Chapitre 3 - Lumières
Perdue dans ses pensées, elle regardait par moments dans le miroir son visage, ou plutôt celui de quelqu’un qu’elle ne connaissait pas. Rien ne lui revenait, rien ne lui parlait, ni même sa propre personne. Son regard alternait lentement entre le petit objet réfléchissant et le vide dans lequel elle se perdait. De longues minutes s’écoulèrent où elle fouilla en vain dans sa mémoire. La seule chose dont elle se souvenait d'avant son réveil était cette vision cauchemardesque du monstre qui la poursuivait. Rien d’autre. La seule chose qui lui restait à faire, c’était de quitter les lieux pour trouver une réponse. Elle ne pouvait se permettre d’attendre la venue de celui qui lui avait apprêté des affaires, il lui fallait agir plutôt que de sombrer dans l’inquiétude et la folie.
Prenant enfin le taureau par les cornes, tremblante de peur et se demandant ce qui pouvait bien l’attendre par la suite, elle posa le miroir sur ses cuisses et se saisit de la besace de cuir non loin. Dedans, se trouvaient une gourde, trois pommes et un couteau à la lame usée. Observant le fruit d’une belle couleur rouge, elle le fit tourner dans le creux de sa main. Elle se rendait compte qu’elle « savait » le goût qu’aurait ce fruit sans pour autant se souvenir qu’elle en avait mangé un jour. Elle « savait » aussi qu’elle aimait sa saveur sans se l’expliquer non plus. Elle n’avait donc pas tout oublié puisqu’elle remettait des noms sur des objets ou des choses et qu’elle était capable de savoir à l'avance quel goût pouvait avoir une pomme. Ce fait, bien que minime, la rassura quelque peu. Tout n’était peut-être pas perdu. Elle croqua dans le fruit.
L’estomac un peu plus rempli, elle se décida à partir. Il ne restait qu’un fruit dans la sacoche de cuir et le couteau dont elle ne s’était pas servi. Elle y ajouta le miroir qui prit toute la place restante. Accrochant son attirail autour de son épaule grâce aux deux longues lanières qui pendaient, elle put enfin se mettre en route.
À l’opposé de l’arbre duquel elle était « tombée », s’ouvrait un tunnel assez petit et étroit. Elle s’y engagea en baissant la tête, non sans appréhension. La présence de mousse phosphorescente sur les pierres la soulagea. Elle n’aurait pas à s’enfoncer dans les ténèbres à l’aveuglette. Bien qu’elle ne pouvait voir que sur une courte distance, le bleu qui ressortait dans l'obscurité lui permettait de se guider. Aucune bifurcation ne la fit hésiter. Le tunnel n’avait qu’une issue. Il serpentait par moments et avait une pente montante douce qui ne gênait pas la marche. Elle faisait simplement attention de ne pas glisser ou de ne pas se cogner par mégarde. Il ne lui fallut pas plus de vingt minutes pour arriver enfin à… une impasse.
Les mousses à la lumière bleutée s’arrêtaient toutes au même niveau et éclairaient une sorte de mur. Déconcertée, elle s’en approcha. Des roches le constituaient. En tâtonnant, elle finit par trouver quelques creux sur les hauteurs de la paroi et les pierres supérieures ne semblaient pas très bien jointes. Elle tenta d’en pousser une, ce qu’elle fit sans mal. Un bruit mat lui signifia que la masse était tombée sur un sol mou. Animée par un élan d’espoir, elle continua de pousser les blocs qui tombèrent un à un, s’entrechoquant de l’autre côté du mur, jusqu’à ce que ce dernier diminue à hauteur de son nombril. Toujours courbée en raison du plafond bas, elle entreprit de ramper au travers du trou qu’elle venait de créer et atterrit dans un enchevêtrement de lianes. Se débattant un moment, surprise, elle entreprit de sortir le couteau de sa besace qui, malgré le fait qu’il soit émoussé, parvint à la dépêtrer tant bien que mal. À force de patience, ses pieds retrouvèrent gentiment le sol et, après d’autres coups de lame, elle se retrouva enfin à l’air libre.
Il faisait nuit dehors. Une brise fraîche caressait son visage. Cela lui faisait du bien. Elle resta là un moment, récupérant sa respiration après cette lutte contre la végétation. Un rayon lumineux doré sortait du haut du talus qui se trouvait derrière elle et éclairait les environs. Ce faisceau s’élevait si haut dans le ciel, traversant les frondaisons, qu’elle n’aurait su dire s’il s’arrêtait un jour.
Quelle étrange lumière…
Elle considéra un instant le monticule, curieuse de savoir ce qui pouvait engendrer un tel phénomène, puis abandonna toute idée d’y grimper. Elle se sentait épuisée et incapable d’entreprendre une ascension aussi petite soit-elle. Au moins pouvait-elle voir autour d’elle. Une forêt clairsemée l’entourait. Bien que seuls des bruits lointains de bêtes sauvages et le hululement d’oiseaux nocturnes se faisaient entendre, se retrouver en de tels lieux lui donnèrent un sentiment d’insécurité instantané.
Une forêt… Encore…
Difficile pour elle de ne pas repenser à cette course folle dont elle n’aurait su dire si elle l’avait vraiment vécu ou simplement rêvé… Rien ne lui revenait, la vision de cet endroit ne lui rappelait rien de plus que lors de sa « chute » de l’arbre dans lequel elle s’était retrouvée enfermée. Tendue, elle entreprit de partir dans la direction opposée à celle du rayon doré. Elle ne pouvait pas attendre là désespérément…
Elle eut à peine le temps de faire quelques pas qu'un son la tétanisa. Un bruissement de feuilles mortes… Le sol en était jonché et, bien que ses enjambées aient engendré beaucoup de bruit malgré ses pas de loup, elle était certaine d’une chose, ce qu’elle venait d’entendre n’était pas de son fait.
Alors qu’elle demeurait immobile, le silence ne dura pas bien longtemps, un nouveau frémissement retentit un peu plus loin. Paniquée, elle ne tergiversa pas davantage et prit ses jambes à son cou.
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