pas nous approcher avant un moment. Je dois aussi me reposer… »

L’entaille que la déesse avait à l’épaule saignait toujours, quoi que moins abondamment. Il lui faudrait des soins spéciaux pour guérir cette blessure magique, des soins qu’elle ne pourrait obtenir qu’en Helheim.

Fenrir l’observa d’abord d’un air surpris avant de lui demander d’un ton incrédule : « Tu possède un royaume…et Odin te l’as offert ? » Hel ne put s’empêcher de laisser échapper un rire franc et sincère.

  • Mon frère, ce n’est pas aussi glorieux que tu crois. Tu verras, et je t’expliquerai.

Fenrir répondis par un hochement de tête et un léger frémissement du visage qui peut être interprété comme un sourire.

—————————

En Asgard, les dieux étaient à présent rassemblés dans la salle du trône. Tous étaient à genou devant Odin, la tête basse, le regard tourné vers le sol. Thor, qui se sentait en partie coupable pour le désastre qui s’était produit avait pris la responsabilité d’expliquer lui-même la situation à leur souverain. Le dieu du tonnerre était toujours couvert de brûlures, de par son sang divin, elles guériraient complètement, mais les portions de chair exposées au grand air lui faisaient un mal fou. Il tremblait de tout son corps, prostré devant Odin qui s’était levé de son trône en entendant la nouvelle que lui apportait son serviteur. Le silence régnait dans la salle, alors que les Ases attendaient les ordres qu’ils auraient dû chercher depuis le début. Au bout d’un instant qui parut une éternité, Odin prit la parole d’une voix grave et pénétrante.

  • Mes sujets, ce que vous avez fait est inacceptable et impardonnable, mais l’heure n’est pas aux punitions. Vous vous estimerez heureux d'être châtiés si nous survivons d’ici quelques mois. Les êtres les plus puissants de l’univers sont désormais réunis et en cavale. (Il marqua une pause.) Dorénavant, une seule chose se doit d’occuper votre esprit : le Ragnarok, vient de commencer et vous devez vous préparer à une guerre imminente. Employez toutes vos ressources à l’entraînement et grossissez nos rangs. Parcourez le Midgard et recrutez de nouveaux dieux. À nous seuls, la victoire est impossible, mais plus nombreux, nous auront peut-être une chance. Relevez-vous et cette-fois, obéissez comme il se doit sans rien me cacher.

À ces mots, les Ases se relevèrent d’un seul mouvement coordonné et s’en furent vers leur destiné.

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